La bataille de Wimpfen (6 mai 1622) d’après Louis de Heynin
Louis de Heynin (ou Hennin) du Cornet était mestre de camp du tercio de Heynin. Il a laissé une belle description de la bataille de Wimpfen, même si son tercio n’y a pas participé, ayant été laissé à la garde d’une ville.
La bataille de Wimpfen d’après l’Histoire générale des guerres de Savoie, de Bohême, du Palatinat et des Pays-Bas, par le seigneur du Cornet, gentilhomme belgeois.
Le 5 mai (1622), et la fête de l’Ascension, le marquis de Durlach et le bâtard de Mansfeldt ayant paru sur le midi en campagne rase, aux environs d’Heilbronn du côté du quartier de monsieur de Tilly, on lâcha les trois coups de canon, qui firent trouver aussitôt tous les soldats à la place d’armes et se mettre en escadrons. L’armée de Bavière se mit à la main gauche d’un petit bois qui était au milieu de la campagne et celle de don Gonsalvo se rangea sur la main droite et pour ce qu’il était déjà tard, ils ne se firent ce jour autre chose que se tirer trois à quatre volées de canons et l’on passa ainsi jusqu’au lendemain, ne mangeant les chevaux, pour cette nuit, que des feuilles de ce bois.
Le lendemain, à l’aube du jour, on donna à chaque cavalier un chapeau d’avoine pour rafraîchir leurs chevaux ; puis, faisant passer toutes les troupes par-dessus ledit bois dans une large campagne rase, on les dressa aussitôt en escadrons, et en même temps posant l’artillerie à la tête des bataillons, on commença à l’instant de se canonner et avec telle continuation qu’ils demeurèrent en ce point plus de huit heures et jusqu’à ce que l’on aperçut, environ le midi, que l’ennemi y commençait à se retirer, ne pouvant plus endurer la ruine que lui faisait notre canon.
Les soldats se désespéraient d’impatience qu’on ne l’avait attaqué et encore plus de ce qu’on ne faisait aucun devoir de le poursuivre, mais on avait crainte qu’il n’eût usé de la même feinte que fit Annibal contre les Romains, à la bataille de Cannes qu’il gagna, se mettant ledit Mansfeldt en embuscade dans un bois voisin pour, lorsque l’on viendrait aux mains, se jeter à l’improviste sur l’arrière-garde et les enserrer entre ses deux armées, ce qu’il nous eut infailliblement fait perdre non seulement la victoire, mais aussi l’honneur et le pays. C’est pourquoi ces prudents généraux catholiques voulurent être premièrement assurés de ce doute.
Ayant partant été trouvé qu’il n’y avait aucun empêchement, il fut résolu de les suivre (les ennemis) et de les attaquer, auquel effet l’on fit toucher tambours et trompettes à ce que chacun se trouvât en son escadron, et si tôt les armées se mirent en diligence de marcher. Celle de don Gonsalvo qui était distante de celle de Bavière de deux portées de mousquet s’avança la première. Son infanterie faisait trois bataillons, un d’Espagnols et les deux autres d’Allemands, les Wallons ayant été laissés pour la garde des villes, et tous rangés en un front avec deux gros de cavalerie aussi en même front, laissant toujours néanmoins distance suffisante entre lesdits bataillons, pour se pouvoir à son aise tourner, attaquer et défendre. Les harquebusiers à cheval étaient plus avancés, et les autres gens de chevaux disposés sur les ailes et au derrière, ayant au surplus à la tête quelques pièces de canons. Et de cette forme, celle de Bavière s s’étant de même mis en bataille, ils approchèrent l’ennemi, lequel ayant su leur venue les attendait de pied ferme, et tirait incessamment de son canon, au travers de nos escadrons, autant de temps qu’ils furent traversant une grande campagne pour venir jusqu’à lui, ce qui les incommoda extrêmement, mais ils n’en furent pourtant empêchés de venir aux mains.
La résolution de l’un et de l’autre était telle, qu’il ne s’est vu de longtemps un combat plus furieux, qu’ils ne firent du premier abord, à cause de quoi il s’en éleva incontinent une bruine si grande, tant de la fumée des canons, mousquets et pistolets, que de la poussière des chevaux, qu’ils furent deux grandes heures sans se pouvoir voir : chose qui nous fut bien grandement profitable pour deux raisons : l’une pour ce que l’ennemi ne nous pouvant voir ne nous faisait guère de dommage de son canon, l’autre d’autant qu’il n’en aurait pu apercevoir le désordre de quelques escadrons de cavalerie, et l’ébranlement de deux bataillons de notre infanterie allemande qui, à la fin par trop chargés de coups de canons et de mousquets, s’en épouvantèrent et se mirent en arrière.
Le bataillon espagnol donc demeurant seul d’infanterie, au milieu de la campagne, se trouva bien étonné de cette épouvante et fort en peine de tant d’ennemis, mais les Wallons de chevaux (i.e. la cavalerie wallonne) le voyant en ce terme, accoururent aussi tôt à son support, avec un gros de six cornettes et le joignirent de près, criant aux soldats de prendre courage, de continuer de combattre toujours plus vaillamment, et ne pas rompre, et qu’ils étaient venus pour les seconder et mourir avec eux ; paroles qui les animèrent tellement en leur résolution, qu’ils ne se bougèrent d’un pas et se tinrent encore le reste de cette façon longtemps d’une valeur admirable, se mettant à genou pour se mieux maintenir en leur rang et se conserver de la pluie de la mousqueterie des ennemis. Si bien que les autres en reprirent l’assurance de se rejoindre et de retourner au combat plus généreusement que jamais ; et que notre cavalerie redoublant de ce coups son courage, se trouva victorieuse de celle des Palatins et la rompit entièrement.
