La bataille de Leucate (28 septembre 1637) d’après les relations
Ci-dessus : Charles de Schomberg, duc d’Halluin
La bataille de Leucate, d’après les Mémoires de Richelieu, année 1637
Les Espagnols s’avancèrent le 29 août à Leucate et l’investirent, faisant état de l’emporter en moins de huit jours. Leur armée, commandée par Cerbelon, était de 10 000 hommes à pied, mais mauvais, la plupart jeunes gens que l’on menait par force à la guerre, et de 2 000 chevaux et 24 canons. ils voulurent faire passer leur artillerie par le Malpas, mais ils y rencontrèrent tant de difficultés qu’ils furent contraints de l’embarquer sur l’étang. (…)
L’armée (du duc d’Halluin) était de 11 000 hommes et 1 000 chevaux. (…)
On ordonne cinq attaques, l’une du côté du pont, qui était à main droite, au sieur de Saint-Aunais avec son régiment soutenu des communes de Narbonne, de Béziers et du diocèse de Castres, de la compagnie de volontaires commandée par le sieur de Lairon, et d’une de mousquetaires à cheval de Toulouse, commandée par le sieur de Calvet, trésorier de France audit Toulouse.
A la main gauche, près de la mer, vers un port nommé la Franquine, le régiment de Languedoc donna, soutenu par le sieur de Jonquières, Cauvisson et le baron de Mirepoix, avec chacun un corps d’infanterie qu’ils avaient amené, qui était soutenu par par M; le marquis d’Ambre, lieutenant du Roi en Languedoc, avec une troupe de ses amis particuliers au nombre de 150 gentilshommes qu’il avait amené, soutenu par le sieur de Lastrongle, guidon des gendarmes de M. le comte de Cramail qui avait amené 50 maîtres de sa compagnie.
A la main droite du régiment de Languedoc donna le sieur de Saint-André, à la tête de son régiment, soutenu par les communes de Nîmes et de Castres, soutenues par la compagnie de gendarmes du duc d’Halluin commandée par le sieur de Bioule ; après marchait le sieur de Clermont-Sessac à la tête de 50 ou 60 gentilshommes de qualité, volontaires, soutenus par le sieur de Magalasse.
A la main droite de Saint-André donna le régiment de Castelan, soutenu par un bataillon des communes de Montpellier et un de celles de Carcassonne, soutenues par le comte d’Aubojoux qui commandait la cornette blanche avec 100 gentilshommes, après lequel marchait le marquis de Mirepoix avec quelque 50 de ses amis, les sieurs de Monssolens avec le même nombre (50) de leurs parents et amis, et après le sieur de Mauléon avec même nombre (50).
A la main droite de Castelan donna le régiment de Vitry, à la tête duquel était le sieur de Clermont-Verpilliard, mestre de camp d’un régiment, et six officiers de La Tour qui étaient venus faire des recrues, dont trois furent tués et les autres blessés ; lequel régiment était soutenu d’un corps d’infanterie commandé par le sieur de Mervielle, et celui-ci par un autre commandé par le sieur de Vallac, soutenu par les gardes du duc d’Halluin commandées par le sieur Dandonville ; une autre compagnie de mousquetaires à cheval de Toulouse, commandée par le sieur de Casel, soutenus par la compagnie de chevau-légers du sieur de Boissac, à la tête de laquelle était le duc d’Halluin, laquelle était soutenue par le sieur de Sainte-Croix à la tête de sa compagnie ; après marchaient le sieur de Saussan et le sieur de Malves avec deux autres de 40 maîtres.
Sur la main droite de tous ces corps fut laissé un corps de réserve des communautés de Lodève, de Ganges et des Cévennes, soutenus par le sieur de Spondeillan avec une compagnie de 50 maîtres.
(Note : une compagnie de gendarmes comprend 100 maîtres et une compagnie de chevaux légers, théoriquement 55 maîtres).
Le signal de quatre coups de canon donné, les cinq attaques commencèrent ; celle de main droite faite par le sieur de Saint-Aunais fut repoussée, ayant été blessé d’un coup de mousquet à la tête, de huit coups de pique et d’épée, son lieutenant colonel tué et quelques autres officiers. Tous ces corps d’infanterie lâchèrent pied : aussi avait-on bien cru que cette attaque servirait plutôt de diversion que de voie pour emporter ce retranchement. Les quatre autres attaques réussirent, de sorte que les quatre régiments qui faisaient tête ne se contentèrent pas de faire passage à la cavalerie et de déloger à coups de piques et d’épées les ennemis de leurs retranchements, mais les poussèrent jusqu’à ce qu’ils eussent trouvé les divers bataillons et escadrons qui les soutenaient ; lors la cavalerie arrivant, le combat fut si opiniâtre de part et d’autre l’espace de deux heures, et la clarté de la lune semblait avoir une lueur extraordinaire pour favoriser la justice de la cause du Roi. Le régiment de Languedoc qui était à la gauche, força à coups de piques et d’épées, non seulement la ligne qu’il attaquait, mais aussi deux forts à la main gauche, ayant son mestre de camp à la tête, qui fut blessé de deux coups et fit aussi très-généreusement. Les autres corps entrèrent ensuite, les uns par les mêmes lieux, les autres par quelques endroits qu’ils avaient trouvés plus accessibles. lors le sieur d’Argencourt qui était à cheval à la tête des enfants perdus, dès qu’il y eut quelque nombre de soldats passés en forme de petites troupes, poussa avec eux les ennemis qui se présentèrent, pour donner moyen à nos gens de faire l’ouverture des retranchements qu’ils firent quitter aux ennemis après un très-long combat de main à main. Enfin lesdits régiments ayant un peu gratté et éboulé quelque chose des retranchements, le sieur de Mayola, qui était à cheval avec les enfants perdus, assura le duc d’Halluin qu’il avait vu que la cavalerie pouvait passer les retranchements, ce qui lui fut confirmé par un soldat que le sieur La Clotte, mestre de camp du régiment, et premier consul de Montpellier, lui envoya ; mais comme la cavalerie des ennemis se présenta en cet instant, quelques soldats de milice et autres, jusqu’au nombre de 2 000, se renversèrent sur lui qui était au pied de la colline prêt à monter, si bien qu’il demeura quelques temps à les vouloir rallier, mais inutilement. Craignant donc que ladite cavalerie ennemie ne poussât le reste de notre infanterie, il fit monter ses gardes, qu’il fit soutenir par la cavalerie qui se trouva là ; et comme il avait séparé sa compagnie de gendarmes et celle de Boissac aux deux extrémités de droite et de gauche, il fut contraint de se servir des volontaires. le comte d’Aubijoux avec ses amis soutint donc sesdites gardes, et les fit soutenir par le marquis de Mirepoix, qui entrèrent avec leurs amis vigoureusement, chargèrent quelque troupe de cavalerie qui se présenta (ces compagnies de cavalerie étaient en soutien du régiment de Castelan). Sesdites gardes, conduites par le sieur Dandonville et d’Essignac, firent leur salve de dix pas, et se mêlèrent en même temps dans l’escadron, où ils furent soutenus par lesdits comte d’Aubijoux et marquis de Mirepoix, lesquels, à cause de la nuit et de la vigueur avec laquelle ils suivirent les ennemis, s’égarèrent sans pouvoir retrouver le chemin du passage pour se rallier à nous. Sur ce temps-là le duc d’Halluin, voyant que le désordre continuait à l’infanterie, entra à la tête de la compagnie dudit sieur de Boissac qu’il mit à sa main gauche, et fut suivi de quelques gentilshommes qui faisaient un fort petit escadron derrière. À l’instant une troupe de 4 à 500 chevaux, commandée par Terrasse (cavalerie liégeoise), s’avança à lui ; il tourna, et ledit sieur de Boissac et lui le chargèrent avec environ 70 maîtres, en sorte qu’ils la renversèrent tout à fait. Sur ce temps-là le marquis d’Ambres, qui était entré par sa main gauche, trouva cette même troupe à sa retraite sur le temps de son ralliement, et la chargea si vertement avec le sieur de Spondeillan (réserve de cavalerie de 50 maitres), qu’ils la défirent entièrement, sauf quelque parti qui voulut retourner à eux et qui ne leur fit pas grande résistance. Ledit Terrasse était un renommé mestre de camp liégeois. Le comte Jean Cerbelon vint à un fort au-dessus du pont pour s’opposer à nous ; il n’avait de bien bonnes troupes en son armée que le régiment du Comte-duc qui était composé de toute noblesse d’Espagne et de personnes choisies dans tous leurs royaumes. Il fit sortir dudit fort 2 500 hommes dudit régiment qui vinrent en bataille, tirant par rang à notre infanterie, qui était encore dans le désordre de la première attaque, et les corps entremêlés les uns avec les autres. le duc d’Halluin appréhenda avec raison qu’ils ne branlassent, ce qui l’obligea à les aller charger avec ledit sieur de Boissac et quelques autres volontaires ; il y réussit en sorte qu’il repoussa ledit régiment jusque dans le fort d’où il sortait un feu continuel. Le duc d’Halluin, se trouvant peu accompagné, manda au sieur d’Argencourt qu’il lui envoyât des troupes qu’il ralliait d’autre côté le mieux qu’il lui était possible. Cependant il fit avancer des pelotons de son infanterie, soutenus par un corps de piques, pour déloger les ennemis d’un lieu d’où il faisait des salves continuelles qui estropiaient force monde, ne pouvant pas s’apercevoir, à cause de l’obscurité, que ces gens fussent logés dans un fort ; mais d’abord qu’ils virent avancer notre infanterie de Vitry et de Languedoc, ils vinrent au-devant d’eux par pelotons de mousqueterie, tout de même que les nôtres soutenus de piques ; et comme les Espagnols tirent infiniment mieux que nous, ils tuèrent quelques officiers et quelques soldats. le duc d’Halluin, assisté du sieur de Boissac, retourna lors à la charge où ils tuèrent quantité de d’Espagnols de coups d’épée, lesquels le lendemain se trouvèrent tous les uns sur les autres, sans avoir reculé d’un pas. Et il ne faut pas celer l’action de sept de leurs piquiers qui soutinrent douze des nôtres tout un temps, criant toujours vive Espagne ! jusqu’à ce qu’enfin les nôtres se résolurent de les enfoncer et les mirent au fil de l’épée. Ensuite et cela le capitaine Philippe Marine qui commandait un escadron, vint aux nôtres fort serré, au petit pas, et les obligea d’aller audevant de lui avec ce qui restait de Boissac, la compagnie de gens d’armes du duc d’Halluin et force volontaires, parmi lesquels étaient tous ces braves gens de la race des Monssolens, messieurs d’Annibal, de Pérault, de Clermont de Lodève, Morangé, de Mirepoix, d’Aubijoux, de Montbrun, Mense, de Bioule et le comte de Merinville qui fit merveilleusement bien. Nous nous jetâmes parmi eux avec un peu de confusion, qui nous réussit néanmoins, en sorte qu’après que les ennemis eurent fait la décharge de carabines et pistolets qu’ils portent, M. de Boissac dit au duc d’Halluin qu’il allait tuer le capitaine, à quoi il ne manqua pas ; en même temps l’escadron voulant tourner, le duc d’Halluin le prit par le flanc et le rompit entièrement. Ce régiment du Comte-duc fit une résistance inouïe, car étant percé, débandé en bande par les escadrons de Boissac et Sainte-Croix, à la tête desquels était le duc d’Halluin, se rallièrent huit ou dix fois à la faveur de leur fort, et le duc d’Halluin ralliant tout autant de fois sa cavalerie pour les défaire, de sorte que cinq heures durant, la victoire fut indécise, tantôt l’infanterie des ennemis se retirant rompue par notre cavalerie, tantôt notre infanterie pliant à partie de la cavalerie, poussée par le feu de ce bataillon, de telle sorte qu’il faisait croire que c’était plutôt toute l’infanterie ennemie en divers bataillons qu’un seul corps. Le combat dura cinq heures entières avec un feu de mousqueterie qui ne cessa jamais. Le sieur de Malves, à qui le Roi avait fait l’honneur d’accorder une compagnie de chevaux légers, fit aussi une fort belle charge à ce même régiment qui ressortit jusqu’à six fois ; et le combat fut si opiniâtre, que le duc d’Halluin, le sieur de Boissac, M. de Sainte-Croix et les gardes du duc d’Halluin, avec quelques volontaires, firent jusqu’à neuf charges contre leur infanterie et cavalerie. L’archevêque de Bordeaux qui était venu au bruit de la descente des ennemis en la province, alla prendre le régiment de Saint-Aunais, qui n’avait point réussi à son attaque, et les communes de Béziers et de Castres, et vint au duc d’Halluin criant tout haut qu’il lui amenait 4 000 hommes de pied et 400 chevaux tout frais. Peut-être que ces paroles étant entendues des ennemis les étonnèrent, car depuis ce temps-là, ils se contentèrent de continuer leur feu, sans plus faire paraître de cavalerie ni d’infanterie aux lieux d’où l’on pouvait aller à eux ; Cerbelon se retira alors avec la plupart de ses drapeaux. Ce qui fut le plus remarquable en cette occasion, fut que nos gens firent une vingtaine de ralliements contre la coutume des Français, et la compagnie du sieur de Boissac, au sortir du combat, se rassembla en un instant au premier mot dudit sieur de Boissac et de son lieutenant.
