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La bataille d’Avins (20 mai 1635) d’après les relations

La bataille d’Avins (20 mai 1635) d’après les relations

Relation officielle de la bataille d’Avein (Chez Melchior Tavernier, graveur & imprimeur du Roy)

L’Armée du Roy destinée pour la Flandre, ayant commencé de marcher le douzième de ce mois dans le pays de Luxembourg & de Liège, pour s’aller joindre à celle de Messieurs les États, qui devait s’avancer d’un autre côté, après avoir traversé la forêt d’Ardennes, & plusieurs autres pays fort stériles, où la quantité de vivres dont elle fît provision avant que partir des frontières de France lui fut assez nécessaire, rencontra le vingtième de ce mois à sept heures du matin l’armée Espagnols, composée de dix mille hommes de pied, trois mil chevaux, & seize canons ; commandée par le Prince Thomas, campée sur son chemin très- avantageusement. Les escadrons qui se trouvèrent plus avancés, commandés par les sieurs de Moulinet & d’Alexis, ayant donné avis de l’état des ennemis, firent ferme assez longuement contre toute l’armée, soutenus seulement des régiments de Genlis & de Lusignan, & à la faveur de quelques haies, où le sieur de Camailleran les avait logé proche du canon.

Le brigade de Monsieur le Maréchal de Brezé qui faisait la moitié de l’armée, que ledit sieur Maréchal commandait toute ce jour là, se trouvant plus proche, fut mise par lui en bataille en un instant, & s’avança jusqu’au lieu où étaient les escadrons pour les soutenir. Monsieur le Maréchal de Châtillon qui était logé séparément, & avait été averti quelque temps auparavant que les ennemis s’étant avancé avec quelques troupes de sa brigade, dont les corps de Genlis, Luzignan, Alexis & Moulinet faisaient partis, arriva près d’eux par la main gauche presqu’en même temps que ledit sieur Maréchal de Brezé : & aussitôt fit descendre quatre mille hommes de pied, quatre cents chevaux, & quatre pièces de campagne d’un village, où Monsieur de la Meilleraye, en attendant sa venue les avait fait mettre en ordre par le sieur d’Espenan dans la plaine, où tout le reste de l’armée était déjà en bataille, excepté quelques régiments & compagnies de cavalerie de la brigade de Monsieur de Châtillon, qui n’avaient pu assez tôt recevoir les ordres pour s’y rendre, à cause que la longue traite du jour précédent les avait fait loger séparément, & éloignés les uns des autres.

Le Conseil de guerre fut tenu sur le champ de bataille, pour savoir si l’on devait continuer de marcher, faire ferme, où aller droit aux ennemis pour les combattre. Sur quelques diversités d’opinions, il fut trouvé bien de reconnaître encore de plus près la contenance des ennemis, pour faire jugement plus certain de leur dessein, de leur force, & de tout ce que l’on pouvait faire. Pour cet effet les sieurs de la Meilleraye, de Charnacé, & d’Espenan s’étant avancés jusqu’aux vedettes plus éloignées, qui avaient été posées en un lieu éminent, rapportèrent que les ennemis étaient en bataille à deux mille pas de là ; ce qu’ayant aussi été reconnu par lesdits sieurs de Châtillon,& de Brezé, personne ne douta plus qu’il ne fallut combattre. Ledit sieur de Brezé s’étant allé à l’aile droite, pource, comme il a été dit, que c’était son jour de commander l’armée, ledit sieur de Châtillon prit la gauche : & l’armée s’avança contre les ennemis au même ordre qu’elle était venue en leur présence.

Les ennemis voyant venir firent couler une partie de leurs troupes sur leur main gauche, & rangèrent leur infanterie dans un vallon, où elle était à couvert de leur canon,& de leur cavalerie. La bataille commença par l’aile droite, que ledit sieur de Brezé avait disposé de telle sorte, que la cavalerie & l’infanterie se soutenant l’un l’autre, il était impossible, sans un grand malheur, de les rompre & de les forcer. La décharge que les ennemis firent sur les nôtres de leurs carabins, canon & infanterie fut très-grande, quelques escadrons en furent ébranlés d’abord ; & après ce bruit la fumée du canon s’étant mêlée parmi une grande poussière que le vent élevait, mit quelque désordre parmi quelques-unes de nos troupes, qui ne se reconnaissaient presque plus, aucun ayant fait leur décharge contre les nôtres, même à l’endroit où était le Maréchal de Brezé. Nonobstant ce petit désordre, quelques escadrons de cavalerie ne laissèrent pas d’enfoncer les ennemis sur la droite : & Monsieur de Brezé ayant rallié tout ce qui s’était mis en désordre, les ramena au combat avec tant d’ardeur & de regret seulement d’avoir branlé, que les ennemis firent encore emportés en un autre endroit où ils donnèrent. L’aile droite ayant en cette sorte fait plier les ennemis, & déjà gagné leur canon, on s’aperçut que l’aile gauche où Monsieur de Châtillon commandait avait eu un pareil succès, & que la cavalerie des ennemis avait aussi lâché le pied de ce côté-là, si bien qu’il ne restait plus que leur infanterie qui avait fait ferme. Le sieur de la Meilleraye qui en fut averti par le sieur de Charnacé, laissa les escadrons de cavalerie, à la tête desquels il avait combattu jusqu’alors à l’aile droite ; & cependant qu’ils allaient poursuivant la victoire, s’en revint demander audit sieur de Châtillon les régiments de Champagne, de Cy, de Bellebrune, & de Mignieux, pour attaquer ce qui restait d’infanterie aux ennemis. Monsieur de Châtillon l’ayant trouvé bon, Champagne donna le premier courageusement, fut suivi & soutenu par les autres, ce qui acheva le combat ; car le sieur de Brezé avait fait avancer trois bataillons, & six ou sept escadrons pour les secourir, lesquels voyant qu’ils n’en avaient pas besoin avaient passé plus outre, pour empêcher le ralliement des ennemis, & assurer la victoire. Il ne fallut plus après cela que la poursuivre, ce qui fut fait si heureusement, que plus de cinq mil sont demeurés morts sur la place, seize pièces de canon, & le bagage pris, quatre-vingt neuf drapeaux, quinze cornettes, dix-huit cents prisonniers, presque tous leurs principaux officiers, entre lesquels de Comte de Fera (Feria), de la maison de Piemantel Gouverneur d’Anvers, & lieutenant général de l’armée, avec un sien neveu, & un sien cousin, un bâtard de l’Archiduc Leopold, le Comte de Billerval (Villerval) ayant le bras rompu d’une mousquetade, les colonels Ladron & Sfondrato, dont les régiments, l’un de deux mil Espagnols naturels, & l’autre d’autant d’Italiens, composés de quantité d’officiers réformés, & les meilleurs de tout le pays bas, ont été entièrement défaits.

Le Comte de Bucquoy se retira lui quatorzième dans Namur, après avoir eu deux chevaux tués sous-lui ; quelques- uns avaient cru mort le Prince Thomas, mais il se sauva de bonne heure parmi les nôtres ; car il n’y a eu que cinquante morts, & cent cinquante blessés ; mais quantités d’officiers se sont signalés dans le combat, parmi lesquels, outre la valeur & bonne conduite que Mes- sieurs les Maréchaux de Châtillon & de Brezé ont fait paraître en toute l’action, pour faire combattre toutes les troupes, & soutenir les endroits qui étaient ébranlés, où ils ont quelquefois été obligés de se mêler & de combattre de leurs mains ; Messieurs de la Meilleraye & de Charnacé y ont fait des merveilles en valeur & en jugement, se trouvant partout pour agir où il était nécessaire ; comme aussi le Marquis de Tavannes, & le sieur Lambert, le premier a été blessé légèrement au visage d’une mousquetade ; les sieurs d’Espenan& de Monsolens s’y sont autant qu’il est possible signalés ; les sieurs de Moulinet& d’Alexis ne sauraient être assez loués ; comme les sieurs de la Luzerne, Lenoncourt, d’Aumont, la Ferté-Seneterre, des Roches Saint-Quentin, des Roches-Baritaut, Ysault, Beauregard, Champros blessé légèrement de trois coups, & son cheval d’autant, Lansac, Praslin, Francieres, Bouchavanes, la Clavière, Viantais (Viantez) blessé légèrement au visage, & deux chevaux tués sous lui, Broully au Bayes, le Terail, Cambon, Asssera, Vatimont, Tivolieres, dont le cheval fut blessé en trois endroits, Beauregard, Blanchefort, Beauveau, Daint-Florent, Saintou, Vances, capitaine des Gardes de Monsieur le Maréchal de Brezé, dont le cheval a été tué d’une mousquetade, le Comte de Tonnerre, Marquis de Varennes, Calonge, Bellebrune, Genlis, Polignac, Castelnault, La Mothe-Houdencourt, & plusieurs autres Maîtres de camp, les volontaires y ont fait aussi parfaitement bien ; Messieurs de Vendômes, Prince de Marsillac, Marquis de Boissy, entre autres le Marquis de Narmoutié, Cursol, Hautefort, Beaumont, Builly, Guyancourt, Basoches Boisanval ; les autres aussi qui s’y sont portés très vaillamment, Chinoise & du Puits y ont été tués ; les sieurs de Grateloup, Montalet, & Chevaliers de Mousseleins qui menaient les enfants perdus de Piémont méritent aussi d’être particulièrement remarqués, après avoir fait faire leur décharge à bout portant, encore qu’ils vissent quelque petit désordre à leur main droite, ils ne laissèrent pas de s’y mêler à coups d’épée ; le sieur de Chastelier-Barlot ne s’y trouva pas, étant employé à ramasser douze cornettes de cavalerie, & les régiments de Mesdavy, Marquis de Brezé, Monmege & Mesnil, tirant de la brigade de Monsieur le Maréchal de Châtillon ; le sieur de la Ferté Imbaut ne combattit point aussi, ses compagnies étant destinées pour le gros de réserve.

Le lieu d’où parti l’armée du Roy, je jour du combat, se nomme Tinlo, & celui où la bataille fut donnée s’appelle Avein.