Le plus gros de la besogne demeura contre l’infanterie, à raison de la forte barricade qu’elle avait, et telle qu’il ne s’en était jamais vue de semblable. (…)
Le marquis de Durlach(…) usa d’une subtilité et ruse de guerre, nouvelle et inusitée ; il vous faut considérer qu’il avait une grande quantité de sapins traversés de longues broches de fer tournées vers la campagne, et posés sur des petits chariots à deux roues, menés avec un cheval et faits de plus si ingénieusement que les deux bouts de ces pièces de bois portaient chacun un petit mortier, duquel ils tiraient à chaque fois quatre balles de mousquets, et avec cette fortification, le marquis de Durlach environnait son armée et marchait en assurance, quand il en avait besoin. C’est pourquoi il tint encore si longtemps ferme, nonobstant la déroute de sa cavalerie et la perte de ses munitions de poudre, le feu s’étant mis dedans en ce renouvellement d’escarmouche.
Pour lors la barricade tirait du soleil levant (est) vers le couchant (ouest) et la face de l’armée au septentrion, et au bout de laquelle barricade, du côté du levant, était une grande batterie de douze pièces de canons, qui battaient tout le long de la face de ladite armée et en donnaient à qui en voulait approcher. Le reste de son artillerie était de plus disposé devant chaque bataillon. Ce fut pour cette cause que monsieur de Tilly traversa lors les escadrons de don Gonsalvo, et qu’il voulut les exhorter aussi d’achever avec les siens valeureusement la journée. Or comme donc chacun sur ceci se mettait en cette disposition de combattre et de les attaquer vaillamment, nonobstant ces grandes fortifications et avantages inespérés, il vint un grand bruit de l’armée, qu’on voyait une poussière épaisse s’élever en une campagne voisine. Les généraux pourtant craignant que ce ne fût quelques secours pour aider cette infanterie, firent tourner tête à la plus grande partie des escadrons vers ladite campagne ; cependant ils envoyèrent incontinent monsieur Scherrich, avec sa compagnie d’harquebusiers à cheval, pour reconnaître le tout, et lequel battant l’estrade en long et en large, ainsi qu’il lui était enjoint, et ayant rapporté n’y avoir rien vu, tous ces escadrons retournèrent face et se réunirent au même point que devant.
Jusqu’alors l’armée de Bavière n’avait encore rien fait, ayant toujours été réservée jusqu’à ce qu’il fût été nécessaire d’en user comme en cette occasion. C’est pourquoi don Gonsalvo étant de besoin de bientôt se mettre aux effets, il se trouva en ce temps à la tête de ses troupes l’épée à la main, et pria monsieur de Tilly de se disposer de même à faire avancer ses gens, et ce qu’ayant fait et donné ses ordres partout, l’infanterie de l’une et l’autre armée marcha incontinent vers le canon de l’ennemi. La cavalerie s’avança pareillement, non toutefois pour combattre, pour ce que celle de leurs adversaires était toute dissipée et ne paraissait plus (i.e. le duc Magnus de Wurtemberg, commandant la cavalerie badoise était tomber, criblé de blessures), mais bien afin de se tenir prête et attendre le temps que les chariots fussent été défoncés pour donner dedans.
Notre infanterie allant ainsi droit la tête baissée au canon de l’ennemi, ceux qui en avaient la garde voyant l’orage se venir fondre de leur côté, quittèrent leurs postes, après quelque peu de défense et s’enfuirent, de quoi une voix en courut aussitôt par tous les escadrons, que les batteries de l’ennemi étaient gagnées et ses canons saisis, bruit qui augmenta extrêmement le courage des soldats, pour ce qu’ils en avaient reçu un dommage très grand, si bien qu’ils en allèrent avec plus d’allégresse et de résolution attaquer leurs fortifications, lesquelles partant ils rompirent à la fin, foncèrent dans la place d’arme des Palatins, et les mirent en désordre.
Les escadrons de chevaux regardant cette affaire commencèrent lors à se remuer, et ayant ouï crier : « Avance cavalerie », ils se trouvèrent à l’instant à la mêlée. Toute cette grande campagne où l’ennemi était, fut aussitôt pleine de fuyards, et peu de temps après, elle fut vue remplie de tous côtés de corps morts, par la diligence grande que les soldats firent d’en faire massacre, bien qu’ils étaient fort incommodés de marcher pour la grande quantité de piques, mousquets, cuirasses et autres armes que les fuyards avaient jeté parmi la campagne, pour courir mieux à leur aise ; et furent en cette poursuite à deux grandes heures de cette place d’armes, et y gagnèrent beaucoup de belles hardes et force argent.
Toute l’armée par après logea cette nuit sur le champ de bataille, y faisant par tout des grands feux en signe de réjouissance ; et le matin venu, elle avança jusqu’une ville appelée Heilbronn.
Stéphane Thion