Un chacun étant demeuré tout le reste de la nuit sur ses armes et en ordre de bataille, l’obscurité depuis que la lune fut couchée étant si grande, que non seulement on ne pouvait voir les ennemis, mais on ne s’apercevait pas soi-même, quand le jour vint à pondre on discernait les ennemis fuyant, la campagne couverte de leurs corps morts et de leurs chevaux, l’étang tout couvert de gens qui se sauvaient et se noyèrent, et les diverses batteries pleines de canons dont les retranchements étaient fournis. Le duc d’Halluin marcha droit au camp de Cerbelon avec sa cavalerie, où il ne fut trouvé que sa vaisselle d’argent dans sa tente, et auprès celle de deux autres chefs, et l’argent de l’armée qui fut bientôt séparé, dix drapeaux et deux cornettes de cavalerie, qui furent les seuls qu’ils arborèrent, les tranchées vides, les batteries de l’attaque et les parcs de l’artillerie, et tout ce qui était des munitions des ennemis en si bon ordre, qu’il était facile à juger qu’ils n’avaient pas eu grand temps à se retirer, 32 pièces de fonte, 4 mortiers, 300 quintaux de poudre, 5 ou 600 de plomb, 7 ou 800 de mèches, 5 ou 6 000 boulets, autant d’outils pour la terre, 100 chariots attelés de mulets et boeufs, et une prodigieuse provision de chevilles et divers bois, témoignant bien que leur audace leur faisait penser à de plus grands desseins que leurs forces ne purent entreprendre. Nous y perdîmes beaucoup de noblesse et de soldats, mais les ennemis, sans comparaison, beaucoup davantage ; il en demeura des leurs 2 500 et près de 1 000 qui se noyèrent dans l’étang ; on en trouva plus de 1 300 morts sur le terrain, entre lesquels il y en avait un très-grand nombre de qualité. (…)
Quand Cerbelon avec ses troupes fuyardes arriva à Perpignan (alors ville d’Espagne), la ville eut peine à le recevoir : l’effroi était si grand qu’il leur semblait que l’armée du Roi les suivait en queue pour les attaquer partout où elles se retireraient ; néanmoins, parce qu’elle était presque toute composée de communes, elle ne passa pas outre, chacun étant si content de la victoire que Dieu lui avait donnée, que la plus grande partie se dissipèrent et se retirèrent chez eux. Le duc d’Halluin eut soin de combler les tranchées et les travaux des ennemis, de réparer Leucate et la munir d’hommes et de tout ce dont elle avait besoin pour la défendre.
La bataille de Leucate d’après le Mercure François de 1637
Comme si les assiégeants & les assiégés employaient toutes choses, les uns à leur attaque & les autres à leur défense, le duc d’Halluin recherchait toute sorte de moyens pour se mettre en état de combattre les ennemis. Et à cet effet il envoya des courriers aux chefs de l’armée navale du Roy, qui était en Provence, pour la faire avancer du côté de Leucate, jugeant que par ce moyen le secours était infaillible. les chefs de cette armée répondirent suivant les ordres qu’ils avaient du Roy, qu’ils seraient très aisés d’agir en cette occasion contre les ennemis de l’État, si les vaisseaux de leur armée trouvaient des ports en Languedoc capables pour les recevoir, & des rades où ils pussent être en sûreté.
L’archevêque de Bordeaux poussé par le zèle du service du Roy, ne se contenta pas de répondre par lettre à cette semonce, il vint lui-même en poste & arriva le 10 septembre à Béziers avec le pilote Real, le major et autres officiers de l’armée navale. Leur arrivée apporta une très-grande joie, par l’espérance qu’ils donnaient que toute la noblesse de Provence se devait embarquer, avec le régiment de Vailhac pour venir au secours. Mais ce plaisir ne dura que jusqu’à ce que les officiers de l’armée navale eurent reconnu le port d’Agde, la Nouvelle, & quelques autres lieux. Car ayant rapporté qu’il n’y avait ni fonds pour les grands vaisseaux, ni sûreté pour les galères, l’ont reconnu qu’il ne fallait plus s’attendre au secours de la mer, & que Dieu voulait que pour la gloire du Languedoc, l’action fût exécutée par les seules forces de la province, sans l’assistance des étrangères. Ce qui fit davantage presser la levée des troupes, pour la subsistance desquelles dans une assemblée convoquée par le duc d’Halluin, des prélats, barons, & villes plus proches de la frontière qui ont droit d’entrée aux États du Languedoc, & tenue à Béziers le 11 du mois de septembre, il résolut que la province fournirait 50 000 écus pour le secours de Leucate. En cette assemblée présidait l’archevêque de Narbonne, lequel a durant toutes ces occasions agi avec très-grande vigueur, pour délivrer la frontière de l’invasion des Espagnols, & mettre Narbonne en état de résister à leur effort, si leucate n’eut pas arrêté le cours de leurs entreprises. (…)
Il (le duc d’Halluin) fit la première revue de ses troupes le 22 septembre dans la plaine de Coursan, où se trouvèrent 9 000 hommes de pied, & 7 à 800 chevaux, auxquels il fit passer le canal d’Aude, sous les bastions de Narbonne, à la faveur d’un pont de bateaux, & le 23 il vint avec cette armée camper à Sigean, où elle séjourna le 24 afin que d’autres troupes que l’on savait approcher la pussent joindre. Aussi durant ce jour il arriva un renfort de 1 200 hommes de pied & 200 chevaux. Et bien que l’on fut assuré, par les routes données aux troupes qui se levaient aux quartiers de la province les plus éloignés, qu’il y avait encore plus de 6 000 hommes de pied & 500 chevaux qui venaient de diverses parts, le duc d’Halluin ne fut pas d’avis de les attendre, jugeant par la bonne résolution des troupes qui étaient près de lui, que c’était leur faire tort que de leur différer la gloire d’une bataille dont leur courage semblait lui promettre la victoire.
Le 25 au matin, l’armée fut divisée en avant-garde, bataille, & arrière-garde, & le duc d’Halluin prit le soin de former ces corps, pour les rendre de force proportionnée à son dessein. il fit partir sur l’heure l’avant-garde & la bataille composée de 7 500 hommes de pied & 400 chevaux, commandés par Argencourt maréchal de camp, avec ordre de camper à la plaine de Roquefort, & de sommer le château occupé par les ennemis, qui se rendirent la vie sauve, & le bâton blanc à la main, bien que l’assiette du château, & le nombre des hommes qui étaient dedans, fussent capable d’amuser notre armée quelques jours.
Le soir du 25 l’on avertit les assiégés, par le dernier signal de six feux allumés, sur le haut du mont de Desferrecaval, qu’ils verraient le lendemain le secours devant la place. Ces feux furent les avant-coureurs de ceux que la joie publique a fait allumer dans toute la France (…) Dès les quatre heures du matin notre général le duc d’Halluin partit de Sigean, menant avec soi l’arrière-garde, & la noblesse volontaire qui était demeurée pour l’accompagner, & joignit l’avant-garde & la bataille que Argencourt rangerait sur le haut de Desferrecaval ; & l’arrière-garde y ayant été ajoutée, l’armée se trouva composée de 11 000 hommes de pied, & de 1 000 chevaux.
Cette armée marcha en bataille depuis Desferrecaval jusqu’aux cabanes de la Palme, où il y avait trois compagnies de cavalerie des ennemis en trois escadrons, que les barons de Pujol et Dupré escarmouchèrent avec quelques volontaires ; elles se retirèrent chargées par les Gardes du duc d’Halluin, & 6 cornettes de leur cavalerie qui venaient de Fitou pour les soutenir, tournèrent tête & se retirèrent dans les retranchements de Leucate, laissant toute la plaine libre à nos troupes, qui continuèrent leur chemin sur la droite pour gagner le terrain qui leur était nécessaire, afin qu’en tournant après à gauche toute l’armée se trouvât en front des retranchements, à la vue desquels par le plan des approches que le duc d’Halluin avait réglé toutes nos troupes se présentaient à la fois, si bien que les ennemis ne pouvant juger de leur hauteur, l’armée leur paraissait deux fois plus grande qu’elle n’était. La compagnie des Gardes fut commandée de visiter les avenues du camp, suivie de la cavalerie qui était à l’aile gauche ; celle de la droite, commandée par Boissat, ayant été placée sur la venue de Fitou, afin que s’il y avait encore de la cavalerie ennemie, comme la plus grande partie avait accoutumé d’y camper pour la commodité des eaux, elle ne vint donner quelque diversion aux troupes lorsqu’elles seraient devant le camp des ennemis.
Le comte Serbellon voyant approcher notre cavalerie, fit semblant de vouloir détacher la sienne, pour escarmoucher à la faveur de ses forts ; mais les premiers qui sortirent des rentranchements ayant été vivement poussés par Andonville & Designac capitaine & lieutenant des Gardes, ils souffrirent que le duc d’Halluin reconnut le camp & ses avenues avec le marquis d’Ambres, le marquis de Varennes & Argencourt maréchaux de camp, Mayola lieutenant des Gardes de son éminence, le comte de Merenville, & Saint-André qui furent nommés par le général, pour l’accompagner en cette action, sans que la cavalerie des ennemis osât paraître pour les pousser, voyant que la moitié de la nôtre s’avançait pour les soutenir. Le canon des ennemis ne fut pas en cette rencontre si oisif que leur cavalerie, car tout ce qui était dans les forts tira sur la notre, tandis qu’elle fut dans la portée de leurs pièces ; & lors que les chefs & officiers de l’armée voulurent reconnaître de plus près les retranchements, le feu qui sortait des courtines & des redoutes fit juger qu’elles étaient gardées par un grand nombre de mousquetaires ; trois volées de canon donnèrent dans l’escadron du marquis d’Ambres, qui tuèrent le vicomte de Monsa & travanet, & blessèrent Jonquières de Narbonne.