 

La bataille d’Avins selon le Mercure Français

On ne parlait que de guerre. Le rendez-vous général des troupes du Roy était à Mézières, sur les frontières de Champagne & du Luxembourg. Les Maréchaux de Châtillon & de Brezé étaient les Généraux de cette nouvelle armée, laquelle se trouva composée de vingt-cinq à trente mille hommes, tant Infanterie que Cavalerie, tous braves hommes & en très bon état, équipée de cinquante pièces de canon de divers calibre, avec leurs équipages & munitions. Lesdits sieurs Généraux s’étant rendus à Mézières, ils divisèrent leur armée
en deux parties, dont la première passa les 7 & 8 de May la rivière de la Meuse par le pont de Mézières, sous la conduite du Maréchal Châtillon, qui devait commander le premier jour, comme le plus ancien, & s’alla loger entre les rivières de la Meuse & de Samoy. L’autre
partie prenant la route & les postes de l’avant-garde passa le Samoy, depuis Bouillon jusques à Orcimont, suivis de l’artillerie & de son attirail ; & toute l’armée entière traversa les Ardennes dans le pays du Luxembourg. (…)

L’armée Française étant partie de Rochefort le 18 de May, leMaréchal de Châtillon conduisant l’avant-garde, prit le même jour Marche- en-Famine à capitulation, par laquelle trois cents soldats sortirent avec leurs armes seulement, & la ville fut mise sous la protection du Roy ; mais pour le peu d’importance de la place il n’y fut laissé aucune garnison. Le lendemain (19 mai 1635), toute l’armée fit une traite extraordinaire, et alla prendre ses quartiers aux environs de Freteur. Ce qui fit que les Français gagnèrent le devant, et empêcha qu’ils ne fussent coupés par l’armée du Prince Thomas, qui était composée de dix mille hommes de pied, et de trois mille chevaux. Le sieur de la Meilleraye voyant l’armée ennemie proche de son quartier, rallia les troupes près de lui si à propose, que les ennemis n’osèrent attaquer, et donna avis aux Maréchaux de Châtillon et de Brezé qu’ils s’approchaient avec de grandes forces. Aussitôt lesdits sieurs Maréchaux, logés à demi-lieue l’un de l’autre, montèrent à cheval chacun de son côté, et se joignirent en une plaine pour aller avec bon ordre vers ladite armée du Prince Thomas ; laquelle avait pris un poste fort avantageux, ayant placé toute leur infanterie dans un
petit vallon couvert de grosses haies, où ils avaient mis toute leur mousqueterie avec 16 pièces de canons, soit bien placées, et avaient avancé 1500 chevaux dans la plaine par où les Français allaient pour les attirer dans le gros de leur infanterie qu’ils tenaient cachée dans ce vallon. Ce qui empêcha d’abord les Français de bien reconnaître leurs forces ; le reste de leur cavalerie était dans une autre campagne par delà le vallon derrière leur infanterie. Les Maréchaux de Châtillon et de Brezé et le sieur de la Meilleraye s’avancèrent pour reconnaître leur contenance, et résolurent, après avoir consulté, d’aller droit à eux. Le Maréchal de Châtillon donna ordre audit sieur de la Meilleraye de faire venir douze pièces de campagne pour mettre à la tête des bataillons Français. Ce qu’il exécuta promptement.

La plaine par laquelle ils marchaient étant assez large pour mettre les deux brigades de front, le Maréchal de Brezé ayant l’aile droite de l’armée avec toutes ses troupes ensemble, et le Maréchal de Châtillon la gauche, avec une partie des siennes seulement, ils avancèrent
en très bon ordre, l’infanterie au milieu, et la cavalerie sur les ailes ; et pressant les ennemis, leur cavalerie qui était avancée se retira vers celle qui était derrière leur infanterie, laissant deux escadrons à côté de l’infanterie de main droite, et leurs carabins à côté desdits escadrons. L’aile droite qui était plus proche des ennemis, alla donner hardiment dans le corps de leur infanterie ; et les escadrons
Français de main droite s’avancèrent aussi contre ceux de l’ennemi, le Maréchal de Brezé à la tête leur montrant le chemin. Quelques
uns de ses escadrons ayant été surpris de la grande décharge des carabins et mousquetaires des ennemis, et leurs chevaux épouvantés du bruit et de la fumée de leurs canons, furent renversés sur des bataillons de l’infanterie qui les mirent en désordre : mais cela n’empêcha pas que le Marquis de Tavannes, à la tête des compagnies des sieurs de Vientes, la Luzerne, Lenoncourt, d’Aumont, la Ferté-Seneterre, Isaut, Beauregard-Champrou, Bouchavanes et la Claviere, avec une partie de leurs escadrons, n’enfonça la cavalerie des ennemis qui était de leur côté. Le sieur de Charnacé se trouva parmi eux, où il se fit signaler par son jugement et courage.
Le Maréchal de Brezé rallia ses bataillons qui avaient été en désordre, et les envoya attaquer l’infanterie des ennemis qui était à gauche de leur canon, laquelle ils emportèrent ; pendant qu’il les soutenait avec le reste de la brigade qui n’avait point passé, qu’il avait remis en ordre et que le sieur de Monsolins mena.

Le Maréchal de Châtillon étant à la tête de l’aile gauche, voyant les bataillons des ennemis qui étaient à main droite de leur canon, en bon ordre et en état de faire résistance, fit commandement au régiment de Champagne de les attaquer, le Marquis de Varennes à la tête, la pique à la main, leur montrant le chemin de bien faire. Ils y allèrent avec tel ordre et courage, qu’ils battirent d’abord un régiment Espagnol, et le régiment du Prince Thomas. Les régiments de Plessis-Praslin, Longueval, Genlis, Lusignan et Cy donnèrent ensuite, et achevèrent de mettre en route l’infanterie des ennemis ; et notre cavalerie de main gauche, le sieur Lambert Maréchal de Camp à leur tête, avec les compagnies des sieurs Moulinet, Brouilly, Cluy, Hocquincourt, Fourille, Comte d’Ayent, Aubais, Saint-Martin, Asserac, Belin, et les compagnies de carabins d’Arnaut, Bideraut, Maubuisson, Villars, couplées en escadron, ne perdirent point le temps d’aller droit à la leur, selon l’ordre qu’en avait donné le Maréchal de Châtillon ; et y allèrent avec telle hardiesse, que 1500 chevaux des ennemis ployèrent devant eux aux premiers coups de pistolet ; et l’escadron de Moulinet trouvant un régiment des ennemis qui commençait à se rallier, le tailla en pièces. Les Ducs de Mercoeur se trouvèrent à cette charge, où ils firent paraître leur courage, s’y étant portés très généreusement.

Il n’y eut plus qu’à poursuivre la victoire et à tuer. La compagnie de gendarmes et celle de chevaux légers de Monsieur demeura pour le gros de réserve, le sieur de la Ferté-Imbaut à leur tête, la contenance ferme de cet escadron donnant de l’effroi aux ennemis, sans toutefois combattre. Le sieur de Chastelier Barlot étant demeuré au quartier du Maréchal de Châtillon par son ordre très exprès, pour assembler le reste des troupes de sa brigade, ne manqua de s’avancer après le plus diligemment qu’il peut ; mais il ne vint qu’après le combat achevé. Il ne laissa pas d’arriver à propos. Car si les ennemis eussent fait plus de résistance ou se fussent ralliés, ce nouveau renfort eût bien aidé. Il est à remarquer en cette occasion que le Grand Maître de l’Artillerie fit aussi généreusement et judicieusement qu’un capitaine saurait faire, s’étant mis à l’aile droite, et partout où il y avait du péril. Les sieurs de Saint-Florent et de Beauregard-Blanchefort y servirent dignement et courageusement, portant avec promptitude et diligence les commandements aux troupes de l’aile gauche ; comme aussi les sieurs d’Espenan, de Monsolins, et de la Fitte de leur côté; Les Marquis de Boisy, de Narmontier, de Hautefort, le Comte de Beaumont, Chenoise qui y fut tué, le fils de Launay, Hercour, neveu du sieur Medan, firent très bien courageusement. Comme aussi le sieur de Charnassé, leMarquis de Tavannes qui fut légèrement blessé d’une mousquetade au visage, les sieurs Lambert, de Moulinet et d’Alexis, de la Luzerne, Lenoncourt, d’Aumont, la Ferté-Seneterre, des Roches, Saint-Quentin, des Roches-Baritaut, d’Isaut, Beauregard, Gadaigne autrefois Champron, celui-ci blessé légèrement de trois coups et son cheval d’autant, Lansac, Praslin, Francieres, Bouchavanes, la Claviere, Viantes blessé légèrement au visage et deux chevaux tués sous lui, Brouilly Aubayes, terrail, Cambon, Assarac, Vatimont, Tivolieres, Beauveau, Saintois, Vances capitaine des Gardes du Ma- réchal de Brezé, le Comte de Tonnerre, Marquis de Varenne, Calonge, Bellebrune, Genlis, Polignac, Castelnau, la Mothe-Odancourt et plusieurs autres, s’y rendirent remarquable par leur courage et jugement. Les volontaires y firent encore parfaitement bien, entre autres les Ducs de Mercoeur et de Beaufort, les Prince de Marsillac, Comte de Cursol, Beaumont, Bully, Guinancourt et Barches, du Puy qui y fut tué. Les sieurs de Grateloup Montalet, et Chevalier de Monsolins qui menaient les Enfants perdus de Piémont, méritent bien d’être particulièrement remarqués ; car après avoir fait faire leur décharge à bout-portant, encore qu’ils vissent quelque désordre à leur main droite, ils ne laissèrent pas de se mêler à coups d’épée.

Il y demeura des ennemis sur le champ et sur le chemin de leur fuite 4 000 morts, toute leur artillerie prise, avec tous leurs drapeaux, et quelques cornettes aussi, et cent cinquante mille patagons. Le Comte de la Faira fils du Comte de Benevent, gouverneur d’Anvers, le Comte Vuillervad Lieutenant de l’artillerie, le colonel Alonse Ladron Espagnol, le colonel Sfondrate italien, le colonel Brons Anglais, Dom Carlos d’Autriche fils bâtard de l’Archiduc Leopold furent pris prisonniers, et quantité d’autres. Le Prince Thomas se sauva de bonne heure. Le Comte Buquoy se retira lui quatorzième dans Namur, après avoir tué deux chevaux sous lui. En tout cet heureux exploit les Français n’y perdirent que 200 hommes de pied et environ 60 maîtres. Il y eut force officiers du régiment de Champagne blessés, deux capitaines, cinq lieutenants, et un enseigne ; du régiment de Piémont un lieutenant mort, et cinq ou six autres officiers blessés ; le sieur de Beauregard-Champrou ci-devant nommé fut blessé en deux ou trois endroits, et entre autres d’un coup de pistolet au bras gauche.

La plaine où la bataille fut donnée s’appelle Avein, à cause du bourg ou village proche ainsi nommé, entre ledit bourg d’Avein et Ochen, derrière la ville de Hoye au pays de Liège. Le combat dura depuis environ midi jusqu’à 5 heures du soir. Les régiments de la Meilleraye, Maréchal de Brezé, Castelnau, Saucourt et Calonge secondèrent de leur côté fort courageusement. Le régiment de Piémont, surtout les officiers s’y portèrent très dignement. Les autres régiments qui les soutenaient firent bien leur devoir en demeurant fermes dans leur place ; mais ils n’eurent pas l’ordre ni le temps d’aller au combat, étant demeurés pour troupes de réserve, en cas qu’il y eut plus de résistance.