Tout cela n’empêcha pas que le Duc & ceux qui l’accompagnaient ne reconnussent de bien près l’enceinte du camp des Espagnols, ils trouvèrent que leur travail avait été dessiné dans l’assiette la plus dangereuse qui se pouvait imaginer, car il occupait toute la sommité du front de la montagne qui regarde de la France, depuis le bord de l’étang de Leucate, jusqu’au port de la Franqui. Les retranchements étaient selon l’ordinaire composés de forts, lignes, tenailles & demi-lunes ; & là où la forme de la montagne les avait obligés à tirer des lignes droites, ils avaient avancé de grandes redoutes pour les flanquer. Outre les lignes de circonvallation, ils avaient fait un grand travail au dedans pour fortifier leur champ de bataille, qui était sur le haut de la montagne dans une belle esplanade derrière leurs retranchements, là où ils avaient dressé des forts dont l’ouvrage était merveilleusement beau, quoique la forme en fût irrégulière & assujettie aux éminences qu’ils avaient voulu occuper. La hauteur de ce travail était de huit à neuf pieds, plus ou moins relevé suivant que les lieux en étaient plus ou moins accessibles ; derrière il y avait des banquettes, & en quelques lignes là où il s’était trouvé du terrain qui peut être creusé. La matière de cet ouvrage était de pierre, de terre, & de fascine fort bien liés ensemble, avec pieux qui fortifiaient le travail, lequel était tellement accompli, qu’il n’y avait pas jusqu’aux banquettes & au glacis des parapets, qui ne fussent en leur perfection ; ils avaient encore fait des retranchements au bord de la mer & de l’étang partout où les barques pouvaient aborder, afin d’empêcher la descente d’un secours si les Français le voulaient hasarder sur les barques ; mais comme ces forts ne furent pas attaqués, serait inutile d’en écrire le travail. Ce qui rendait l’attaque de celui qui était à la tête de la montagne grandement périlleuse, c’était son assiette, car il occupait tous les bords du haut de la montagne, & tenait toutes les avenues, sous un commandement meurtrier en telle façon que par tous les endroits où l’on pouvait se présenter, soit aux lieux où la roche était escarpée, soit à ceux où la pente plus douce pouvait favoriser l’accès à notre cavalerie, depuis que l’on était à la portée de leur canon, jusqu’au pied de leur travail, il n’y avait arbre ni buisson, fossé, chemin, rocher, ni masure, qui pût mettre un soldat à couvert, ni donner moyen aux assaillants de loger quelque corps pour faciliter les approches du reste des troupes.
Toutes ces difficultés donnèrent sans doute un grand déplaisir à ceux qui les reconnurent, lesquels ayant jugé que l’attaque de ces forts ne pouvait être faite qu’avec un ordre bien concerté, l’armée vint camper aux cabanes de la Palme, où le Conseil de guerre fut tenu, & dans les irrésolutions que les impossibilités apparentes du secours causaient, il fut délibéré que le lendemain les principaux officiers des corps d’infanterie iraient reconnaître le camp des ennemis, & que cependant l’on sommerait la Palme, comme très-nécessaire à notre armée, tant à cause des fourrages que les ennemis y avaient retirés, que pour les eaux dont l’armée était fort incommodée, n’y ayant qu’un seul puits aux cabanes de la Palme. ceux qui tenaient la place ayant été sommé de la rendre, répondirent qu’ils avaient promis fidélité à leur Roy, & Dubourg, qui avait été premier capitaine au régiment de Picardie, eut commandement de les investir, avec les milices de Narbonne, commandées par Dassignan, & un régiment de 800 hommes que le baron de Ganges avait conduit à l’armée, avec ordre d’y amener deux pièces de canon pour les forcer en cas de résistance, ce qui obligea les assiégés de prendre composition, avoir que sept des officiers principaux emporteraient leurs armes ordinaires, & les soldats l’épée seulement avec leur bagage, réservé le butin qu’ils avaient fait, lequel ils promirent de laisser dans la place.
Cette reddition par un rencontre miraculeux fut faite le 27 septembre, qui est le jour très-fortuné de la naissance du Roy…
Durant que les troupes destinées au siège de la Palme pressaient la garnison espagnole à se rendre, les principaux officiers du reste de l’armée s’avancèrent vers les retranchements des ennemis, pour découvrir les avenues qu’ils jugeraient plus accessibles. Le général voulut lui-même reconnaître encore un coup le camp des Espagnols, & ayant mis en bataille toute la cavalerie de l’armée pour soutenir ceux qui reconnaîtraient, il approcha les retranchements à la portée de la carabine ; mais les ennemis prenaient telle assurance en leurs fortifications, qu’ils ne donnèrent aucun ennui à ceux qui les vinrent reconnaître, & tirèrent fort peu sur eux, témoignant qu’ils été aises que les Français vissent leur ouvrage, & croyant que cela les dégoutterait de l’attaquer, aussi le rapport de nos officiers après cette reconnaissance ne produisit autre chose que de nouvelles raisons pour appuyer les difficultés qui avaient été objectées au précédent conseil. Ce qui donna un extrême déplaisir au duc d’Halluin d’avoir fait une si belle levée de gens de guerre, & plus grande que pas un gouverneur auparavant lui, sans autre effet pour le service du Roy, que de retourner vers Sigean, & loger l’armée ès lieux voisins, pour empêcher simplement les progrès des ennemis, sans espérance de secourir Leucate. Et comme sa générosité ne pouvait souffrir les expédients que l’on proposait de bâtir des forts, & faire subsister un corps d’armée pour les garder, en un mot d’entretenir la guerre en son gouvernement, aimant mieux la finir par un généreux combat, & rendre au Languedoc la paix & tranquillité que cette invasion lui avait ôtée, il découvrit à Argencourt le dessein qu’il avait de hasarder une attaque générale contre les retranchements des ennemis, sur la confiance qu’il avait au bonheur des armes du Roy, & lui fit entendre qu’il avait remarqué du côté de la Franqui, des avenues en la montagne aisées pour la cavalerie, & que si l’infanterie se pouvait saisir de la ligne des tranchées ennemies, & y faire quelque ouverture, il ne faisait pas difficulté qu’il ne forçat les Espagnols dans leur camp, & ne les défit.
Il ne faut ici passer sous silence une particularité, qui a été couchée sur la relation imprimée à Montpellier, où l’on dit qu’après la reddition de la Palme, Argencourt avait pris une casaque de Carabin, & s’était mis parmi ceux qui en escortèrent la garnison au camp des Espagnols, & que sous cet habit il avait reconnu leurs retranchements, & quoique mon honneur ne sait pas de pointiller sur les relations dressées avant celle-ci, je suis obligé de ne laisser point aller cette circonstance, sans dire qu’elle avait tort à la franchise de celui que l’on feint s’être revêtu ; car outre qu’il y avait beaucoup à dire au déguisement d’un maréchal de camp, il est très certain que durant les deux jours que le général a fait reconnaître les retranchements, le courage d’Argencourt les lui fit voir de plus près que cette escorte ne les aborda, & qu’il n’avait pas besoin de cet artifice pour en rendre son jugement ; aussi ceux qui savent la défiance des Espagnols ne croiront pas qu’ils aient souffert l’abord d’une escorte si près de leur travail.
Tant y a qu’Argencourt bien instruit de l’état des tranchées ennemies, pour les avoir reconnues en maréchal de camp, & non pas en carabin, sur la proposition qui lui fut faite par le général, forma le plan de cette entreprise, fit le département des troupes pour donner par cinq endroits, & les ordres nécessaires pour l’attaque, & après les avoir mûrement digérées & consultées avec le duc d’Halluin, il les proposa le lendemain matin 28 septembre devant les archevêques de Bordeaux, & de Narbonne, les évêques de Béziers, Agde, & Albi, le marquis d’Ambres, & de Varennes, les comtes de Vieule, d’Aubijoux, de Clermont, de Lodève, de Merenville & de Boissac, qui louèrent & approuvèrent cette provision, & dès l’heure même les ordres en furent donnés & exécutés avec tant de générosité & de bonheur, que l’effet avantageux s’en est ensuivi la gloire de la Nation & la honte de ses ennemis.
Sur le projet de cinq attaques, Saint-Aunès demanda celle qui devait être faite entre la montagne et l’étang, son courage lui ayant fait choisir cette avenue, comme la plus dangereuse et fortifiée, elle lui fut accordée, et pour soutenir son régiment, furent commandées les milices de Narbonne, de Béziers, et du diocèse de Castres, la compagnie des volontaires du baron de Leran, & une des dragons de Toulouse, commandée par Calvet.
L’attaque de la main-gauche vers un port nommé la Franqui, fut donnée au régiment du Languedoc, soutenu par Jonquières Cauvisson, & le baron de Mirepoix, avec chacun un corps d’infanterie qu’ils avaient amené, ceux-là étaient soutenus par le marquis d’Ambres, avec une troupe de ses amis particuliers au nombre de 150 gentilshommes, soutenu par le sieur Lastronques, guidon des gendarmes du comte de Carmail, qui avait amené 50 maïtres de sa compagnie, & d’Espondillan avec une compagnie de 50 maîtres, que les premières relations ont par erreur logé à la garde du camp ; quoi qu’il ai paru des premiers dans le champ de bataille des ennemis.
A la main droite du régiment de Languedoc donna Saint-André à la tête de son régiment soutenu par les milices de Nîmes, & celle de la ville de Castres, soutenus par la compagnie des gendarmes du duc d’Halluin, commandée par le comte de Vieule, après lequel marchait le comte de Clermont de Lodeve à la tête de soixante gentilshommes.
Le régiment de Castelan fut commandé de donner à la droite de Saint-André, soutenu par un bataillon des milices de Montpellier, et un de celles de Carcassonne, soutenus par le comte d’Aubijoux qui commandait la cornette blanche avec cent gentilshommes, après lesquels marchait le marquis de Mirepoix avec 50 de ses amis, & Moussolens avec même nombre de ses parents, & après Mauleon avec pareil nombre de ses amis tous gentilshommes volontaires.
Le régiment de Vitry à la tête duquel était Clermont, Vertillac, & le baron de Murviel, Maistres de Camp des deux régiments, eut l’ordre de donner à la main droite de celui de Castelan, & devait être soutenu d’un corps d’infanterie de Murviel, & celui-ci d’un autre commandé par Valat soutenu par les Gardes du duc d’Halluin, commandés par Andonville, & une compagnie de mousquetaires à cheval de Toulouse, commandée par Catel, soutenue par celle des chevaux légers de Boissat, & celle-ci par le marquis de Sainte-Croix à la tête de sa compagnie, après laquelle marchaient Saussan & Malves, avec deux autres de quarante maîtres.
Outre ces troupes destinées pour assaillir les retranchements des ennemis, il en fut réservé plusieurs autres pour la garde du camp, & particulièrement les milices de Lodève & des Cévennes, dont les chefs reçurent un extrême déplaisir de se voir réduits à ce parage désavantageux, & demeurer oisifs, tandis que le reste des troupes combattaient.
Le département des troupes ayant été ainsi désigné, le duc d’Halluin le mit en bataille, & fit distribuer à celles qui faisaient la tête des attaques, nombre d’échelles, de fascines, de picquots & de pailes, pour écheler le retranchement des ennemis, combler les fossés, & faire quelque ouverture à la cavalerie. Et afin qu’il ne manquât rien à la solennité de l’action, il mit quatre canons à la tête des troupes, avec ordre de les placer au bord de l’étang de Leucate, à la gauche de la grange des Fenals, pour de là tirer quelques volées dans le camp des ennemis, comme s’il eut été assuré de la victoire, & que pour accomplir la gloire de la bataille, il voulut que l’on put dire que le combat avait été de toutes les forces d’une armée contre une autre, & que le canon avait joué des deux côtés. Cela même devait servir un autre dessein, parce que les quatre premières vollées de notre canon devaient donner le signal du combat. il est impossible de s’imaginer l’impatience avec laquelle ces troupes attendaient le soleil couché, pour marcher vers l’ennemi, ayant appris qu’il avait été résolu de n’aborder leur retranchement que sur le tard, pour empêcher les ennemis de voir où ils auraient plus nécessité de courir durant l’attaque, & pour ôter à leur canon, & à leurs mousquetaires le moyen de tirer avec tant de certitude, lors que notre armée ferait ses approches.