La bataille d’Avins (20 mai 1635) d’après les témoins

La bataille d’Avins (20 mai 1635) d’après les témoins

La bataille d’Avins dans les Mémoires de Richelieu

Cependant l’armée du Roi s’était déjà mise en chemin ; car après avoir demeuré quelque temps à attendre, enfin les généraux, considérant qu’il serait plus glorieux au Roi d’aller au-devant de ses alliés qu’eux venir à nous, et que ce délai nous était préjudiciable, non-seulement donnant lieu aux ennemis de se reconnaître et de reprendre courage, mais encore de nous nuire et d’empêcher ou rendre très-difficile la jonction de nos armées, si passant dans le Luxembourg ils se saisissaient des passages, et avec des arbres coupés traversaient nos chemins, se résolurent de ne différer pas de marcher, nonobstant que l’armée des Hollandais ne fût pas si avancée comme elle devait. Ils divisèrent l’armée en deux brigades, l’une pour être commandée par le maréchal de Châtillon, l’autre par le maréchal de Brezé, nommés par le Roi pour commander son armée avec pouvoir égal, et s’étant accordés entre eux que chacun commanderait alternativement toute l’armée, et marcherait à l’avant-garde avec sa brigade. Le maréchal de Châtillon, comme le plus ancien, commanda la première journée et passa la Meuse à Mézières le 7 et 8 mai, et fut suivi de l’autre brigade, du canon et de l’artillerie, et envoyèrent en chemin demander passage sur le pont de Bouillon, qui leur fut accordé par le sieur Fériff, gouverneur de ladite place, pource qu’il savait bien ne leur pouvoir résister ; il les pria néanmoins de ne pas faire passer le canon sur le pont, que jamais les Espagnols n’en avait usé ainsi, et qu’afin que cela ne lui pré- judiciât point à l’avenir, il les suppliait de faire de même, vu principalement qu’il y avait deux ou trois gués à cinq cents pas au-dessous où il n’y avait que deux pieds d’eau ; à quoi les généraux lui répondirent que s’ils avaient à passer sur sondit pont, ils en useraient avec toute la courtoisie qu’il leur serait possible, ce qu’ils firent ; car ils passèrent la rivière de Semoy en trois lieux, l’artillerie au gué de Cugnon, partie de l’infanterie sur le pont de Bouillon, et l’autre avec la cavalerie au gué de la Forêt. Le sieur de La Meilleraie avec deux régiments et deux couleuvrines passa par Orsimont, qu’il prit à composition, et tous les corps de l’armée s’assemblèrent le 13 mai à Palizeuil, où ayant séjourné le lendemain pour refaire leurs chevaux, ils passèrent le 15 la forêt de Tellin par un chemin qu’ils avaient fait reconnaître. Le maréchal de Brezé se logea au-delà sur le bord
du bois, et le maréchal de Châtillon en-deçà, et le 16 arrivèrent à Rochefort, lieu avait été donné pour rendez-vous à notre armée, où ils attendirent un jour pour apprendre des nouvelles de l’armée du prince d’Orange, et, n’en entendant point, résolurent d’aller au-devant de lui jusqu’à Maestricht, bien qu’ils eussent avis assuré que l’armée des Espagnols, qui était assemblée vers la Sambre, en était partie et venait de passer la Meuse à Namur pour venir au-devant de nous. Le 18, les deux brigades se séparèrent ; le maréchal de Châtillon, ayant ce jour-là l’avant-garde, prit la route de Marche-en-Famine, petite ville de Luxembourg où il y avait garnison espagnole, qui d’abord se rendit à composition et reçut ses troupes, qui ce même jour y logèrent, et le maréchal de Brezé avec l’arrière-garde prit la main gauche entre Namur et Marche pour s’opposer au secours, en cas que la place fit résistance, et campa autour du village de Nelten. Le lendemain, la nouvelle continuant du passage des Espagnols et qu’ils venaient à nous, il fut résolu entre les généraux que l’on marcherait en bataille, et que l’on suivrait au premier logement, qui fut ce jour même à Freteur pour la brigade du maréchal Châtillon, et à Tinlo pour la brigade du maréchal de Brezé, distant d’un quart de lieu l’un de l’autre. Mais le maréchal de Châtillon fut contraint, par la nécessité des vivres et la misère du pays, de séparer ses troupes en des logements un peu éloignés les uns des autres, ce qui n’apporta pas peu de difficulté le lendemain, comme nous verrons ; car les ennemis s’avancèrent jusqu’auprès de nous pour nous combattre. Le sieur de La Meilleraie en eut le premier l’avis, et les sachant si proche de son quartier rallia les troupes près de lui si à propos qu’ils n’osèrent l’attaquer, et donna avis aux maréchaux de Châtillon et de Brezé qui s’approchaient avec leurs forces : aussitôt lesdits maréchaux montèrent à cheval chacun de son côté, et se joignirent en une plaine pour aller avec bon ordre vers ladite armée du prince Thomas, laquelle avait prit un poste fort avantageux, ayant placé toute leur infanterie dans un petit vallon couvert de grosses haies où ils avaient mis toute leur mousqueterie avec seize pièces de canon fort bien placées, et avaient avancé quinze cents chevaux dans la plaine pour nous attirer dans le gros de leur infanterie qu’ils tenaient cachée dans ce vallon, ce qui nous empêcha d’abord de bien reconnaître leurs forces ; le reste de leur cavalerie était dans une autre campagne par là le vallon derrière leur infanterie. Les maréchaux de Châtillon et de Brézé et messieurs de La Meilleraye s’avancèrent pour reconnaître leur contenance, et se résolurent, après avoir consulté, d’aller droit à eux.

Le maréchal de Châtillon eut un peu de difficulté à se résoudre à donner bataille (le 20 mai), à cause des ordres précis de leur instruction qui portait que l’armée du Roi joignit celle des États ; mais après avoir considéré qu’ils ne pouvaient, ni demeurer longtemps en ce lieu à cause de la disette des vivres, ni passer outre en présence de l’armée ennemie, sans courir le hasard d’en être combattu à notre désavantage, et le courage de toute notre armée qui demandait la bataille avec une ardeur indicible, et ce premier feu de notre nation, qui pour peu qu’on le veuille retenir s’éteint facilement, il consentit à l’avis des autres, qui dès le commencement avaient été portés à combattre. Lors le maréchal de Châtillon donna ordre au sieur de La Meilleraye de faire avancer douze pièces de campagne pour mettre à la tête de nos bataillons, ce qu’il exécuta promptement ; la plaine par laquelle nous marchions étant assez large pour mettre les deux brigades de front, le maréchal de Brezé ayant l’aile droite de l’armée avec toute ses troupes ensemble, et le maréchal de Châtillon la gauche avec une partie des siennes seulement, bien qu’il crût pouvoir prétendre qu’en un jour de bataille, qui est une occasion signalée qui arrive rarement, il devait conserver son droit d’ancienneté et commander l’armée, nous avançâmes en très- bon ordre, l’infanterie au milieu et la cavalerie sur les ailes et pressant les ennemis ; leur cavalerie qui était avancée se retira vers celle qui était derrière leur infanterie, laissant deux escadrons à côté de l’infanterie demain droite et leurs carabins à côté desdits escadrons ; l’aile droite qui était la plus proche des ennemis alla donner hardiment dans le corps de leur infanterie, et nos escadrons de main droite s’avancèrent aussi contre ceux de l’ennemi, M. le maréchal de Brezé à la tête leur montrant le chemin : quelques-uns de ces escadrons ayant été surpris de la grande décharge des carabins et mousqueterie des ennemis, et leurs chevaux épouvantés du bruit et de la fumée de leurs canons, furent renversés sur des bataillons d’infanterie qu’ils mirent en désordre, entre lesquels était le régiment de Piémont qui fut mis en mauvais état, et après ce bruit la fumée du canon s’étant mêlée parmi une grande poussière que le vent élevait, mit quelque désordre
parmi quelques-unes de nos troupes qui ne se reconnaissaient presque plus, aucunes ayant fait leurs décharges contre les nôtres ;mais cela n’empêcha pas que le marquis de Tavannes, à la tête des compagnies des sieurs de Viantes, La Luzerne, Lenoncourt, d’Aumont, La Ferté-Senneterre, Isaut, Beauregard-Champroud, Bouchavane et La Clavière avec une partie de leurs escadrons n’enfonçât la cavalerie des ennemis qui était de leur côté ; le sieur de Charnacé se trouva parmi eux, où il se fit signaler par son jugement et son courage. Le maréchal de Brezé rallia les bataillons qui avaient été en désordre, et les envoya attaquer l’infanterie des ennemis qui était à gauche de leur canon, laquelle ils emportèrent, et lui les soutenait avec le reste de sa brigade qui n’avait point passé, qu’il avait remise en ordre et que le sieur de Montsolins mena. Le maréchal de Châtillon étant à la tête de l’aile gauche, voyant les bataillons des ennemis qui étaient
à main droite de leur canon en bon ordre et en état de faire résistance, fit commandement au régiment de Champagne de les attaquer ; le marquis de Varenne à la tête, la pique à la main, leur montrant le chemin de bien faire, ils y allèrent avec tel ordre et courage qu’ils
battirent franc d’abord un régiment espagnol et le régiment du prince Thomas ; les régiments du Plessis-Praslin, Longueval, Genlis,
Lusignan y donnèrent ensuite et achevèrent de mettre en route l’infanterie des ennemis ; et notre cavalerie de main gauche, le sieur Lambert, maréchal de camp, à leur tête, avec les compagnies des sieurs Moulinet, Brouilly, Cluy, Hocquincourt, Fourrilles, comte d’Ayen, Aubays, Saint-Martin, Asserac, Belin, et les compagnies de carabins d’Arnaud, Bideran, Montbuisson, Villars, couplées en escadron, ne perdit point de temps d’aller droit à la leur, selon l’ordre qu’en avait donné le maréchal de Châtillon ; il y allèrent avec telle hardiesse que quinze cents chevaux des ennemis ployèrent devant eux aux premiers coups de pistolet, et l’escadron de Moulinet trouvant un régiment des ennemis qui commençait à se rallier le tailla en pièces. Messieurs de Vendôme (les ducs de Mercoeur et de Beaufort, fils du duc de Vendôme) se trouvèrent à cette charge, où ils firent paraître l’ardeur de leur courage, s’étant portés très-généreusement ; alors il n’y eut plus qu’à poursuivre la victoire et à tuer.

La compagnie de gendarmes et celle de chevau-légers de Monsieur demeura pour le gros de réserve, le sieur de La Ferté-Imbaut à leur tête ; la contenance ferme de cet escadron donnant de l’effroi aux ennemis, Châtelier-Barlot étant demeuré au quartier du maréchal Châtillon par son ordre très-exprès pour assembler le reste des troupes de sa brigade, ne manqua de s’avancer après plus diligemment qu’il put, mais il ne vint qu’après le combat achevé; il ne laissa pas d’arriver à propos, car si les ennemis eussent fait plus de résis- tance ou se fussent ralliés, ce nouveau renfort nous eût bien aidés. En toute cette action, le grand maître de l’artillerie fit aussi généreusement et judicieusement que capitaine saurait faire, s’étant mis à l’aile gauche, à l’aile droite, et partout où il y eut péril. Il demeura des ennemis sur le champ, et sur le chemin de leur fuite, quatre mille morts ; toute leur artillerie prise avec tous leurs drapeaux, et quelques cornettes aussi. Leur armée était composée de dix mille hommes de pied, trois mille chevaux et de seize canons, avec un bel attirail, commandée par le prince Thomas comme général, et par le comte de Feria, gouverneur d’Anvers, comme mestre de camp général. Le prince Thomas se sauva de vitesse, et le comte de Feria fut pris prisonnier ; le comte de Villerval, lieutenant de la cavalerie du comte de Buquoy, le lieutenant général de l’artillerie, le colonel Alphonse Ladron, Espagnol, le colonel Bronz, Anglais, don Charles d’Autriche, fils d’une bâtarde de l’Empereur, sont prisonniers, et quantité d’autres. En tout cet heureux exploit nous ne perdîmes que deux cents hommes de pied et environ soixante maîtres ; y eut force officiers du régiment de Champagne blessés, deux capitaines, cinq lieutenants et un enseigne du régiment de Piémont ; un lieutenant mort et cinq ou six autres officiers blessés ; Beauregard-Champroud, ci-devant nommé, fut blessé en deux ou trois endroits, et entre autres d’un coup de pistolet dans le bras gauche, qui l’incommoda un peu. Après cette victoire, la poursuite finie, et les actions de grâces ayant été rendues à Dieu sur le champ de bataille, l’armée reprit le soir les mêmes logements ; la plaine où la bataille fut donnée s’appelait Avein, du lieu d’un village proche de là.
Source : Mémoires de Richelieu