Au point que le soleil se coucha l’on reconnu une joie générale qui s’épandit par toute l’armée, comme si chacun avait pressenti, nonobstant l’impossibilité apparente du dessein, le fortuné succès qui devait réussir, & le coucher de soleil fut adoré comme l’orient de cette belle victoire, que par un présage miraculeux toutes les rencontres faisaient espérer de la hauteur du ciel, & de cette puissante vertu, que le dieu des batailles a mis dans les armes victorieuses de notre Roy… Le combat en a été commencé le 28 (…)
Soudain après que le soleil fut couché, l’armée marcha vers les retranchements des ennemis avec telle gaieté, que les enfants perdus qui avaient été détachés de leurs corps, chargés comme ils étaient d’échelles & de fascines, allaient chantant des vers qu’ils avaient composés en langage du pays, contre le duc de Cardone & le comte Serbellon. Cependant le duc d’Halluin suivait les bataillons d’infanterie pour les encourager, & marquer aux enfants perdus les endroits où ils devaient donner, & aux troupes qui les soutenaient l’ordre qu’elles devaient tenir dans le combat, ce qu’il fit avec une si grande adresse, que tous ceux qui furent présent à cette action remarquèrent que jamais l’armée n’alla en plus bel ordre en présence des ennemis, lesquels n’entendaient pas seulement nos tambours, & nos trompettes, mais encore ils voyaient de leurs retranchements venir nos troupes à eux avec le canon en tête, & pouvaient remarquer à la disposition de l’armée, les endroits par lesquels on les voulait attaquer, & par les échelles le dessein qu’on avait de forcer leurs murailles ; & à dire vrai ils reçurent l’affront tout entier, & leur fierté ne pouvait souffrir une bravade plus signalée, que d’être battus comme ils furent à coups de main, sans ruse, sans artifice, & sans surprise, par des troupes qui allant à eux leur faisaient reconnaître l’ordre de l’attaque & leur résolution.
Au partir du quartier l’on avait jugé que la distance qui était entre les deux camps était assez grande pour employer en avançant l’armée, le temps qui était entre le coucher du soleil & la nuit, & ne présenter nos troupes au canon de l’ennemi, que l’obscurité ne lui eut ôté l’avantage que le pays découvert lui donnait. Néanmoins la chaleur des troupes fut si grande, qu’elles arrivèrent au pied de la montagne lors qu’il faisait encore bien clair, ce qui restait du jour étant aidé de la clarté de la lune. Et sans attendre le signal de notre canon, les enfants perdus qui faisaient la pointe de l’attaque se débandèrent pour donner dans les premiers corps de garde des ennemis, encouragés par la présence & commandement du duc d’Halluin, lequel non content d’avoir fait le général, le maréchal, & aide de camp dans le département des troupes, dans l’ordre de leur marche & dans leur conduite, il voulut encore faire la fonction de capitaine des enfants perdus s’étant mis à leur tête, pour leur inspirer par son exemple la fermeté d’essuyer les premières décharges du canon & du mousquet. Et sans doute ceux qui étaient aux premiers rangs de l’attaque furent fort animés de voir leur général aller au-devant d’eux, jusqu’à les engager dans les escarmouches, était suivi en cette action, comme il fut durant tout le combat, du comte de Merenville, qui rendit dans toutes les rencontres de cette bataille, de grandes preuves de sa valeur, & de Villy gentilhomme du duc d’Halluin, lequel donna un grand témoignage de sa générosité, car ayant reçu dans le premier choc de la cavalerie ennemie, un coup de pistolet dans le bras, il n’abandonna jamais son maître, le suivit toujours dans la mêlée & dans le péril, & ne voulant pas même se retirer pour faire mettre le premier appareil à sa plaie, jusqu’à ce qu’après le siège levé il fut pansé dans le donjon de Leucate.
L’infanterie grimpa par cette montagne nonobstant la grêle des mousquetades, & la furie de 18 canons, au même ordre qu’elle était venue dans la plaine, ce qui faisait paraître le coeur & l’expérience des officiers de l’armée, parmi lesquels le marquis de Varennes premier maréchal de camp se signala, & tout malade qu’il était voulut se trouver à la bataille, où il agit vigoureusement, comme si l’ardeur de la fièvre qui le travaillait eût été un effet de son courage, & non pas de sa maladie. Argencourt qui était le second maréchal de l’armée, fit paraître en cette rencontre que son adresse en la conduite, & son courage en l’exécution allaient au-delà de la bonne opinion que toute la France a conçu de lui, l’ayant depuis longtemps reconnu pour un des plus savants hommes du royaume, tant pour les ordres d’une armée, que pour l’attaque & la défense des places. Les trois aides de camp, la Faverie, le Bose de Rocles, capitaine au régiment de Languedoc, & de Rupere lieutenant de la citadelle de Montpellier, gagnèrent beaucoup d’honneur à conduire les troupes dans les attaques, à les animer au combat, & à les rallier durant la mêlée.
Il fut bien difficile de garder l’ordre en montant, parce que la nature du rocher qui était en beaucoup de lieux, resserrait les troupes dans les avenues dont l’accès était plus aisé ; & il est impossible d’exprimer le péril où nos soldats étaient durant les approches, car le feu de 6 000 mousquets, qui défendaient la ligne attaquée, fut entretenu par les Espagnols avec un si grand ordre & diligence, qu’il faut leur donner la gloire de tirer des armes à feu tous les avantages possibles. La cavalerie française n’était pas exempte de ce danger, car ayant reçu commandement de serrer les derniers rangs de l’infanterie, tous les escadrons étaient dans la portée du mousquet. Et il y avait de quoi s’émerveiller du petit nombre d’hommes que nous perdîmes en ces approches, durant lesquelles toute l’armée fut bien près d’une heure exposée au canon & au mousquet de l’ennemi, qui tirait avec d’autant plus d’assurance, qu’il était à couvert dans ses forts, & avait pour visée de si grands corps de cavalerie & d’infanterie, que les coups en semblaient infaillibles. Un vent de nord qui s’éleva fort impétueux au commencement de l’attaque, incommoda fort les mousquetaires espagnols, il portait le feu & la fumée dans leurs yeux, ce vent en langage du pays est appelé Vent droit, & le secours que nos troupes en reçurent faisait croire que la justice du ciel l’envoya pour favoriser notre bonne cause.
Tandis que les Espagnols faisaient leur effort d’empêcher par leurs mousquets & leur canon l’abord de leurs retranchements à nos troupes, elles montaient toujours par la pente de la montagne avec grand silence, sans que l’in entendit autre parole que celles qui encourageaient à marcher & avancer. Et notre infanterie étant arrivée au pied de la muraille des ennemis, l’on vint soudain aux piques & aux épées, & la chaleur fut si grande, que nos soldats coupaient les pieux qui liaient le travail des tranchées, & avec les piques & les épées fouillaient dans les murailles, pour ébranler les pierres, qu’ils s’efforçaient d’arracher avec les mains. Les autres plantaient les échelles, & comme les ennemis leur voulaient défendre l’entrée, ils abattaient avec les pics les glacis des parapets, pour découvrir leurs mousquetaires, & faire brèche à leurs retranchements. Il y en eut de si déterminés, qu’ils allèrent dans les embrasures du canon, & malgré ceux qui les défendaient s’attachèrent aux roues des couleuvrines, & en jetèrent quelques-unes hors des tranchées, par ce moyen les embrasures que les Espagnols avaient faites dans les flancs de leurs tenailles, & dans les épaules de leurs redoutes, pour en défendre les lignes, servirent à nos soldats de brèche pour les forcer.
Si on en croyait la prudence de ceux qui choisirent la nuit pour favoriser le dessein de cette bataille, on se plaindrait du tort que ces ténèbres firent à la gloire de tant de vaillants hommes (…) & parce que toutes les troupes qui furent commandées à l’attaque de la montagne, donnèrent en même temps, & avec pareille vigueur, il est très-mal aisé d’en discerner par ordre les premiers avantages, ni de rapporter toutes les belles actions, que les chefs & les troupes firent chacun en particulier… (…)
Il est vrai que parmi les diversités des relations, l’on demeure d’accord que les troupes de la main gauche, où était le marquis d’Ambres, entrèrent les premiers du côté de la Franqui, & que celles de la main droite trouvèrent plus de résistance, & combattirent plus longuement, dont il semble qu’il est bien aisé de rendre raison : parce que le campement des ennemis étant à la main droite, la plus grande partie de leurs troupes s’y étaient retirées, & de là combattaient avec plus de vigueur contre les attaques plus proches de leur campement ; au lieu qu’elles n’osaient pas s’écarter pour défendre la montagne de la Franqui, comme trop éloignée du gros de l’armée. Il est aussi véritable que l’on donne la gloire au régiment de Languedoc, d’avoir le premier forcé à coups de piques & d’épées, non seulement la ligne qu’il attaquait, & toutes les redoutes, mais encore le fort Royal de la Franqui, qui était sur sa main gauche, à l’extrémité de toutes les attaques.
Ce régiment avait été divisé en deux bataillons, pour donner par deux divers endroits en même temps : le bataillon de la main droite fut attaqué par les ennemis qui sortirent de leurs retranchements par l’épaule de l’une des redoutes, mais ils furent si bien accueillis par les nôtres, qu’ils furent obligés de leur servir de guides, & leur apprendre le chemin par où ils pourraient entrer dans leur camp ; & comme leur sortie fut vigoureuse, & soutenue courageusement par les nôtres, ils furent d’abord aux mains, & mêlés en telle façon, que les ennemis se voulant retirer, ne purent empêcher que les Français n’entrassent confusément avec eux. Ce bataillon ne fut pas plutôt dans le camp des ennemis qu’il trouva que dans leur champ de bataille il y avait des gens de pied & de cheval rangés en très bon ordre. L’infanterie qui défendait la ligne que ce bataillon avait attaquée, effrayée par le mauvais succès de la sortie, se retira vers le fort de la Franqui pour se rallier ; mais comme la cavalerie des ennemis voulait donner sur nos gens de pied, & les empêcher de remettre le bataillon qu’ils avaient défilé en entrant, l’autre partie du régiment de Languedoc ouvrit heureusement les retranchements qu’il attaquait, encouragé par le marquis d’Ambres, qui était monté avec sa cavalerie jusqu’au bord du retranchement, & lequel dès lors qu’il y eut brèche suffisante pour faire grimper son cheval, entra le premier dans le camp des ennemis avec Spondillan, suivi de Lastronques & de leurs troupes. Soudain qu’il fut dans le champ de bataille il forma ses trois escadrons, mit Spondillan à sa droite, & Lastronques à sa gauche, & en cet état alla charger 400 hommes de cheval des ennemis qui venaient en bon ordre pour chasser notre infanterie du poste qu’elle avait gagné. Le combat fut plus rude à l’abord qu’à la mêlée, parce que les ennemis se servaient mieux des armes à feu que de l’, mais après qu’ils eurent tiré leurs carabines & leurs pistolets, le marquis d’Ambre les chargea si vigoureusement qu’il les rompit, tandis que l’infanterie du régiment du Languedoc ayant nettoyé la ligne qu’elle avait forcée, donnait dans le fort de la Franqui, qu’elle emporta d’abord, avec la chaleur de la première attaque. Les ennemis qui avaient été forcés aux retranchements y servirent beaucoup, car leur fuite dans le fort de la Franqui mit le désordre parmi leurs troupes qui le devaient défendre, lesquelles n’eurent pas le loisir de se servir de cette grande quantité de grenades & cercles à feu, dont ce réduit était rempli ; car nos soldats mêlant la terreur de leurs armes avec l’épouvante que les fuyards y avaient portée, tuèrent à coups de pique & d’épée tous ceux qui se présentèrent à la porte du fort, & faisant résonner les noms victorieux de Saint-Louis, & de France, qui étaient les mots de notre armée, donnèrent un tel effroi aux ennemis que les uns sautèrent par dessus la muraille, & s’enfuirent par la montagne, quelques autres se précipitèrent dans la mer. Ce fort que nous appelons la Franqui, à cause du lieu où il est situé, était par les Espagnols appelé fort du marquis de Guardia. Le régiment d’Oropesa avait ordre de le défendre, dont il s’acquitta très mal, & ne rendit pas la résistance à laquelle la force du lieu, & les munitions qui étaient dedans l’obligeaient ; car s’il eut fait son devoir il pouvait soutenir les efforts de toute nôtre armée durant quelques jours. Lambertie & Dions, suivis du baron de Monfrin capitaines au régiment de Languedoc, conduisaient les enfants perdus ; Monfrin & Lambertie furent blessés avec Susan capitaine au même régiment, & le chevalier de Suze qui le commandait, après avoir glorieusement conduit ses troupes à l’assaut de la muraille, & s’être rendu maître du fort de la Franqui, & du champ de bataille, fut après blessé dans les derniers combats d’une mousquetade à la cuisse, dont il est depuis décédé. Les barons de Mirepoix & de Jonquières Cauvisson, qui soutenaient avec leurs régiments celui de Languedoc, eurent bonne part à la gloire de toutes ces actions, pour y avoir grandement contribué de leur courage, de leur conduite, & des forces des troupes qu’ils commandaient.
Au même temps que le régiment de Languedoc entrait par les retranchements de la main gauche, celui de Saint-André, conduit par son maître de camp qui combattit fort généreusement, & fut blessé de deux coups, força le retranchement qu’il attaquait. Le régiment de Castelan en fit de même, où Icard son lieutenant colonel témoigna son courage & fut grandement blessé. Ce régiment fut vigoureusement soutenu par Laroque Fontiés qui commandait les milices de Carcassonne, lequel en forçant le retranchement des ennemis, fut blessé de plusieurs coups de piques & de pierres. Les officiers du régiment de Vitry montrèrent en leur attaque, qu’ils n’avaient pas perdu la vigueur & la résolution, avec laquelle ils avaient forcé les ennemis, dans les îles de Sainte-Marguerite & de Saint-Honoré, car ils firent des ouvertures par où leur régiment entra dans le champ de bataille. Clermont de Vertillac qui était à la tête de ce régiment reçut une pareille blessure à celle qu’il avait reçu aux îles.
Enfin toute l’infanterie attaqua vigoureusement les retranchements espagnols, & s’en empara les uns par l’escalade, les autres donnant par les embrasures, & par les espaces que les Espagnols avaient laissés dans les épaules de leurs tenailles pour faire des sorties. Quelques-uns avec les pics sapèrent le retranchement, & firent quelques petites ouvertures pour donner moyen à la cavalerie de faire grimper leurs chevaux ; & comme la chaleur des Français en la première charge est extrêmement redoutée des ennemis, soudain qu’ils virent nos soldats dans leur camp, la plupart de ceux qui bordaient leurs retranchements se retirèrent vers le gros de l’infanterie qui était en bataille, & vers les forts de la main droite, laissant l’entrée du champ libre à nos troupes, qui tuèrent tous ceux qui voulurent se mettre en défense. Mais après il arriva parmi nos victorieux un étrange désordre ; car comme la chaleur du combat & l’assiette du lieu avaient confondu les troupes, qui en beaucoup d’endroits étaient mêlées, les entrées des retranchements qui étaient en petit nombre & fort étroites apportèrent encore une plus grande confusion ; car les soldats qui y donnaient en foule & sans ordre, en telle façon que les Espagnols qui étaient en bataille à 100 & 200 pas de leur retranchement, eurent d’abord un très-grand avantage sur les nôtres, lesquels ne pouvaient se remettre en état de combattre, soit pour être les troupes confusément mêlées, soit pour l’obscurité de la nuit augmentée par la fumée du canon & du mousquet, ou pour le bruit que la joies des premiers succès causait, par les cris d’allégresse de Victoire, & de France, qui empêchaient que nul commandement ne fut entendu. les ennemis prenant cette occasion firent avancer toute leur cavalerie dont le choc fut en quelque façon soutenu par les chefs des régiments, qui ramassèrent quelques petits corps pour faire tête aux premières charges. mais beaucoup de soldats que la victoire avait débandés, ne se purent rallier pour ce combat, & il y en eut environ de 800 de diverses troupes qui se renversèrent sur la cavalerie, à la tête de laquelle s’était mis le général de notre armée, pour entrer dans le champ de bataille des ennemis, lequel voyant ce désordre voulut prendre le soin de remettre ces troupes ; mais jugeant après qu’il était très-difficile de rallier dans l’effroi ceux qui s’étaient dissipés dans la prospérité de la victoire, il s’avança vers les retranchements pour soutenir le reste de l’infanterie, & empêcher que la cavalerie des ennemis ne le poussât hors des postes qu’elle avait gagnés. Mayolas lieutenant des Gardes de son éminence, qui était monté à cheval, à la tête des enfants perdus, & qui avec eux était entré dans le champ des ennemis, & avait reconnu leurs troupes, donna fort à propos avis au général des ouvertures par lesquelles la cavalerie pouvait entrer. La Clotte mestre de camp du régiment de Montpellier servit encore fort utilement en cette rencontre, ayant fait travailler ses soldats à rompre le retranchement gagné, & y faire une ouverture par où des hommes de cheval pussent entrer : c’est par là que le duc d’Halluin fit donner ses Gardes, soutenus par les volontaires de la cornette blanche, que le comte d’Aubijoux commandait, suivis de l’escadron du marquis de Mirepoix, lesquels ne furent pas plus tôt dans le champ de bataille qu’ils chargèrent les ennemis à toute bride ; les Gardes conduits par Andonville & Designac firent leur salve à dix pas, & se mêlèrent l’épée à la main dans l’escadron où ils s’étaient attachés, lesquels ils percèrent & menèrent battant jusqu’au penchant de la montagne vers l’étang. Le comte d’Aubijoux & le marquis de Mirepoix poussèrent si rudement les escadrons qu’ils attaquèrent, qu’après les avoir rompus ils les poursuivirent jusqu’au bord de l’étang, & si avant qu’ils demeurèrent longtemps parmi les troupes des ennemis. En cette charge il y eut plusieurs gentilshommes de considération blessés, particulièrement Amboise frère du comte d’Aubijoux, qui reçut une mousquetade en forçant le retranchement.
Sur ce temps le duc d’Halluin suivi de plusieurs gentilshommes qui formaient un escadron, ayant mis les compagnies de Boissac & du marquis de Sainte-Croix à sa gauche, entra dans les retranchements & rencontra d’abord 4 ou 500 chevaux commandés par Terrasse, mestre de camp de la cavalerie liégeoise, qui venait pour choquer notre infanterie & la pousser hors des retranchements : le duc d’Halluin suivi de Boissac & de Sainte-Croix donna sur cette cavalerie avec tant de vigueur qu’il la renversa & la contraignit de se retirer en désordre au galop ; mais Terrasse ayant à la faveur de la nuit rallié ses troupes vers la pointe de la montagne de la Franqui, en même temps qu’il se voulut avancer pour revenir dans le champs de bataille, il fut aperçu par le marquis d’Ambres qui le chargea, suivi de Spondeillan & de Lastronques. En cette rencontre fut blessé le marquis d’Ambres de deux coups de pistolet dans le bras droit : ces blessures le mirent hors de combat, mais ne lui ôtèrent pas le courage d’y revenir ; car tout blessé qu’il était il fit deux charges fort vigoureuses, & enfin contraint par ses plaies & par les prières de ses amis, il laissa le commandement de son escadron au baron de Bonrepaux son beau-frère, lequel avec Spondeillan & Lastronques acheva de rompre la cavalerie liégeoise : Bonrepaux y fut blessé d’un coup de pistolet dans la tête, le marquis de Meures y fut aussi blessé, & le baron de Trevien tué.
Mais si les deux extrémités de la montagne étaient en feu, le duc d’Halluin combattant à la droite, & le régiment du Languedoc à la gauche avec sa cavalerie qui le soutenait, le combat qui se démêlait dans l’espace qui était entre ces deux ailes n’était pas moins rude ; car l’infanterie de Saint-André & de Castelan s’étant saisie des retranchements, le comte de Vieule qui était à la tête des gendarmes avec Monbrun, & Manse ses frères, & Serignan enseigne passa les tranchées des ennemis par les ouvertures qui furent faites à son poste. Le comte de Clermont de Lodève, Moussolens, & le reste de la cavalerie qui soutenait l’infanterie de Saint-André & de Castelan, entrèrent de même par les lieux qu’ils trouvèrent les plus commodes. Et soudain qu’ils eurent franchi les retranchements, ils allèrent tête baissée choquer les escadrons de cavalerie qu’ils trouvèrent opposés à leur entrée, & bien que les Espagnols fussent fort avantagés, pour être dans un ordre concerté, & dans un champ de bataille qu’ils avaient gardé durant un mois, là où les nôtres entraient à la file par les brèches & de nuit, dans un lieu qu’ils n’avaient pu reconnaître. Néanmoins le courage & la valeur des nôtres fut telle que les ennemis perdirent bientôt ces avantages avec le poste qu’ils défendaient, car ils furent rompus & défaits par nôtre cavalerie, & chassés bien avant dans la montagne.
La cavalerie ennemie ayant abandonné le champ de bataille, toute l’infanterie qui s’y trouva, & qui défendait les redoutes, fut poussée & rompue, la plupart mise en pièces, & il n’y eut que ceux qui prirent plus de confiance en leurs pieds qu’en leurs bras qui se pussent garantir. Cependant le comte Serbellon voyant le désordre de son armée se jeta dans son fort & fit avancer le régiment du comte duc d’Olivares, composé de 3 500 hommes d’estime, avec ordre à la cavalerie espagnole conduite par Philippe Marino de les soutenir : ces gens de pied vinrent au bord de l’étang où ils étaient campés, & ayant monté près du fort de Serbellon, se présentèrent à l’aile droite de notre armée ; témoignant par leur démarche leur adresse, & leur assurance, ils attaquèrent d’abord notre infanterie, qui était éparse, & suivait la déroute des Espagnols, lesquels venaient d’être forcés dans les dernières lignes de la main droite, & dans les redoutes plus proches du fort de Serbellon. Le duc d’Halluin voyant venir le régiment du Comte Duc, & craignant qu’il ne prît avantage sur nos gens de pied, rallia ceux qui se trouvèrent auprès de lui, & pour donner loisir au reste de se mettre en état, il chargea le régiment espagnol avec les compagnies de Boissat, Sainte-Croix, Saussan & Andonville, en telle façon que ce régiment fut contraint de se retirer, & de prendre un poste qui fut plus difficile à l’abord de la cavalerie française, que l’esplanade du champ de bataille où il était entré : il se remit au penchant de la montagne vers l’étang, sous le fort de Serbellon, en très-bon ordre toutefois, la pique trainante & tirant par rangs, avec toute la justesse qu’eussent pu observer des soldats bien dressés en faisant l’exercice.