La bataille d’Avins selon Jacques de Chastenet de Puységur (1600-1682), mestre de camp du régiment de Piémont

L’armée avant de passer le pont (de Mézières) fut séparée en deux brigades d’infanterie, de l’une desquelles Champagne était le chef, & Piémont l’était de l’autre. Il y avait dans chaque brigade onze mille hommes de pied, soldats effectifs portant piques & mousquets, sans comprendre les officiers, ni les sergents, ni les valets. La brigade de Champagne était celle que l’on appelait la brigade de Monsieur de Châtillon, & celle de Monsieur le Maréchal de Brézé se nommait la brigade de Piedmont. La cavalerie était composée de six mille chevaux, sans y comprendre aussi les officiers & les valets. Tous cavaliers étaient bien armés de bonnes cuirasses et de bonnes tassettes, chacun un casque en tête. On mit trois mille chevaux à chaque brigade. L’artillerie était composée de vingt-quatre pièces de
canon, douze à chaque brigade, & Monsieur de la Meilleraye y faisait sa charge de Grand Maître. Les chariots de vivres, pains & autres munitions nécessaires, étaient aussi complets, & en aussi bon ordre que l’on le pouvait souhaiter. Nous partîmes de Mézières la brigade de Monsieur de Châtillon ayant l’avant-garde, & allâmes camper à deux lieues de là. Le lendemain il nous fallut passer une rivière, dans laquelle les soldats avaient de l’eau jusqu’au nombril. Nous leurs fîmes ôter leurs souliers, leurs bas, & leurs hauts de chausse, qu’ils mirent sur les épaules avec leurs armes, & sitôt qu’ils furent passés, on fit halte pour leur donner le loisir de se rhabiller. Après nous allâmes camper à deux lieues de là avec la brigade de Monsieur de Brezé. Monsieur de Châtillon avec la sienne alla prendre Marche en Famine, qui ne tint que vingt-quatre heures. Nous étions pendant ce temps là dans un quartier qui couvrait le sien. Comme la place eut capitulé, il manda à Monsieur de Brezé de tirer droit à un village qui était proche d’un passage qui conduisait à Liège ; c’est un lieu d’un très difficile accès, où nous allâmes néanmoins loger, laissant un village nommé Autin, distant d’un quart de lieue du nôtre, pour loger la brigade de Monsieur de Châtillon. Nous ne mîmes de ce côté là qu’une petite garde de cavalerie, dans la pensée que nous avions que
Monsieur de Châtillon prendrait ce quartier là pendant la nuit. Néanmoins il n’y vint pas, & Monsieur le Prince Thomas qui commandait l’Armée de Flandre, se logea dans le village. Les députés de Liège vinrent trouver Monsieur de Brezé, qui leur avait envoyé donner avis du lieu où il était, & comme il fallait qu’on passât par un coin de leur païs pour aller à Mastrich, afin de joindre Monsieur le prince d’Orange ; durant le temps qu’il leur donnait audience, & qu’il les trouvait fort fiers, même en volonté de nous empêcher le passage, j’entrai dans sa chambre, & en présence de ces députés, je lui dis : Monsieur, le quartier qui est ici prêt, que vous aviez laisser pour Monsieur de Châtillon, est présentement occupé par le Prince Thomas & l’armée de Flandres. Comment savez-vous cela ? me dit-il. Je lui répondis : Monsieur, voilà deux soldats que je vous amène, qui ont été pris & dépouillés par les troupes qui y sont logées. Aussitôt il se tourna vers les députés, & leur dit : Je ne m’étonne pas si vous êtes si fiers, & si vous apportez tant de difficulté à nous laisser passer, puisque vos bons amis sont si près de vous : retournez vous-en, & moi je m’en vais me battre, & après cela vôtre fierté sera bien abaissée, & je vous assure que nous passerons malgré vous ; au même moment il les fit sortir hors sa chambre,& ils s’en allèrent. Il me commanda de faire battre le second, parce que le premier avait été battu, croyant marcher pour passer le Pas de Liège, en étant plus proche de la brigade de Monsieur de Châtillon. Je fis battre le second, & le dernier tout aussitôt, & prendre les armes.

L’armée fut presque en un instant rangée en bataille, & j’eus l’honneur de l’y mettre, d’autant que celui qui en était Sergent, était lors avec Monsieur de Châtillon, & moi j’en faisais la charge dans la brigade de Monsieur de Brezé, lorsqu’elle était séparée pour aller en bataille, depuis le quartier où nous étions, jusques à celui des ennemis. La plaine n’était pas trop grande pour la brigade de Monsieur de Brezé ; le la séparai en deux lignes, faisant cinq bataillons à la première, & cinq à la seconde ; & sur chaque aile des deux lignes, sept escadrons de cent chevaux chacun, & marchâmes droit aux ennemis. Monsieur de la Meilleraye arriva, qui venait d’avec monsieur de Châtillon, & comme il me rencontra le premier, parce que le m’étais avancé pour voir si la plaine ne se resserrait, ou ne s’agrandissait point, afin que selon les lieux je fisse le front ou plus grand ou plus petit, s’il en eût été besoin, il me dit : Hé, Puysegur, à quoi songe Monsieur de Brezé, de vouloir faire marcher l’armée, il hasarde de se faire battre ; & s’il attend les troupes de Monsieur de Châtillon, nous sommes assuré de gagner le combat. Je lui dis, il faut, Monsieur, que vous parliez à lui, s’il vous plaît, le voilà à la tête de l’armée, dans le milieu, monté sur un cheval qui est si bien caparaçonné. Il alla donc parler à lui, mais il lui répondit qu’il ne voulait rien attendre, qu’il allait droit aux ennemis, & qu’il les battrait.

Dans ce même temps là l’armée de Monsieur de Châtillon parut, qui venait en toute diligence du côté de notre main gauche, qui était celle qu’elle devait tenir en combattant, à cause que Monsieur de Brezé étant en jour de commandement, devait avoir la droite. Comme il approchait de nous, sa cavalerie arrivant la première, je fis de faire à droite aux sept escadrons qui couvraient notre aile gauche, & proche de nôtre infanterie ; & en même temps que celle de Monsieur de Châtillon arrivait, ils prenaient leurs postes. Nous marchâmes droit à Avein. Les ennemis n’étaient point rangés en bataille vis à vis de nous, mais ils étaient retranchés dans de grands chemins, &
dans des champs fort élevés, comme sont tous les villages du pays de Liège. Notre cavalerie s’avançant sur nôtre aile droite, les ennemis
firent une décharge dessus. Il y eut la moitié des escadrons qui prit la fuite, & en fuyant rompit la moitié de l’aile droite de nos mousquets. Nôtre infanterie avançait toujours, & était fort proche de leurs retranchements. Ils tirèrent deux coups de canon chargés à cartouche, dont ils tuèrent dans le bataillon trente ou quarante hommes ; & en blessèrent autant. Nous les enfonçâmes avec l’infanterie, & nous gagnâmes tout le bourg & toutes les avenues. Quand nous fûmes rendus maîtres du bourg, & que nous eûmes passé, leur cavalerie voulut venir à nous ; mais la nôtre chargea si bien à point qu’elle la défit. Dans le temps que le combat se donnait, Monsieur le Prince d’Orange avait envoyé un cornette de la compagnie de Monsieur de Bouillon, avec vingt maîtres, pour savoir où était l’armée de France ; & comme il arriva pendant le combat, lui & ses vingt maîtres furent pris & dépouillés, comme s’ils eussent été ennemis.

Le Prince Thomas perdit la plus grande partie de sa cavalerie & toute l’infanterie qu’il avait menée, avec quantité d’Officiers, Colonels, & Capitaines pris, du nombre desquels était Dom Esteve de Gamara. La bataille ainsi finie & gagnée, nous coupâmes en un lieu où Messieurs de Liège vinrent offrir passage, & les vivres tels qu’on les voudrait prendre dans leur ville. Nous passâmes près de Liège, & allâmes joindre Monsieur le Prince d’Orange à Mastrich. Il vint au camp voir l’armée, qu’il trouva fort leste & fort belle.

 

La bataille d’Avins selon Louis de Pontis (qui fut capitaine du compagnie des Gardes Françaises)

Je suppliai Sa Majesté de me donner quelque emploi, & de me permettre d’aller avec monsieur le maréchal de Brezay en Hollande. (…)
Monsieur le maréchal de Brezay (…) me chargea de lever son régiment, dont il me fit premier capitaine & major, & de plus comme son aide de camp. L’armée de Picardie qu’il commandait alternativement avec monsieur le maréchal de Châtillon, n’était pas moins de 20.000 hommes de pied, & de 6 à 7.000 chevaux. Le dessein des généraux était d’aller assiéger la ville de Namur située sur la Meuse. C’est pourquoi lorsque l’armée en approcha de quatre ou cinq lieues, monsieur le maréchal de Brezay nous envoya à monsieur de Vientais, monsieur de Lansac & moi, pour reconnaître auparavant les ennemis & le dehors de la ville, & nous donna une escorte de 300 chevaux. Nous prîmes au village d’Avein quelques prisonniers, de qui nous sûmes que les ennemis s’avançaient avec toute leur armée sous la conduite du prince Thomas qui en était général, du comte Feria fils du comte de Benevent gouverneur d’Anvers son lieutenant général,& du comte de Buquoy qui commandait la cavalerie. Nous marchâmes toute la nuit, & nous étant avancés jusqu’assez près de Namur, nous laissâmes dans un bois notre escorte, afin de pouvoir nous approcher davantage de la ville, & mieux reconnaître toutes choses. (…)

Nous commençâmes aussitôt à voit l’armée qui passait sur le pont de la Meuse, & nous comptâmes jusqu’à 40 compagnies de cavalerie.
En ayant trop vu & entendu pour n’être pas assurés que ce ne fût l’Armée ennemie, nous retournâmes promptement joindre notre escorte, & regagner le village d’Avain au grand trot ; car il ne faisait pas trop sûr de s’arrêter en chemin, les ennemis ayant commencé bientôt après à détacher quelques pelotons de cavalerie pour battre la campagne,& venir reconnaître notre Armée. Si j’eusse voulu croire Messieurs de Vientais & de Lansac, nous nous fussions arrêtés à Avain pour nous reposer à cause que nous étions extrêmement fatigués ; mais je leur présentai si fortement le péril où ils s’exposaient d’être égorgés par les coureurs, ce qui ne leur eût pas été honorable, que nous continuâmes notre marche jusqu’à l’Armée. Nous fîmes notre rapport à Monsieur le Maréchal de Brezay, qui eut d’abord quelque peine à croire que les ennemis fussent si proches :mais ne pouvant néanmoins démentir nos yeux & nos oreilles, il donna à l’heure même tous les ordres pour que nous ne fussions pas surpris par les ennemis.

Monsieur le maréchal de Châtillon avec toute l’arrière-garde était encore assez éloigné ; & quoique le maréchal de Brezay ne fût pas fâché de commencer la bataille sans lui, il l’envoya néanmoins avertir de s’avancer en diligence. Le maréchal de Châtillon arriva peu
de temps après ; & considérant avec sa froideur accoutumée la posture des ennemis, il dit fièrement aux officiers qui étaient présents ; je me réjouis de les voir si près de nous ; je les aime mieux là qu’à Bruxelles. Les ennemis s’étant emparés du village d’Avein, on fut obligé de disposer notre armée en bataille dans un vallon fort étroit, où nos généraux n’eurent pas peu de peine à corriger par leur habileté le désavantage du lieu. Le maréchal de Brezay prit l’aile gauche, & le maréchal de Châtillon l’aile droite (ndlr : c’est une erreur, Châtillon prit la gauche). Monsieur de Brezay qui me faisait l’honneur, comme j’ai dit, de me témoigner beaucoup de bonté, & qui croyait que j’avais quelque expérience dans la guerre, voulut ce jour-là que je fisse la charge de sergent de bataille ; ce qui m’obligeait à me trouver en divers lieux pour y faire exécuter les ordres des généraux.

Au commencement du combat, les enfants perdus des ennemis repoussèrent les nôtres, qui tombèrent avec assez de désordre sur ceux qui les soutenaient. Leur artillerie qui était postée très-avantageusement pour eux fit en même temps un si grand feu & un tel fracas qu’une grande partie des troupes de l’aile gauche en fut ébranlée. Ce fut alors qu’un officier considérable qui était à cheval proche de moi, & à qui je venais de parler prit tout d’un coup l’épouvante & s’enfuit à toute bride. Ceux qui le virent commencèrent à crier untel s’enfuit. Quoique je le connusse point particulièrement, je fus touché néanmoins de voir que cette seule action était capable de le perdre pour jamais. Et dans l’instant je dis à haute voix à ceux qui l’avaient remarqué ; Non, il ne s’enfuit pas, & il va où je lui ai commandé. En même-temps je lui envoyai un gentilhomme qui était auprès de moi, & à qui je me fiais, pour l’avertir de ce que j’avais témoigné en sa faveur, & l’obliger de revenir sur le champ reprendre son poste & me dire devant tout le monde qu’il avait exécuté l’ordre que je lui avais donné. En effet il revint à l’heure même ; il me parla comme me rendant compte de ce qu’il avait fait, & il eut toute sa vie une parfaite reconnaissance de ce bon office que je lui rendis alors. Nos troupes s’étant rassurées de nouveau après cette première épouvante, & faisant réflexion sur ce qu’on pourrait leur reprocher de s’être étonnés du bruit du canon, & d’avoir plié d’abord, rentrèrent au combat & marchèrent contre les ennemis avec tant de furie, qu’après une résistance opiniâtre qui dura longtemps de part & d’autre, ils furent enfin obligés de lâcher le pied & de nous abandonner le champ de bataille. Je remarquai alors le prince Thomas, qui après avoir combattu avec beaucoup de valeur se retira des derniers. Étant extraordinairement pressé, il fut obligé de sauter par dessus une petite muraille pour se sauver, & en sautant il laissa tomber son chapeau & sa canne, au bout de laquelle ses armes étaient gravées sur une poignée d’or. Comme je le suivais de fort près je ramassai cette canne, & la donnai ensuite au maréchal de Brezay qui en fit quelque temps après présent au Roi. De plus nous poussâmes si vivement le comte Feria son lieutenant général, qu’il fut obligé de me demander quartier en criant, sauve la vie ; rançon de 10.000 écus. Ainsi je le fis mon prisonnier.

Mais quelque grande & signalée qu’ait été cette victoire, elle fut sanglante pour la France, qui perdit un très-grand nombre de braves
gens qui y furent sacrifiés pour le bien général de l’État. On y prit une infinité de drapeaux & de cornettes, & on y fit beaucoup de prisonniers. Le principal était le comte de Feria dont j’ai parlé. Dom Charles, bâtard de l’archiduc Leopold, le colonel Sfondate Italien, le colonel Brons Anglais y furent aussi pris. Pour le prince Thomas & le comte Buquoy, ils trouvèrent leur sûreté dans leur fuite. j’eus un assez grand différent après le combat, avec celui qui commandait les enfants perdus, lequel soutenait que le comte de Feria avait demandé quartier, & que c’était à moi qu’il s’était rendu, & qu’au reste je m’en rapportais au jugement du prisonnier même.

La bataille de Wimpfen (6 mai 1622) d’après Louis de Heynin

La bataille de Wimpfen (6 mai 1622) d’après Louis de Heynin

Louis de Heynin (ou Hennin) du Cornet était mestre de camp du tercio de Heynin. Il a laissé une belle description de la bataille de Wimpfen, même si son tercio n’y a pas participé, ayant été laissé à la garde d’une ville.

La bataille de Wimpfen d’après l’Histoire générale des guerres de Savoie, de Bohême, du Palatinat et des Pays-Bas, par le seigneur du Cornet, gentilhomme belgeois.

Le 5 mai (1622), et la fête de l’Ascension, le marquis de Durlach et le bâtard de Mansfeldt ayant paru sur le midi en campagne rase, aux environs d’Heilbronn du côté du quartier de monsieur de Tilly, on lâcha les trois coups de canon, qui firent trouver aussitôt tous les soldats à la place d’armes et se mettre en escadrons. L’armée de Bavière se mit à la main gauche d’un petit bois qui était au milieu de la campagne et celle de don Gonsalvo se rangea sur la main droite et pour ce qu’il était déjà tard, ils ne se firent ce jour autre chose que se tirer trois à quatre  volées de canons et l’on passa ainsi jusqu’au lendemain, ne mangeant les chevaux, pour cette nuit, que des feuilles de ce bois.

Le lendemain, à l’aube du jour, on donna à chaque cavalier un chapeau d’avoine pour rafraîchir leurs chevaux ; puis, faisant passer toutes les troupes par-dessus ledit bois dans une large campagne rase, on les dressa aussitôt en escadrons, et en même temps posant l’artillerie à la tête des bataillons, on commença à l’instant de se canonner et avec telle continuation qu’ils demeurèrent en ce point plus de huit heures et jusqu’à ce que l’on aperçut, environ le  midi, que l’ennemi y commençait à se retirer, ne pouvant plus endurer la ruine que lui faisait notre canon.

Les soldats se désespéraient d’impatience qu’on ne l’avait attaqué et encore plus de ce qu’on ne faisait aucun devoir de le poursuivre, mais on avait crainte qu’il n’eût usé de la même feinte que fit Annibal contre les Romains, à la bataille de Cannes qu’il gagna, se mettant ledit Mansfeldt en embuscade dans un bois voisin pour, lorsque l’on viendrait aux mains, se jeter à l’improviste sur l’arrière-garde et les enserrer entre ses deux armées, ce qu’il nous eut infailliblement fait perdre non seulement la victoire, mais aussi l’honneur et le pays. C’est pourquoi ces prudents généraux catholiques voulurent être premièrement assurés de ce doute.

Ayant partant été trouvé qu’il n’y avait aucun empêchement, il fut résolu de les suivre (les ennemis) et de les attaquer, auquel effet l’on fit toucher tambours et trompettes à ce que chacun se trouvât en son escadron, et si tôt les armées se mirent en diligence de marcher. Celle de don Gonsalvo qui était distante de celle de Bavière de deux portées de mousquet s’avança la première. Son infanterie faisait trois bataillons, un d’Espagnols et les deux autres d’Allemands, les Wallons ayant été laissés pour la garde des villes, et tous rangés en un front avec deux gros de cavalerie aussi en même front, laissant toujours néanmoins distance suffisante entre lesdits bataillons, pour se pouvoir à son aise tourner, attaquer et défendre. Les harquebusiers à cheval étaient plus avancés, et les autres gens de chevaux disposés sur les ailes et au derrière, ayant au surplus à la tête quelques pièces de canons. Et de cette forme, celle de Bavière s s’étant de même mis en bataille, ils approchèrent l’ennemi, lequel ayant su leur venue les attendait de pied ferme, et tirait incessamment de son canon, au travers de nos escadrons, autant de temps qu’ils furent traversant une grande campagne pour venir jusqu’à lui, ce qui les incommoda extrêmement, mais ils n’en furent pourtant empêchés de venir aux mains.

La résolution de l’un et de l’autre était telle, qu’il ne s’est vu de longtemps un combat plus furieux, qu’ils ne firent du premier abord, à cause de quoi il s’en éleva incontinent une bruine si grande, tant de la fumée des canons, mousquets et pistolets, que de la poussière des chevaux, qu’ils furent deux grandes heures sans se pouvoir voir : chose qui nous fut bien grandement profitable pour deux raisons : l’une pour ce que l’ennemi ne nous pouvant voir ne nous faisait guère de dommage de son canon, l’autre d’autant qu’il n’en aurait pu apercevoir le désordre de quelques escadrons de cavalerie, et l’ébranlement de deux bataillons de notre infanterie allemande qui, à la fin par trop chargés de coups de canons et de mousquets, s’en épouvantèrent et se mirent en arrière.

Le bataillon espagnol donc demeurant seul d’infanterie, au milieu de la campagne, se trouva bien étonné de cette épouvante et fort en peine de tant d’ennemis, mais les Wallons de chevaux (i.e. la cavalerie wallonne) le voyant en ce terme, accoururent aussi tôt à son support, avec un gros de six cornettes et le joignirent de près, criant aux soldats de prendre courage, de continuer de combattre toujours plus vaillamment, et ne pas rompre, et qu’ils étaient venus pour les seconder et mourir avec eux ; paroles qui les animèrent tellement en leur résolution, qu’ils ne se bougèrent d’un pas et se tinrent encore le reste de cette façon longtemps d’une valeur admirable, se mettant à genou pour se mieux maintenir en leur rang et se conserver de la pluie de la mousqueterie des ennemis. Si bien que les autres en reprirent l’assurance de se rejoindre et de retourner au combat plus généreusement que jamais ; et que notre cavalerie redoublant de ce coups son courage, se trouva victorieuse de celle des Palatins et la rompit entièrement.

Le plus gros de la besogne demeura contre l’infanterie, à raison de la forte barricade qu’elle avait, et telle qu’il ne s’en était jamais vue de semblable. (…)

Le marquis de Durlach(…) usa d’une subtilité et ruse de guerre, nouvelle et inusitée ; il vous faut considérer qu’il avait une grande quantité de sapins traversés de longues broches de fer tournées vers la campagne, et posés sur des petits chariots à deux roues, menés avec un cheval et faits de plus si ingénieusement que les deux bouts de ces pièces de bois portaient chacun un petit mortier, duquel ils tiraient à chaque fois quatre balles de mousquets, et avec cette fortification, le marquis de Durlach environnait son armée et marchait en assurance, quand il en avait besoin. C’est pourquoi il tint encore si longtemps ferme, nonobstant la déroute de sa cavalerie et la perte de ses munitions de poudre, le feu s’étant mis dedans en ce renouvellement d’escarmouche.