Cette charge fut faite avec tant de générosité par notre cavalerie, & courageusement soutenue par l’infanterie espagnole, que les enfants perdus détachés de ce régiment furent rompus, & beaucoup d’Espagnols qui étaient dans les premiers rangs du bataillon, furent tués par nos cavaliers à coups de pistolets & d’épée. Mais aussi en revanche, la plupart de nos cavaliers furent démontés ou blessés, de sorte que pour entretenir le combat le duc d’Halluin se servit quelque temps de son infanterie, attendant qu’Argencourt ralliât la cavalerie & fit avancer partie de celle qui était sur la main gauche, & n’avait plus d’ennemis en tête, ayant donné la chasse à tous ceux qui défendaient le quartier de la Franqui. Une partie du régiment de Languedoc s’était venue rendre près du général, & se joindre à ceux de Vitry qui tenait la main droite ; ils détachèrent des pelotons de mousquetaires, soutenus par des corps de piquiers, pour aller reconnaître le corps de Serbellon, & ce régiment qui le défendait. Dès lors que les ennemis virent partir notre infanterie, ils envoyèrent au devant des pelotons de pareille force, les escarmouches en furent très belles & très-bien entretenues. Mais parce que les salves continuelles de ce régiment causaient un grand ravage dans nos troupes, le duc d’Halluin ayant rallié sa cavalerie retourna à la charge. Le combat fut rude, & fort opiniâtre de toutes parts, car les Espagnols demeuraient serrés & unis en façon, qu’il était impossible de les rompre, & nos Français poussant leurs chevaux jusqu’au milieu des piquiers, tâchaient de se faire ouverture à la pointe de l’épée, & si parfois ils faisaient quelques brèches dans ce bataillon, ceux même qu’ils rompaient se ralliaient avec tant de promptitude que sept de leurs piquiers se trouvant ainsi détachés & environnés par plusieurs de nos cavaliers rendirent témoignage de leur fermeté. Car poussés & choqués de toutes parts, après une longue résistance, ils moururent entassés l’un sur l’autre, criant jusqu’au dernier soupir, Viva España.
Cette infanterie espagnole qui s’était remise sous le fort de Serbellon, était grandement favorisée en ce combat par l’assiette du lieu, car elle était parquée sur le bord de la montagne, du côté de l’étang de Leucate, & dès lors qu’elle était pressée, elle se remettait dans le penchant, & à couvert du fort de Serbellon, qui défendait l’approche de cette avenue avec 4 canons. Ce fort était à la gauche de l’infanterie espagnole, & sur leur main droite il y avait un parc de chariots fermé d’une muraille de pierre sèche, flanquée de petites redoutes ; les ennemis avaient logés là dedans des mousquetaires qui donnaient de l’ennui à nos troupes, ce qui obligea notre infanterie d’attaquer ce parc où elle donna courageusement, & le força, mais par malheur nos soldats suivant les ennemis qui fuyaient devant eux mirent imprudemment le feu à quantité de poudre qu’il y avait, dont l’embrasement fut si soudain, que 100 des meilleurs soldats qui étaient à la pointe de cette attaque furent brûlés, entre autres Sueilles capitaine d’une compagnie de Vigan en fut fort gâté.
Cet accident fut suivi du piteux spectacle de ces pauvres soldats, lesquels embrasés depuis les pieds jusqu’à la tête, couraient tout en feu par le champ de bataille, & donnaient grand effroi à ceux qui croyaient que ce feu avait été causé par l’artifice des ennemis, & qu’ils avaient épandu de la poudre sur les avenues, pour surprendre dans les fougades ceux qui seraient trop hardis à les poursuivre. Celui qui sait les désordres qu’apportent tels accidents dans les combats, & qu’ils produisent des effets contraires à la nature du feu qui les cause, en refroidissant les troupes, & les rebutant d’assaillir ceux qu’elles croient être défendues par les feux d’artifices, jugera de la fermeté & de l’adresse du duc d’Halluin : il accourut aux troupes qui étaient les plus proches de cet embrasement, & qui s’en éloignaient en confusion, il les rassura & les remit en ordre pour l’accompagner à une recharge qu’il fit avec résolution d’emporter le fort de Serbellon, & de rompre l’infanterie espagnole qui se tenait parquée sous les défenses de ce fort, ce qui fut entrepris avec tant d’ardeur que la cavalerie après avoir mis en pièce quelques pelotons qui étaient devant le fort, donna jusque dans la porte, nonobstant les canons qui étaient là dedans, & l’élite des mousquetaires de l’armée, que les ennemis y avaient logés. Le duc d’Halluin poussa son cheval contre les retranchements, ne prenant pas garde qu’il y avait au devant un fossé dans lequel le cheval s’engagea ; mais comme la nature du lieu & la dureté du rocher n’avait pas permis de creuser beaucoup ce fossé, le cheval eut la force de remonter. Le marquis de Mirepoix mourut glorieusement en cette charge sur la porte du fort, percé à la tête & au corps de trois mousquetades, & en ayant encore reçu une à chaque jambe, son corps fut trouvé sur l’entrée du fort, & plus avant vers les ennemis de quinze pas que pas un autre corps des Français, aussi était-il issu de si généreux ancêtres, qu’ils avaient toujours dans les entreprises plus hasardeuses contesté la pointe aux plus vaillants.
Mais comme la cavalerie s’efforçait de rompre l’infanterie de Serbellon & d’entrer dans ses retranchements, Philippe Marino qui commandait la cavalerie espagnole, s’avança avec 4 ou 500 chevaux, & vint droit au lieu où le duc d’Halluin combattait, ce qui obligea de tourner tête vers cette cavalerie avec Boissac, le comte de Vieulé, le marquis de Sainte-Croix, Andonville & leurs compagnies : chacun de ces trois derniers eut deux chevaux tués sous lui dans le combat. plusieurs seigneurs & gentilshommes volontaires qui s’étaient ralliés près du général se trouvèrent en cette charge & aux autres actions plus hasardeuses, parmi lesquels les plus remarquables pour leur valeur & leur condition sont : les comtes d’Aubijoux, de Clermont de Lodève, de Merenville, Monbrun, & mauses frères du comte de Vieulé, Hannibal fils naturel de Henry de Montmorency connétable de France, le marquis de Peraut, Morangez, Restenclières frère du feu maréchal de Toiras, Mayolas, Goussonville, les barons de Saint-Gery, de Rives, de Mauleon, de Moussoulens, Montoussin del Travet, qui rallia l’escadron de mirepoix après la mort du chef, & fit de très bons effets avec sa troupe, la Prune, le Pouget, Bram, le vicomte de Clermont, de Rochechouart, Depaulo Granval, Noulet, Saint-Amans, Cavac, Ginestet, Maleytargues, saint-Martin, la Claverie, Belflou, saint-Just, Montarnault, la Cassaigne, Picquebarrau, Destros & plusieurs autres de qui les exploits mériteraient une relation particulière.
La cavalerie espagnole vint attaquer la nôtre & déchargea sur elle ses carabines & ses pistolets ; sur ce temps Boissac dit au duc d’Halluin qu’il allait pour l’amour de lui tuer le capitaine de l’un des escadrons qu’il avait en tête : après ces paroles il partit de la main, & fit heureusement le coup qu’il avait projeté. le duc d’Halluin donnant avec toute la cavalerie sur celle des ennemis ne fut pas moins heureux, il la perça du premier choc, & s’étant mêlé fit voir aux ennemis quel nom des Roys de ces deux nations était le plus accrédité dans les armes, car les uns & les autres dans le combat faisaient tenir les noms de France & d’Espagne, & les noms de leurs roys : les Français avaient pour leur cri le nom victorieux de Louis, & les Espagnols réclamaient en vain celui de Philippe.
Malves capitaine d’une compagnie de chevaux légers fit une fort belle charge au régiment du Comte-Duc qui ressortit de son fort, tandis que notre cavalerie était occupée à défaire celle de Philippe Marino. Et le combat fut si opiniâtre, que le duc d’Halluin, ayant tourné sur ce régiment, assisté de Boissac, Sainte-Croix, des comtes de Vieulé, d’Aubijoux, Clermont de Lodève, Berat, le Travet, Saussan, Moussoulens & d’un escadron de volontaires, fit jusqu’à 9 charges contre cette infanterie & combattit avec tant de valeur, de courage & de bonheur, que pendant 5 heures entières qu’il fut dans la mêlée au milieu du feu & du fer, à la bouche des canons ennemis, & devant leurs retranchements, il y rompit trois épées, défit tout ce qui parut d’espagnols dans le champ de bataille & força leurs forts, rallia par vingt fois sa cavalerie, & sortit de ce long & périlleux combat sans aucune blessure, donnant force & vigueur partout où il était présent, imitant en la prudente conduite, & en la vigueur de l’exécution, le grand maréchal de Schomberg son père, à la valeur duquel il a succédé. (…)
Les Espagnols avaient plus d’infanterie & de cavalerie que nous, lorsque notre armée fut en présence, mais depuis le 26 que le secours parut jusqu’à la nuit du 28 que la bataille fut donnée, les Espagnols furent renforcés de 2 000 hommes d’élite qui furent tirés sur les garnisons voisines, & l’on tenait pour certain qu’ils avaient 14 000 hommes de pied, & 1 600 à 2 000 chevaux, là où dans notre armée il n’y avait que 11 000 hommes de pied & 1 000 chevaux, dont il en fut laissé environ 4 000, où à la garde du camp ou au poste de Saint-Aunès du côté de l’étang, avec trois compagnies de cavalerie, de sorte que l’on peut assurer que 7 000 hommes de pied français avec 800 hommes de cheval, la plupart volontaires, ont forcé cette grande armée espagnole par une attaque aussi vigoureuse qu’il en fut jamais : car que peut-on imaginer de plus déterminé, que de grimper par une montagne à découvert à la vue de 18 canons & 6 000 mousquets, d’aborder un retranchement flanqué régulièrement, & qui occupait toute la sommité de la montagne ? (…)
Le fort de Serbellon eut été forcé, & le bataillon qui combattait sous ses défenses eût été taillé en pièces si la nuit n’eût ravi par ses ombrages l’éclat de cette victoire à notre armée : car comme le duc d’Halluin avait donné l’ordre à toutes ses troupes d’investir le régiment du Comte-Duc & son réduit, pour lui donner une attaque générale, la lune se coucha, & les ténèbres de la nuit augmentées par la poussière, qu’un vent impétueux élevait, & par la fumée du canon & des mousquets, contraignit les uns & les autres d’interrompre le combat. Aussi l’obscurité était si grande, que nos écharpes blanches ne se reconnaissaient plus, ce qui causait un grand désordre ; car nos cavaliers qui se trouvaient démontés étaient traités comme s’ils eussent été de l’infanterie ennemie, & les autres cavaliers lorsqu’ils venaient de la charge étaient pris pour des espagnols par nos gens de pied qui gardaient les retranchements gagnés. Si bien qu’après six heures de combat employées à forcer les tranchées des ennemis, à prendre leurs forts, & à les combattre dans leur champ de bataille, l’on fut contraint de se rallier dans le champ que l’on avait conquis, avec résolution d’attendre le jour pour achever ce peu qui restait en état de faire résistance.
Notre cavalerie demeura toute la nuit à cheval & l’infanterie sur les armes. mais il faut avouer que l’une & l’autre étaient en petit nombre. Car pour les cavaliers, la plupart avaient été blessés ou démontés, outre que la mort, & les blessures des personnes de condition, avaient extrêmement affaiblis les escadrons qu’ils commandaient. il en était de même de l’infanterie, où les canons & mousquets avaient fait si grand ravage, & ce qui faillit à la dissiper entièrement sur le butin. Car le champ de bataille était couvert de morts, d’armes & de chevaux, les parcs de munitions des Espagnols étaient abandonnés, leurs tentes délaissées, tout leur équipage & attelage en proie, si bien que la commodité du pillage, & la faveur de la nuit, faisaient débander nos soldats, lesquels chargés d’argent, de bagage, & d’armes, se détachaient de l’armée. Dans cette extrémité l’archevêque de Bordeaux rendit un signalé service ; il était au commencement au poste de Saint-Aunès ; mais voyant le mauvais succès de ses troupes, il s’en vint aux autres attaques, y étant appelé par le bruit des canons & des mousquets, qui lui firent entendre que du côté de la montagne les attaques étaient plus vigoureuses qu’au bord de l’étang. Il travailla fort utilement, durant le combat avec un grand zèle & grand courage, se tenant à l’ouverture des retranchements, & courant par le champ de bataille, pour animer ceux qui venaient, & rallier ceux qui se débandaient, & lors qu’après le combat fini il s’aperçut du petit nombre qui restait, il se ressouvint des troupes de Saint-Aunès, qu’il avait laissées oisives au bord de l’étang : il les alla quérir, & parce qu’en les conduisant, il était obligé de passer sous le fort de Serbellon, il criait à nos sentinelles plus avancées vers ce poste qu’il amenait 4 000 hommes de pied & 400 chevaux tous frais, ce qui donna sans doute un grand effroi aux ennemis, lesquels depuis l’arrivée de ce renfort, ne firent plus paraître aucune infanterie ni cavalerie que l’on peut combattre, & se contentèrent d’entretenir le feu dans le fort de Serbellon, où ils tiraient sans cesse, pour empêcher que notre armée ne découvrit le désordre qui était dans la leur.
Ces troupes de l’attaque de Saint-Aunès avaient été commandées pour servir de première diversion. Néanmoins elles furent devancées par le régiment de Languedoc, & les autres, qui se trouvant à portée du canon ennemi, précipitèrent leurs attaques avant que le nôtre commençât à jouer, & de donner le signal de la bataille ; cela fut cause que Saint-Aunès fâché de se voir devancé, & emporté par l’ardeur de son courage, se mit à la tête des enfants perdus de son régiment avec Maureillan son lieutenant colonel, Rossel major, Cauderoque lieutenant de la Mestre de camp, quelques autres officiers & gentilshommes volontaires, & entre autres le chevalier de Vilauric de la maison de Seguier en Languedoc, qui ne faisaient pas en tout cinquante hommes, ils abordèrent le retranchement, donnèrent dans la porte qu’ils trouvèrent ouverte, & défendue par des hommes armés qui attendaient la pique à la main. Les redoutes qui flanquaient cette porte, le fort qui la dominait, & la courtine firent une salve si furieuse, que ceux qui devaient soutenir les enfants perdus n’allèrent pas avec la même ardeur que leur mestre de camp, lequel combattit longtemps pour forcer la porte, & ceux qui étaient avec lui tâchèrent de monter avec des échelles sur le retranchement mais ce petit nombre diminuant toujours par les coups de mousquets & de canon que les ennemis tiraient, il arriva qu’une vingtaine de cavaliers espagnols descendirent par l’épaule du fort de Serbellon vers le bord de l’étang, & Saint-Aunès, & ceux qui les devaient soutenir. Alors cette petite troupe qui était avec lui se trouva à un extrême péril, ayant en tête l’infanterie qui gardait les retranchements, & des cavaliers derrière contre lesquels il fallut tourner visage & laisser la porte & les échelles. Mais en même temps il sortit encore quelque infanterie espagnole qui donna sur ce peu qui restait des nôtres, au secours desquels s’avancèrent ceux qui devaient soutenir les enfants perdus, & à la faveur de leur charge les nôtres se développèrent des ennemis qui les tenaient environnés, Saint-Aunès que les Espagnols avaient saisis, échappa de leurs mains blessé de huit coups d’épée, ou de pique. Maureillan son lieutenant colonel y fut blessé d’un coup de pistolet, Rossel major de son régiment, & trois de ses capitaines blessés, le reste du régiment effrayé par ce premier succès, & privé de la conduite de son mestre de camp, de son lieutenant colonel, & du major ; la cavalerie à laquelle ils devaient faire ouverture ; & parce que cette avenue était très-difficile, les troupes en furent si fort rebutées, que ne pouvant pas voir ce que faisait le reste de l’armée au-delà du fort de Serbellon, elles crurent que toutes les attaques avaient été aussi malheureuses que la leur, & appréhendant pour le canon qu’elles avaient en garde, elles se mirent en bataille de crainte qu’il ne vint quelque cavalerie du côté de Fitou pour enlever les canons, & donner sur l’armée, tandis qu’elle attaquait le camp des ennemis. On ne peut pas nier que la confusion ne fut très-grande parmi cette infanterie ; parce que les principaux officiers de l’armée étant dans la mêlée sur la montagne, personne ne se souvint durant l’ardeur du combat de ces troupes, qui demeuraient inutiles au bord de l’étang, jusqu’à ce que l’archevêque de Bordeaux leur alla donner la nouvelle du progrès que les autres avaient fait en leurs attaques, & les amena au champ de bataille conquis par les nôtres, où elles se mirent en état de combattre pour réparer l’échec qu’elles avaient reçu en leur poste.
Les assiégés avaient si grand intérêt à la venue & au combat de leurs secours, que l’Histoire ne se peut dispenser de ne parler pas du siège, depuis que notre armée fut en état de le faire lever, croyant qu’il n’y a point de discours qui puisse être plus agréable à des assiégés, que celui qui avance leurs secours, & presse leur délivrance. Aussi est-il véritable que depuis le 22 septembre jusqu’au 26, que le secours parut, il ne se passa devant & dedans la place autre chose de mémorable, si ce n’est que les Espagnols redoublaient toujours les efforts de leur batterie, & creusaient des tranchées dans le rocher pour percer sous la fausse-braye, & les nôtres tiraient incessamment à leur accoutumée. Le plus grand canon qui fût en la place creva au milieu du sieur de Barry, de Lermond, & du père Barry jésuite, sans que personne fût blessé des éclats. Ce père Barry est frère du gouverneur, & semble que pour sa consolation, & pour l’assistance des assiégés, la providence divine l’amena trois jours avant le siège dans le château de Leucate, où il il n’avait été depuis 35 ans, il arriva le jour de Saint-Louis, & entendant les avis fréquents du siège prochain, il y voulut arrêter pour y servir comme il fit très-utilement.
Il est impossible d’exprimer la joie que les assiégés eurent à la vue du secours, & les appréhensions qu’ils ressentirent le 26 septembre, lors qu’après que l’armée eut demeuré quatre heures en bataille devant les retranchements, elle se retira pour camper aux Cabanes de la Palme, craignant les assiégés que les fortifications des ennemis eussent dégoûté l’armée de les attaquer. (…)
Durant six heures que le combat dura, les assiégés flottèrent entre l’espérance & la crainte, mais lorsque l’obscurité de la nuit eut donné la trêve aux deux armées, ils souffrirent une cruelle guerre par la crainte qu’ils avaient été repoussés. (…) Cet embrasement (de l’église) fut le premier signal de la victoire que les assiégés reçurent, car notre armée durant l’obscurité de la nuit, s’était resserrée sur la pointe de la montagne du côté de la Franqui, éloignée d’environ demi-lieue du château de Leucate, & séparée par de rudes montagnes dont le chemin était durant la nuit très-difficile, & désavantageux à la cavalerie, & au lieu que tout le soin des nôtres était de se rallier & de se mettre en état pour continuer la bataille au point du jour, les Espagnols au contraire pour éviter le choc d’un second combat, furent bien aises que l’obscurité de la nuit couvrit la honte de leur fuite (…) ; ils s’enfuirent par le plus rude chemin de la montagne, traversant du bord de l’étang vers la mer, & de là gagnèrent le Grau, laissant tout leur camp en proie aux victorieux, cependant que 200 mousquetaires, logés dans le fort de Serbellon, amusaient notre armée tirant toute la nuit. Sur le point du jour, le général de notre armée trouva bon de ne s’amuser plus à l’attaque de ce fort, où les troupes s’étaient durant la chaleur du combat un peu trop ardemment attachées , & résolut de traverser par le milieu de la montagne, vers le château de Leucate, faisant état qu’ayant rompu le camp ennemi, & secouru la place assiégée, ce fort ne pouvait pas résister. Avec ce dessein, toute l’armée marcha dès le point du jour mais la première clarté de l’aube lui découvrit bientôt la fuite des ennemis que la nuit avait cachée : toute la montagne était couverte d’armes que les fuyards avaient jetées, ou pour s’en aller plus légèrement, ou pour ne pas porter en espagne les reproches honteux de leur lâcheté. les assiégés qui étaient en attente reconnurent bientôt aux casaques écarlates, que les troupes qui venaient vers la place étaient françaises ; ils vinrent ouvrirent les portes aux victorieux, le duc d’Halluin trouva le sieur du Barry sur la fausse porte, qui était derrière l’épaule du bastion Saint-Pierre, lequel voulut lui témoigner l’obligation qu’il avait à sa valeur ; mais le duc d’Halluin l’interrompit, & s’adressant au père Barry jésuite, il lui dit que c’était à Dieu que les grâces de cette victoire étaient dues : & lui demanda de le conduire à la chapelle du château ; mais parce qu’elle avait été ruinée par le canon & les bombes, il fut conduit à un autel qui avait été dressé à une courtine, qui était le plus à l’abri de la batterie. (…)
Il visita la place & trouva qu’au grand honneur du sieur de Barry le château ne manquait de munitions de guerre, ni de bouche, & que l’eau avait été si prudemment ménagée qu’il y en avait encore plus d’un pied dans la citerne. les assiégés n’avaient perdu durant le siège que 20 hommes & quelques femmes, mais les blessures & les maladies les avaient réduits à 50 hommes de combat, nombre fort petit à la vérité pour défendre quatre bastions, si leur courage n’eut couvert ce défaut par la résolution généreuse qu’ils avaient faite de mourir l’épée à la main.
L’on a su par le rapport des prisonniers, que ce petit nombre d’hommes en avaient durant le siège tué 700 des ennemis, & parmi cela 15 hommes de commandement. ils avaient attaqué cette place par cinq batteries, où il y avait 16 canons & 4 mortiers ; les tranchées des approches & des batteries n’étaient pas creusées, pour être faites sur le rocher, elles étaient de fascines fort bien agencées en forme de blindes ; mais ils avaient tiré deux tranchées vers la place, pour faire des attaques, celle qui était la plus avancée était du côté du couchant, attachée à la fausse-braye du bastion Saint-Pierre, par deux lignes à trois toises l’une de l’autre ; & semblait qu’en l’une des lignes ils avaient voulu commencer une mine, parce qu’avec grand travail ils avaient creusé le rocher ; les murailles de la fausse braye étaient rasées en deux endroits, en telle façon que les chevaux y montaient sans peine. le bas de la brèche du bastion Saint-Pierre aboutissait quasi au haut de la ruine que le canon avait faite, à cause qu’il n’y avait point de fossé qui put recueillir le débris, dont les ennemis prétendaient se servir pour l’assaut général, qu’ils avaient résolu de donner le soir même que nos troupes assaillirent leurs retranchements. Néanmoins cette ruine & cette brèche étaient si droites, que pour ébouler le bastion jusqu’au point de le rendre accessible, il eut fallu encore plus de dix jours de batterie. ce petit château de Leucate a souffert 4 500 coups de canon.