Pour lors la barricade tirait du soleil levant (est) vers le couchant (ouest) et la face de l’armée au septentrion, et au bout de laquelle barricade, du côté du levant, était une grande batterie de douze pièces de canons, qui battaient tout le long de la face de ladite armée et en donnaient à qui en voulait approcher. Le reste de son artillerie était de plus disposé devant chaque bataillon. Ce fut pour cette cause que monsieur de Tilly traversa lors les escadrons de don Gonsalvo, et qu’il voulut les exhorter aussi d’achever avec les siens valeureusement la journée. Or comme donc chacun sur ceci se mettait en cette disposition de combattre et de les attaquer vaillamment, nonobstant ces grandes fortifications et avantages inespérés, il vint un grand bruit de l’armée, qu’on voyait une poussière épaisse s’élever en une campagne voisine. Les généraux pourtant craignant que ce ne fût quelques secours pour aider cette infanterie, firent tourner tête à la plus grande partie des escadrons vers ladite campagne ; cependant ils envoyèrent incontinent monsieur Scherrich, avec sa compagnie d’harquebusiers à cheval, pour reconnaître le tout, et lequel battant l’estrade en long et en large, ainsi qu’il lui était enjoint, et ayant rapporté n’y avoir rien vu, tous ces escadrons retournèrent face et se réunirent au même point que devant.

Jusqu’alors l’armée de Bavière n’avait encore rien fait, ayant toujours été réservée jusqu’à ce qu’il fût été nécessaire d’en user comme en cette occasion. C’est pourquoi don Gonsalvo étant de besoin de bientôt se mettre aux effets, il se trouva en ce temps à la tête de ses troupes l’épée à la main, et pria monsieur de Tilly de se disposer de même à faire avancer ses gens, et ce qu’ayant fait et donné ses ordres partout, l’infanterie de l’une et l’autre armée marcha incontinent vers le canon de l’ennemi. La cavalerie s’avança pareillement, non toutefois pour combattre, pour ce que celle de leurs adversaires était toute dissipée et ne paraissait plus (i.e. le duc Magnus de Wurtemberg, commandant la cavalerie badoise était tomber, criblé de blessures), mais bien afin de se tenir prête et attendre le temps que les chariots fussent été défoncés pour donner dedans.

Notre infanterie allant ainsi droit la tête baissée au canon de l’ennemi, ceux qui en avaient la garde voyant l’orage se venir fondre de leur côté, quittèrent leurs postes, après quelque peu de défense et s’enfuirent, de quoi une voix en courut aussitôt par tous les escadrons, que les batteries de l’ennemi étaient gagnées et ses canons saisis, bruit qui augmenta extrêmement le courage des soldats, pour ce qu’ils en avaient reçu un dommage très grand, si bien qu’ils en allèrent avec plus d’allégresse et de résolution attaquer leurs fortifications, lesquelles partant ils rompirent à la fin, foncèrent dans la place d’arme des Palatins, et les mirent en désordre.

Les escadrons de chevaux regardant cette affaire commencèrent lors à se remuer, et ayant ouï crier : « Avance cavalerie », ils se trouvèrent à l’instant à la mêlée. Toute cette grande campagne où l’ennemi était, fut aussitôt pleine de fuyards, et peu de temps après, elle fut vue remplie de tous côtés de corps morts, par la diligence grande que les soldats firent d’en faire massacre, bien qu’ils étaient fort incommodés de marcher pour la grande quantité de piques, mousquets, cuirasses et autres armes que les fuyards avaient jeté parmi la campagne, pour courir mieux à leur aise ; et furent en cette poursuite à deux grandes heures de cette place d’armes, et y gagnèrent beaucoup de belles hardes et force argent.

Toute l’armée par après logea cette nuit sur le champ de bataille, y faisant par tout des grands feux en signe de réjouissance ; et le matin venu, elle avança jusqu’une ville appelée Heilbronn.

Stéphane Thion

La bataille de Leucate (28 septembre 1637) d’après les relations

La bataille de Leucate (28 septembre 1637) d’après les relations

Ci-dessus : Charles de Schomberg, duc d’Halluin

La bataille de Leucate, d’après les Mémoires de Richelieu, année 1637

Les Espagnols s’avancèrent le 29 août à Leucate et l’investirent, faisant état de l’emporter en moins de huit jours. Leur armée, commandée par Cerbelon, était de 10 000 hommes à pied, mais mauvais, la plupart jeunes gens que l’on menait par force à la guerre, et de 2 000 chevaux et 24 canons. ils voulurent faire passer leur artillerie par le Malpas, mais ils y rencontrèrent tant de difficultés qu’ils furent contraints de l’embarquer sur l’étang. (…)

L’armée (du duc d’Halluin) était de 11 000 hommes et 1 000 chevaux. (…)

On ordonne cinq attaques, l’une du côté du pont, qui était à main droite, au sieur de Saint-Aunais avec son régiment soutenu des communes de Narbonne, de Béziers et du diocèse de Castres, de la compagnie de volontaires commandée par le sieur de Lairon, et d’une de mousquetaires à cheval de Toulouse, commandée par le sieur de Calvet, trésorier de France audit Toulouse.

A la main gauche, près de la mer, vers un port nommé la Franquine, le régiment de Languedoc donna, soutenu par le sieur de Jonquières, Cauvisson et le baron de Mirepoix, avec chacun un corps d’infanterie qu’ils avaient amené, qui était soutenu par par M; le marquis d’Ambre, lieutenant du Roi en Languedoc, avec une troupe de ses amis particuliers au nombre de 150 gentilshommes qu’il avait amené, soutenu par le sieur de Lastrongle, guidon des gendarmes de M. le comte de Cramail qui avait amené 50 maîtres de sa compagnie.

A la main droite du régiment de Languedoc donna le sieur de Saint-André, à la tête de son régiment, soutenu par les communes de Nîmes et de Castres, soutenues par la compagnie de gendarmes du duc d’Halluin commandée par le sieur de Bioule ; après marchait le sieur de Clermont-Sessac à la tête de 50 ou 60 gentilshommes de qualité, volontaires, soutenus par le sieur de Magalasse.

A la main droite de Saint-André donna le régiment de Castelan, soutenu par un bataillon des communes de Montpellier et un de celles de Carcassonne, soutenues par le comte d’Aubojoux qui commandait la cornette blanche avec 100 gentilshommes, après lequel marchait le marquis de Mirepoix avec quelque 50 de ses amis, les sieurs de Monssolens avec le même nombre (50) de leurs parents et amis, et après le sieur de Mauléon avec même nombre (50).

A la main droite de Castelan donna le régiment de Vitry, à la tête duquel était le sieur de Clermont-Verpilliard, mestre de camp d’un régiment, et six officiers de La Tour qui étaient venus faire des recrues, dont trois furent tués et les autres blessés ; lequel régiment était soutenu d’un corps d’infanterie commandé par le sieur de Mervielle, et celui-ci par un autre commandé par le sieur de Vallac, soutenu par les gardes du duc d’Halluin commandées par le sieur Dandonville ; une autre compagnie de mousquetaires à cheval de Toulouse, commandée par le sieur de Casel, soutenus par la compagnie de chevau-légers du sieur de Boissac, à la tête de laquelle était le duc d’Halluin, laquelle était soutenue par le sieur de Sainte-Croix à la tête de sa compagnie ; après marchaient le sieur de Saussan et le sieur de Malves avec deux autres de 40 maîtres.

Sur la main droite de tous ces corps fut laissé un corps de réserve des communautés de Lodève, de Ganges et des Cévennes, soutenus par le sieur de Spondeillan avec une compagnie de 50 maîtres.

(Note : une compagnie de gendarmes comprend 100 maîtres et une compagnie de chevaux légers, théoriquement 55 maîtres).