Durant le temps que le général visitait la place, & écrivait au Roy le succès de ce glorieux combat, les soldats couraient la montagne, pour jouir du fruit de la victoire. Ils voyaient partout des Espagnols désarmés, qui plus éblouis de l’éclat des armes françaises, que de celui du soleil, ne savaient gagner le chemin de leur retraite, ni sortir de la confusion, où l’horreur de la mort plutôt que celle de la nuit, les avait tenu depuis l’attaque…
(…) Les troupes qui restaient dans le fort de Serbellon (…), voyant venir le jour, s’enfuirent à toute course vers le Grau : ceux qui ne furent passés vites pour gagner ce passage, se jetèrent dans l’étang, & il y en eut qui se précipitèrent dans la mer. (…) Ceux qui s’enfuirent par le Grau furent suivis par quelque compagnie de nôtre cavalerie, qui croyait que les fuyards qui étaient 4 ou 500, dussent faire quelque résistance ; mais ils jetèrent jusqu’à leurs épées pour n’être pas obligé de s’en servir, & dès que les nôtres les abordèrent, ils mirent les genoux à terre pour leur demander la vie. (…)
Jamais vaincus n’ont été plus doucement traités, que furent tous ceux qui en cette rencontre se remirent à la discrétion des Français, car il fut trouvé dans le Grau sur les bords de la mer, ou dans la montagne en divers endroits, bien près de 1 200 personnes, qui reçurent toute la courtoisie qu’elles pouvaient désirer. Celles qui tombèrent au pouvoir des cavaliers & des personnes de condition furent congédiées & renvoyées en Espagne, après avoir reçu toute sorte de bon traitement, & ceux qui furent au partage des soldats, en furent quittes pour l’argent qu’ils portaient, sans que l’on exigeât d’eux aucune rançon, & il n’y en eut que trois ou quatre qui furent obligés d’en payer à leurs preneurs. Le pillage du camp & le butin que firent les soldats, ne se peut estimer non plus que les munitions & les canons que les ennemis abandonnèrent. (…) Plus de 6 000 mousquets restèrent sur la place, dont toute notre frontière se trouve maintenant armée, leur calibre est deux fois plus grand que celui des nôtres, & nonobstant leur pesanteur, l’infanterie espagnole s’en servait avec grande adresse, mettant toute son industrie aux armes à feu pour combattre de loin, & tâcher d’éviter de venir aux mains…
Ils laissèrent dans les tranchées 14 canons de batteries, & 4 mortiers, & dans les retranchements 16 couleuvrines bâtardes, outre 2 grandes couleuvrines parfaites qu’ils avaient tirées de leurs batteries, depuis l’arrivée de notre secours, pour les mettre dans le fort Serbellon, & 4 petits canons, ou bidets qu’il y avait dans le champ de bataille de la cavalerie. Quant au nombre de drapeaux que l’on a gagnés en ce combat, l’on ne peut dire avec certitude, car outre les 10 ou 12 qui ont été envoyés au Roy, il y en a une grande quantité qui furent enlevés & recelés par les particuliers qui voulurent garder dans leurs maisons ces trophées pour marques honorables de l’honneur qu’ils ont eu de se trouver à cette bataille.
Et pour les munitions (…) page 499 (…) L’on trouva dans ces parcs de munitions une si grande quantité de grenades, de cercles à feu, de bombes, de chausse-trappes, de chevalets, mantelets, planches pour faire des galeries, de pontons, de harnais pour attelage de chevaux, de toute sorte d’instruments pour remuer la terre, percer le rocher, couper le bois, que la description en serait ennuyeuse. Seulement dirais-je cette particularité qu’outre les instruments, dont ils avaient pourvu 4 000 pionniers qui travaillaient au retranchement de leur camp, il y avait encore plus de 6 000 instruments propres à cet usage, & il en était de même du reste des munitions, jusqu’aux fers des chevaux, les clous & les chevilles, dont il y avait des monceaux si grands qu’ils faisaient bien connaître que ces préparatifs étaient pour une entreprise de longue haleine. L’on ne vit jamais dans une armée royale tant d’artifices à feu, comme il y en avait dans leurs parcs, ni de plus belle invention, & particulièrement des cercles qui étaient faits de cordes goudronnées, entre-tissées en forme d’une couronne d’épines, où ils avaient entrelacé de grands clous, dont les pointes sortaient demi-pied hors du cercle, & de petits canons de pistolets qui étaient chargés d’une balle, ce qui faisait en même temps trois effets très-périlleux : car la mixtion artificielle, dont les cordes étaient imbues & couvertes, épandait le feu, les canons de pistolet tiraient leur balle, & leur effort enlevait les cercles, qui avec ces pointes de fer faisaient un grand ravage parmi les soldats sur lesquels ils étaient lancés. (…)
Le champs de bataille était couvert de leurs morts, les brèches du retranchement & des forts gagnés en étaient aussi remplies, mais comme la vanité des Espagnols est industrieuse à déguiser leurs pertes, quoique l’on ai trouvé parmi les morts beaucoup de personnes qui portaient l”écharpe rouge avec frange d’or & d’argent, des chaînes d’or, & des cordons de diamant, & soixante bâtons de commandement épars dans le camp : ils cachèrent néanmoins avec un religieux silence la qualité de leurs morts, en telle façon qu’ayant conduit des prisonniers pour leur faire reconnaître si parmi les morts il y avait des capitaines, & des hommes de commandement, les prisonniers, qui conservaient dans le piteux état de leur fortune cette vaine ostentation de gravité, que les Espagnols affectent, ne voulurent indiquer, ni particulariser aucun homme de marque, mais comme ils étaient pressés par les demandes qui leur étaient faites sur ce sujet, ils répondirent, todos, voulant dire que ceux qui en cette occasion avaient mieux aimé perdre la vie, que fuir lâchement, étaient tous hommes de mérite. Il y avait dans les brèches des retranchements en divers endroits une douzaine d’Espagnoles qui avaient été tuées dans le premier assaut, vêtues et armées en soldats : la délicatesse du teint, la blancheur des mains, & la propriété du reste du corps, témoignaient que ces femmes avaient vécu avec plus de soin de leur beauté, que de leur pudeur, & comme la nouveauté de ce spectacle attirait les yeux des plus curieux, quelques-uns demandèrent aux Espagnols prisonniers s’ils connaissaient des femmes, & sous quels capitaines elles portaient les armes, ils dirent que non, mais il y en eut un lequel regardant ses compagnons avec mépris, leur dit d’un ton —stueux, « digan que ne son mujeres, mujeres son los que huyeron », dites que ce ne sont pas des femmes, ce nom doit être donné à ceux qui ont fui. (…)
Il est malaisé de dire avec certitude les noms des chefs que les Espagnols y perdirent, parce qu’ils usent de grand artifice à les cacher, mais il est très-certain que par les revues que Serbellon a fait de son armée après cette déroute, on trouva qu’il avait perdu 4 000 hommes, des blessures, ou qui s’étaient noyés : cela fut ainsi constamment assuré par tous les espions de la frontière, & accordé par les trompettes des ennemis, & par ceux qui vinrent pour retirer les prisonniers, lesquels dirent que Serbellon n’avait perdu dans le combat que deux mestres de camp & 16 capitaines, mais que plusieurs en étaient depuis décédés à Salces & à Perpignan, des blessures qu’ils avaient reçus, entre autres, Terrasse maître de camp de la cavalerie liégeoise, Philippo Marino qui commandait la cavalerie espagnole. l’on publie d’autres noms d’Espagnols, qui furent blessés & tués, mais parce que les rapports en sont différents & incertains, je n’en ai pas voulu charger cette Relation.
Les Français qui ont été tués, ou blessés dans cette occasion, ont finis leurs jours d’une mort si glorieuse, & ont reçu des blessures si honorables, que ce serait faire injure à leur gloire d’en diminuer le nombre, car l’attaque étant périlleuse, & le combat ayant été entretenu six heures avec obstination, ce serait se flatter de trop grand bonheur, que de se persuader que nous n’avons perdu que 200 hommes comme quelques-uns ont écrit. Il y eut 1 200 Français tués, ou blessés, & bien près de 300 cavaliers démontés. Et parce qu’on prit un soin le plus exact qu’il a été possible pour savoir avec assurance le nombre de morts, & des blessés, qui ont été remarqués dans le corps de cavalerie & d’infanterie, on a mis en ce lieu l’état qui en a été donné au général, par les officiers.
La compagnie de Boissac de 52 maîtres qu’il y avait au commencement du combat, fut réduite à 27.
Douze maîtres de la compagnie de gendarmes du duc d’Halluin, & 43 chevaux demeurèrent morts ou blessés.
Dix maîtres de la compagnie de Sainte-Croix.
De celle de Malves sept, de Saussan huit & un grand nombre de seigneurs et gentilshommes qui étaient dans escadrons des volontaires, parmi lesquels les plus remarquables, & dont la mort ou les blessures ont été publiées dans le camp, sont les marquis de Mirepoix, de Perault, le chevalier de Suze, Hannibal, le vicomte de Monsa, le baron de Trebien, la Prune, Travanet, Miraval, Pesens, d’Alzau, Sueilles, Mazieres, d’Autry écuyer de l’évêque d’Albi & Romens qui ont glorieusement perdu la vie en cette occasion. Les blessés étaient en plus grand nombre, le marquis d’Ambres, le comte de Clermont de Lodève, Restinclières, les barons d’Amboise, du Pujol, de Lescure, de Ribes, de Bonrepaux, le marquis de Mures, Clermont Vertillac, de Paulo Granval, Montmaur, Moranges, de Villa, Vaillauques de Murles, Delbose aide de camp, le chevalier de Vilaudric, de Coursoules frères, de Durban, Marsal de Monrabes, de montredon, de Filines, Douppia, Gabriac, Mongaillard, Bram, Montarnaud, Saint-Afrique, Jonquières, Mazeroles, Bertolene, Saint-Maurice, Saint-Julian, & d’Armissat. Il y eut beaucoup d’autres volontaires qui furent blessés ou tués en ce combat, lesquels ayant été emportés en même temps hors du camp, l’on n’a pas eu connaissance certaine de leurs blessures.
Quand à l’infanterie, celle du régiment de Languedoc reçut le plus grand échec. Le chevalier de Suze qui le commandait y mourut, Sueilles qui menait la tête lorsque le parc des chariots fut forcé, y fut brûlé, & depuis décédé de ses brûlures, les barons de Faugieres & de Monfrin, Saussan, Delbosc, Lambertie, capitaines en ce régiment, y furent blessés, d’Aubaïs lieutenant de Champaigneye, Jannet enseigne de Fauguieres y furent tués, 6 autres lieutenants blessés, 9 enseignes morts ou blessés, avec 254 soldats.
Le régiment de Vitry y perdit beaucoup d’officiers, des Auvergnes fils de Vinaza lieutenant colonel, le jeune Dalon, Rousson major, & son aide avec deux lieutenants furent tués, Vinaza lieutenant colonel y fut blessé, & 8 capitaines avec lui.
Du régiment de Saint-Aunès, le mestre de camp blessé de huit coups, Maureillan lieutenant colonel tué, Rosel major & trois autres capitaines blessés, 56 soldats morts ou blessés.
Du régiment de Castelan, Icard lieutenant colonel fort blessé, L’oustalnau major tué, Vacherin & Douviez capitaines tués, du Bourg, Passier, Clayran, Villebresse & Montagut capitaines blessés, avec deux lieutenants & 23 soldats morts.
Du régiment de Saint-André, les mestre de camp blessé, un capitaine tué, quatre blessés, avec six lieutenants & 60 soldats morts ou blessés.
Du régiment de Murviel, Tabarie & Berouve capitaines du régiment de Mongaillard, qui s’étaient joints à celui du baron de Murviel, beau-frère de leur mestre de camp, y furent blessés ; un capitaine de Murviel y fut tué, avec deux lieutenants & quelques soldats.
Du régiment de Jonquières Cauvisson, qui dans trois jours mis sur pied 800 hommes, & servit très bien en cette occasion, il fut tué un capitaine, trois blessés, quatre lieutenants tués, avec autant d’enseignes & 58 soldats.
Pour les milices, les chefs furent soigneux de rendre le dénombrement de leurs morts & de leurs blessés, & les soldats qui n’avaient été levés que pour le secours de Leucate, qui furent tellement dispersés après la bataille, que l’on ne peut rien dire avec certitude du nombre d’hommes qui leur furent tués ou blessés.
Extrait des provisions de Maréchal de France :
Louis, par la grâce de Dieu (…) Et considérant que nous ne pouvons en honorer un plus digne sujet que notre très-cher & bien-aimé cousin le duc d’Halluin, Charles de Schomberg, Pair de France, notre lieutenant en nôtre compagnie de 200 chevaux légers de nôtre garde, chevalier de nos ordres, grand maréchal des troupes de pied allemandes, lorraines, liégeoises a wallonnes entretenues pour notre service, gouverneur & lieutenant général en nôtre province de Languedoc (…) Nous avons nôtre-dit cousin le duc d’Halluin, fait, constitué, ordonné & établi, faisons, constituons, ordonnons & établissons par ces présentes signées de notre main, Maréchal de France…
Stéphane Thion