Le signal de quatre coups de canon donné, les cinq attaques commencèrent ; celle de main droite faite par le sieur de Saint-Aunais fut repoussée, ayant été blessé d’un coup de mousquet à la tête, de huit coups de pique et d’épée, son lieutenant colonel tué et quelques autres officiers. Tous ces corps d’infanterie lâchèrent pied : aussi avait-on bien cru que cette attaque servirait plutôt de diversion que de voie pour emporter ce retranchement. Les quatre autres attaques réussirent, de sorte que les quatre régiments qui faisaient tête ne se contentèrent pas de faire passage à la cavalerie et de déloger à coups de piques et d’épées les ennemis de leurs retranchements, mais les poussèrent jusqu’à ce qu’ils eussent trouvé les divers bataillons et escadrons qui les soutenaient ; lors la cavalerie arrivant, le combat fut si opiniâtre de part et d’autre l’espace de deux heures, et la clarté de la lune semblait avoir une lueur extraordinaire pour favoriser la justice de la cause du Roi. Le régiment de Languedoc qui était à la gauche, força à coups de piques et d’épées, non seulement la ligne qu’il attaquait, mais aussi deux forts à la main gauche, ayant son mestre de camp à la tête, qui fut blessé de deux coups et fit aussi très-généreusement. Les autres corps entrèrent ensuite, les uns par les mêmes lieux, les autres par quelques endroits qu’ils avaient trouvés plus accessibles. lors le sieur d’Argencourt qui était à cheval à la tête des enfants perdus, dès qu’il y eut quelque nombre de soldats passés en forme de petites troupes, poussa avec eux les ennemis qui se présentèrent, pour donner moyen à nos gens de faire l’ouverture des retranchements qu’ils firent quitter aux ennemis après un très-long combat de main à main. Enfin lesdits régiments ayant un peu gratté et éboulé quelque chose des retranchements, le sieur de Mayola, qui était à cheval avec les enfants perdus, assura le duc d’Halluin qu’il avait vu que la cavalerie pouvait passer les retranchements, ce qui lui fut confirmé par un soldat que le sieur La Clotte, mestre de camp du régiment, et premier consul de Montpellier, lui envoya ; mais comme la cavalerie des ennemis se présenta en cet instant, quelques soldats de milice et autres, jusqu’au nombre de 2 000, se renversèrent sur lui qui était au pied de la colline prêt à monter, si bien qu’il demeura quelques temps à les vouloir rallier, mais inutilement. Craignant donc que ladite cavalerie ennemie ne poussât le reste de notre infanterie, il fit monter ses gardes, qu’il fit soutenir par la cavalerie qui se trouva là ; et comme il avait séparé sa compagnie de gendarmes et celle de Boissac aux deux extrémités de droite et de gauche, il fut contraint de se servir des volontaires. le comte d’Aubijoux avec ses amis soutint donc sesdites gardes, et les fit soutenir par le marquis de Mirepoix, qui entrèrent avec leurs amis vigoureusement, chargèrent quelque troupe de cavalerie qui se présenta (ces compagnies de cavalerie étaient en soutien du régiment de Castelan). Sesdites gardes, conduites par le sieur Dandonville et d’Essignac, firent leur salve de dix pas, et se mêlèrent en même temps dans l’escadron, où ils furent soutenus par lesdits comte d’Aubijoux et marquis de Mirepoix, lesquels, à cause de la nuit et de la vigueur avec laquelle ils suivirent les ennemis, s’égarèrent sans pouvoir retrouver le chemin du passage pour se rallier à nous. Sur ce temps-là le duc d’Halluin, voyant que le désordre continuait à l’infanterie, entra à la tête de la compagnie dudit sieur de Boissac qu’il mit à sa main gauche, et fut suivi de quelques gentilshommes qui faisaient un fort petit escadron derrière. À l’instant une troupe de 4 à 500 chevaux, commandée par Terrasse (cavalerie liégeoise), s’avança à lui ; il tourna, et ledit sieur de Boissac et lui le chargèrent avec environ 70 maîtres, en sorte qu’ils la renversèrent tout à fait. Sur ce temps-là le marquis d’Ambres, qui était entré par sa main gauche, trouva cette même troupe à sa retraite sur le temps de son ralliement, et la chargea si vertement avec le sieur de Spondeillan (réserve de cavalerie de 50 maitres), qu’ils la défirent entièrement, sauf quelque parti qui voulut retourner à eux et qui ne leur fit pas grande résistance. Ledit Terrasse était un renommé mestre de camp liégeois. Le comte Jean Cerbelon vint à un fort au-dessus du pont pour s’opposer à nous ; il n’avait de bien bonnes troupes en son armée que le régiment du Comte-duc qui était composé de toute noblesse d’Espagne et de personnes choisies dans tous leurs royaumes. Il fit sortir dudit fort 2 500 hommes dudit régiment qui vinrent en bataille, tirant par rang à notre infanterie, qui était encore dans le désordre de la première attaque, et les corps entremêlés les uns avec les autres. le duc d’Halluin appréhenda avec raison qu’ils ne branlassent, ce qui l’obligea à les aller charger avec ledit sieur de Boissac et quelques autres volontaires ; il y réussit en sorte qu’il repoussa ledit régiment jusque dans le fort d’où il sortait un feu continuel. Le duc d’Halluin, se trouvant peu accompagné, manda au sieur d’Argencourt qu’il lui envoyât des troupes qu’il ralliait d’autre côté le mieux qu’il lui était possible. Cependant il fit avancer des pelotons de son infanterie, soutenus par un corps de piques, pour déloger les ennemis d’un lieu d’où il faisait des salves continuelles qui estropiaient force monde, ne pouvant pas s’apercevoir, à cause de l’obscurité, que ces gens fussent logés dans un fort ; mais d’abord qu’ils virent avancer notre infanterie de Vitry et de Languedoc, ils vinrent au-devant d’eux par pelotons de mousqueterie, tout de même que les nôtres soutenus de piques ; et comme les Espagnols tirent infiniment mieux que nous, ils tuèrent quelques officiers et quelques soldats. le duc d’Halluin, assisté du sieur de Boissac, retourna lors à la charge où ils tuèrent quantité de d’Espagnols de coups d’épée, lesquels le lendemain se trouvèrent tous les uns sur les autres, sans avoir reculé d’un pas. Et il ne faut pas celer l’action de sept de leurs piquiers qui soutinrent douze des nôtres tout un temps, criant toujours vive Espagne ! jusqu’à ce qu’enfin les nôtres se résolurent de les enfoncer et les mirent au fil de l’épée. Ensuite et cela le capitaine Philippe Marine qui commandait un escadron, vint aux nôtres fort serré, au petit pas, et les obligea d’aller audevant de lui avec ce qui restait de Boissac, la compagnie de gens d’armes du duc d’Halluin et force volontaires, parmi lesquels étaient tous ces braves gens de la race des Monssolens, messieurs d’Annibal, de Pérault, de Clermont de Lodève, Morangé, de Mirepoix, d’Aubijoux, de Montbrun, Mense, de Bioule et le comte de Merinville qui fit merveilleusement bien. Nous nous jetâmes parmi eux avec un peu de confusion, qui nous réussit néanmoins, en sorte qu’après que les ennemis eurent fait la décharge de carabines et pistolets qu’ils portent, M. de Boissac dit au duc d’Halluin qu’il allait tuer le capitaine, à quoi il ne manqua pas ; en même temps l’escadron voulant tourner, le duc d’Halluin le prit par le flanc et le rompit entièrement. Ce régiment du Comte-duc fit une résistance inouïe, car étant percé, débandé en bande par les escadrons de Boissac et Sainte-Croix, à la tête desquels était le duc d’Halluin, se rallièrent huit ou dix fois à la faveur de leur fort, et le duc d’Halluin ralliant tout autant de fois sa cavalerie pour les défaire, de sorte que cinq heures durant, la victoire fut indécise, tantôt l’infanterie des ennemis se retirant rompue par notre cavalerie, tantôt notre infanterie pliant à partie de la cavalerie, poussée par le feu de ce bataillon, de telle sorte qu’il faisait croire que c’était plutôt toute l’infanterie ennemie en divers bataillons qu’un seul corps. Le combat dura cinq heures entières avec un feu de mousqueterie qui ne cessa jamais. Le sieur de Malves, à qui le Roi avait fait l’honneur d’accorder une compagnie de chevaux légers, fit aussi une fort belle charge à ce même régiment qui ressortit jusqu’à six fois ; et le combat fut si opiniâtre, que le duc d’Halluin, le sieur de Boissac, M. de Sainte-Croix et les gardes du duc d’Halluin, avec quelques volontaires, firent jusqu’à neuf charges contre leur infanterie et cavalerie. L’archevêque de Bordeaux qui était venu au bruit de la descente des ennemis en la province, alla prendre le régiment de Saint-Aunais, qui n’avait point réussi à son attaque, et les communes de Béziers et de Castres, et vint au duc d’Halluin criant tout haut qu’il lui amenait 4 000 hommes de pied et 400 chevaux tout frais. Peut-être que ces paroles étant entendues des ennemis les étonnèrent, car depuis ce temps-là, ils se contentèrent de continuer leur feu, sans plus faire paraître de cavalerie ni d’infanterie aux lieux d’où l’on pouvait aller à eux ; Cerbelon se retira alors avec la plupart de ses drapeaux. Ce qui fut le plus remarquable en cette occasion, fut que nos gens firent une vingtaine de ralliements contre la coutume des Français, et la compagnie du sieur de Boissac, au sortir du combat, se rassembla en un instant au premier mot dudit sieur de Boissac et de son lieutenant.

Un chacun étant demeuré tout le reste de la nuit sur ses armes et en ordre de bataille, l’obscurité depuis que la lune fut couchée étant si grande, que non seulement on ne pouvait voir les ennemis, mais on ne s’apercevait pas soi-même, quand le jour vint à pondre on discernait les ennemis fuyant, la campagne couverte de leurs corps morts et de leurs chevaux, l’étang tout couvert de gens qui se sauvaient et se noyèrent, et les diverses batteries pleines de canons dont les retranchements étaient fournis. Le duc d’Halluin marcha droit au camp de Cerbelon avec sa cavalerie, où il ne fut trouvé que sa vaisselle d’argent dans sa tente, et auprès celle de deux autres chefs, et l’argent de l’armée qui fut bientôt séparé, dix drapeaux et deux cornettes de cavalerie, qui furent les seuls qu’ils arborèrent, les tranchées vides, les batteries de l’attaque et les parcs de l’artillerie, et tout ce qui était des munitions des ennemis en si bon ordre, qu’il était facile à juger qu’ils n’avaient pas eu grand temps à se retirer, 32 pièces de fonte, 4 mortiers, 300 quintaux de poudre, 5 ou 600 de plomb, 7 ou 800 de mèches, 5 ou 6 000 boulets, autant d’outils pour la terre, 100 chariots attelés de mulets et boeufs, et une prodigieuse provision de chevilles et divers bois, témoignant bien que leur audace leur faisait penser à de plus grands desseins que leurs forces ne purent entreprendre. Nous y perdîmes beaucoup de noblesse et de soldats, mais les ennemis, sans comparaison, beaucoup davantage ; il en demeura des leurs 2 500 et près de 1 000 qui se noyèrent dans l’étang ; on en trouva plus de 1 300 morts sur le terrain, entre lesquels il y en avait un très-grand nombre de qualité. (…)

Quand Cerbelon avec ses troupes fuyardes arriva à Perpignan (alors ville d’Espagne), la ville eut peine à le recevoir : l’effroi était si grand qu’il leur semblait que l’armée du Roi les suivait en queue pour les attaquer partout où elles se retireraient ; néanmoins, parce qu’elle était presque toute composée de communes, elle ne passa pas outre, chacun étant si content de la victoire que Dieu lui avait donnée, que la plus grande partie se dissipèrent et se retirèrent chez eux. Le duc d’Halluin eut soin de combler les tranchées et les travaux des ennemis, de réparer Leucate et la munir d’hommes et de tout ce dont elle avait besoin pour la défendre.

 

La bataille de Leucate d’après le Mercure François de 1637

Comme si les assiégeants & les assiégés employaient toutes choses, les uns à leur attaque & les autres à leur défense, le duc d’Halluin recherchait toute sorte de moyens pour se mettre en état de combattre les ennemis. Et à cet effet il envoya des courriers aux chefs de l’armée navale du Roy, qui était en Provence, pour la faire avancer du côté de Leucate, jugeant que par ce moyen le secours était infaillible. les chefs de cette armée répondirent suivant les ordres qu’ils avaient du Roy, qu’ils seraient très aisés d’agir en cette occasion contre les ennemis de l’État, si les vaisseaux de leur armée trouvaient des ports en Languedoc capables pour les recevoir, & des rades où ils pussent être en sûreté.

L’archevêque de Bordeaux poussé par le zèle du service du Roy, ne se contenta pas de répondre par lettre à cette semonce, il vint lui-même en poste & arriva le 10 septembre à Béziers avec le pilote Real, le major et autres officiers de l’armée navale. Leur arrivée apporta une très-grande joie, par l’espérance qu’ils donnaient que toute la noblesse de Provence se devait embarquer, avec le régiment de Vailhac pour venir au secours. Mais ce plaisir ne dura que jusqu’à ce que les officiers de l’armée navale eurent reconnu le port d’Agde, la Nouvelle, & quelques autres lieux. Car ayant rapporté qu’il n’y avait ni fonds pour les grands vaisseaux, ni sûreté pour les galères, l’ont reconnu qu’il ne fallait plus s’attendre au secours de la mer, & que Dieu voulait que pour la gloire du Languedoc, l’action fût exécutée par les seules forces de la province, sans l’assistance des étrangères. Ce qui fit davantage presser la levée des troupes, pour la subsistance desquelles dans une assemblée convoquée par le duc d’Halluin, des prélats, barons, & villes plus proches de la frontière qui ont droit d’entrée aux États du Languedoc, & tenue à Béziers le 11 du mois de septembre, il résolut que la province fournirait 50 000 écus pour le secours de Leucate. En cette assemblée présidait l’archevêque de Narbonne, lequel a durant toutes ces occasions agi avec très-grande vigueur, pour délivrer la frontière de l’invasion des Espagnols, & mettre Narbonne en état de résister à leur effort, si leucate n’eut pas arrêté le cours de leurs entreprises. (…)

Il (le duc d’Halluin) fit la première revue de ses troupes le 22 septembre dans la plaine de Coursan, où se trouvèrent 9 000 hommes de pied, & 7 à 800 chevaux, auxquels il fit passer le canal d’Aude, sous les bastions de Narbonne, à la faveur d’un pont de bateaux, & le 23 il vint avec cette armée camper à Sigean, où elle séjourna le 24 afin que d’autres troupes que l’on savait approcher la pussent joindre. Aussi durant ce jour il arriva un renfort de 1 200 hommes de pied & 200 chevaux. Et bien que l’on fut assuré, par les routes données aux troupes qui se levaient aux quartiers de la province les plus éloignés, qu’il y avait encore plus de 6 000 hommes de pied & 500 chevaux qui venaient de diverses parts, le duc d’Halluin ne fut pas d’avis de les attendre, jugeant par la bonne résolution des troupes qui étaient près de lui, que c’était leur faire tort que de leur différer la gloire d’une bataille dont leur courage semblait lui promettre la victoire.

Le 25 au matin, l’armée fut divisée en avant-garde, bataille, & arrière-garde, & le duc d’Halluin prit le soin de former ces corps, pour les rendre de force proportionnée à son dessein. il fit partir sur l’heure l’avant-garde & la bataille composée de 7 500 hommes de pied & 400 chevaux, commandés par Argencourt maréchal de camp, avec ordre de camper à la plaine de Roquefort, & de sommer le château occupé par les ennemis, qui se rendirent la vie sauve, & le bâton blanc à la main, bien que l’assiette du château, & le nombre des hommes qui étaient dedans, fussent capable d’amuser notre armée quelques jours.

Le soir du 25 l’on avertit les assiégés, par le dernier signal de six feux allumés, sur le haut du mont de Desferrecaval, qu’ils verraient le lendemain le secours devant la place. Ces feux furent les avant-coureurs de ceux que la joie publique a fait allumer dans toute la France (…) Dès les quatre heures du matin notre général le duc d’Halluin partit de Sigean, menant avec soi l’arrière-garde, & la noblesse volontaire qui était demeurée pour l’accompagner, & joignit l’avant-garde & la bataille que Argencourt rangerait sur le haut de Desferrecaval ; & l’arrière-garde y ayant été ajoutée, l’armée se trouva composée de 11 000 hommes de pied, & de 1 000 chevaux.

Cette armée marcha en bataille depuis Desferrecaval jusqu’aux cabanes de la Palme, où il y avait trois compagnies de cavalerie des ennemis en trois escadrons, que les barons de Pujol et Dupré escarmouchèrent avec quelques volontaires ; elles se retirèrent chargées par les Gardes du duc d’Halluin, & 6 cornettes de leur cavalerie qui venaient de Fitou pour les soutenir, tournèrent tête & se retirèrent dans les retranchements de Leucate, laissant toute la plaine libre à nos troupes, qui continuèrent leur chemin sur la droite pour gagner le terrain qui leur était nécessaire, afin qu’en tournant après à gauche toute l’armée se trouvât en front des retranchements, à la vue desquels par le plan des approches que le duc d’Halluin avait réglé toutes nos troupes se présentaient à la fois, si bien que les ennemis ne pouvant juger de leur hauteur, l’armée leur paraissait deux fois plus grande qu’elle n’était. La compagnie des Gardes fut commandée de visiter les avenues du camp, suivie de la cavalerie qui était à l’aile gauche ; celle de la droite, commandée par Boissat, ayant été placée sur la venue de Fitou, afin que s’il y avait encore de la cavalerie ennemie, comme la plus grande partie avait accoutumé d’y camper pour la commodité des eaux, elle ne vint donner quelque diversion aux troupes lorsqu’elles seraient devant le camp des ennemis.

Le comte Serbellon voyant approcher notre cavalerie, fit semblant de vouloir détacher la sienne, pour escarmoucher à la faveur de ses forts ; mais les premiers qui sortirent des rentranchements ayant été vivement poussés par Andonville & Designac capitaine & lieutenant des Gardes, ils souffrirent que le duc d’Halluin reconnut le camp & ses avenues avec le marquis d’Ambres, le marquis de Varennes & Argencourt maréchaux de camp, Mayola lieutenant des Gardes de son éminence, le comte de Merenville, & Saint-André qui furent nommés par le général, pour l’accompagner en cette action, sans que la cavalerie des ennemis osât paraître pour les pousser, voyant que la moitié de la nôtre s’avançait pour les soutenir. Le canon des ennemis ne fut pas en cette rencontre si oisif que leur cavalerie, car tout ce qui était dans les forts tira sur la notre, tandis qu’elle fut dans la portée de leurs pièces ; & lors que les chefs & officiers de l’armée voulurent reconnaître de plus près les retranchements, le feu qui sortait des courtines & des redoutes fit juger qu’elles étaient gardées par un grand nombre de mousquetaires ; trois volées de canon donnèrent dans l’escadron du marquis d’Ambres, qui tuèrent le vicomte de Monsa & travanet, & blessèrent Jonquières de Narbonne.

Tout cela n’empêcha pas que le Duc & ceux qui l’accompagnaient ne reconnussent de bien près l’enceinte du camp des Espagnols, ils trouvèrent que leur travail avait été dessiné dans l’assiette la plus dangereuse qui se pouvait imaginer, car il occupait toute la sommité du front de la montagne qui regarde de la France, depuis le bord de l’étang de Leucate, jusqu’au port de la Franqui. Les retranchements étaient selon l’ordinaire composés de forts, lignes, tenailles & demi-lunes ; & là où la forme de la montagne les avait obligés à tirer des lignes droites, ils avaient avancé de grandes redoutes pour les flanquer. Outre les lignes de circonvallation, ils avaient fait un grand travail au dedans pour fortifier leur champ de bataille, qui était sur le haut de la montagne dans une belle esplanade derrière leurs retranchements, là où ils avaient dressé des forts dont l’ouvrage était merveilleusement beau, quoique la forme en fût irrégulière & assujettie aux éminences qu’ils avaient voulu occuper. La hauteur de ce travail était de huit à neuf pieds, plus ou moins relevé suivant que les lieux en étaient plus ou moins accessibles ; derrière il y avait des banquettes, & en quelques lignes là où il s’était trouvé du terrain qui peut être creusé. La matière de cet ouvrage était de pierre, de terre, & de fascine fort bien liés ensemble, avec pieux qui fortifiaient le travail, lequel était tellement accompli, qu’il n’y avait pas jusqu’aux banquettes & au glacis des parapets, qui ne fussent en leur perfection ; ils avaient encore fait des retranchements au bord de la mer & de l’étang partout où les barques pouvaient aborder, afin d’empêcher la descente d’un secours si les Français le voulaient hasarder sur les barques ; mais comme ces forts ne furent pas attaqués, serait inutile d’en écrire le travail. Ce qui rendait l’attaque de celui qui était à la tête de la montagne grandement périlleuse, c’était son assiette, car il occupait tous les bords du haut de la montagne, & tenait toutes les avenues, sous un commandement meurtrier en telle façon que par tous les endroits où l’on pouvait se présenter, soit aux lieux où la roche était escarpée, soit à ceux où la pente plus douce pouvait favoriser l’accès à notre cavalerie, depuis que l’on était à la portée de leur canon, jusqu’au pied de leur travail, il n’y avait arbre ni buisson, fossé, chemin, rocher, ni masure, qui pût mettre un soldat à couvert, ni donner moyen aux assaillants de loger quelque corps pour faciliter les approches du reste des troupes.

Toutes ces difficultés donnèrent sans doute un grand déplaisir à ceux qui les reconnurent, lesquels ayant jugé que l’attaque de ces forts ne pouvait être faite qu’avec un ordre bien concerté, l’armée vint camper aux cabanes de la Palme, où le Conseil de guerre fut tenu, & dans les irrésolutions que les impossibilités apparentes du secours causaient, il fut délibéré que le lendemain les principaux officiers des corps d’infanterie iraient reconnaître le camp des ennemis, & que cependant l’on sommerait la Palme, comme très-nécessaire à notre armée, tant à cause des fourrages que les ennemis y avaient retirés, que pour les eaux dont l’armée était fort incommodée, n’y ayant qu’un seul puits aux cabanes de la Palme. ceux qui tenaient la place ayant été sommé de la rendre, répondirent qu’ils avaient promis fidélité à leur Roy, & Dubourg, qui avait été premier capitaine au régiment de Picardie, eut commandement de les investir, avec les milices de Narbonne, commandées par Dassignan, & un régiment de 800 hommes que le baron de Ganges avait conduit à l’armée, avec ordre d’y amener deux pièces de canon pour les forcer en cas de résistance, ce qui obligea les assiégés de prendre composition, avoir que sept des officiers principaux emporteraient leurs armes ordinaires, & les soldats l’épée seulement avec leur bagage, réservé le butin qu’ils avaient fait, lequel ils promirent de laisser dans la place.

Cette reddition par un rencontre miraculeux fut faite le 27 septembre, qui est le jour très-fortuné de la naissance du Roy…

Durant que les troupes destinées au siège de la Palme pressaient la garnison espagnole à se rendre, les principaux officiers du reste de l’armée s’avancèrent vers les retranchements des ennemis, pour découvrir les avenues qu’ils jugeraient plus accessibles. Le général voulut lui-même reconnaître encore un coup le camp des Espagnols, & ayant mis en bataille toute la cavalerie de l’armée pour soutenir ceux qui reconnaîtraient, il approcha les retranchements à la portée de la carabine ; mais les ennemis prenaient telle assurance en leurs fortifications, qu’ils ne donnèrent aucun ennui à ceux qui les vinrent reconnaître, & tirèrent fort peu sur eux, témoignant qu’ils été aises que les Français vissent leur ouvrage, & croyant que cela les dégoutterait de l’attaquer, aussi le rapport de nos officiers après cette reconnaissance ne produisit autre chose que de nouvelles raisons pour appuyer les difficultés qui avaient été objectées au précédent conseil. Ce qui donna un extrême déplaisir au duc d’Halluin d’avoir fait une si belle levée de gens de guerre, & plus grande que pas un gouverneur auparavant lui, sans autre effet pour le service du Roy, que de retourner vers Sigean, & loger l’armée ès lieux voisins, pour empêcher simplement les progrès des ennemis, sans espérance de secourir Leucate. Et comme sa générosité ne pouvait souffrir les expédients que l’on proposait de bâtir des forts, & faire subsister un corps d’armée pour les garder, en un mot d’entretenir la guerre en son gouvernement, aimant mieux la finir par un généreux combat, & rendre au Languedoc la paix & tranquillité que cette invasion lui avait ôtée, il découvrit  à Argencourt le dessein qu’il avait de hasarder une attaque générale contre les retranchements des ennemis, sur la confiance qu’il avait au bonheur des armes du Roy, & lui fit entendre qu’il avait remarqué du côté de la Franqui, des avenues en la montagne aisées pour la cavalerie, & que si l’infanterie se pouvait saisir de la ligne des tranchées ennemies, & y faire quelque ouverture, il ne faisait pas difficulté qu’il ne forçat les Espagnols dans leur camp, & ne les défit.

Il ne faut ici passer sous silence une particularité, qui a été couchée sur la relation imprimée à Montpellier, où l’on dit qu’après la reddition de la Palme, Argencourt avait pris une casaque de Carabin, & s’était mis parmi ceux qui en escortèrent la garnison au camp des Espagnols, & que sous cet habit il avait reconnu leurs retranchements, & quoique mon honneur ne sait pas de pointiller sur  les relations dressées avant celle-ci, je suis obligé de ne laisser point aller cette circonstance, sans dire qu’elle avait tort à la franchise de celui que l’on feint s’être revêtu ; car outre qu’il y avait beaucoup à dire au déguisement d’un maréchal de camp, il est très certain que durant les deux jours que le général a fait reconnaître les retranchements, le courage d’Argencourt les lui fit voir de plus près que cette escorte ne les aborda, & qu’il n’avait pas besoin de cet artifice pour en rendre son jugement ; aussi ceux qui savent la défiance des Espagnols ne croiront pas qu’ils aient souffert l’abord d’une escorte si près de leur travail.

Tant y a qu’Argencourt bien instruit de l’état des tranchées ennemies, pour les avoir reconnues en maréchal de camp, & non pas en carabin, sur la proposition qui lui fut faite par le général, forma le plan de cette entreprise, fit le département des troupes pour donner par cinq endroits, & les ordres nécessaires pour l’attaque, & après les avoir mûrement digérées & consultées avec le duc d’Halluin, il les proposa le lendemain matin 28 septembre devant les archevêques de Bordeaux, & de Narbonne, les évêques de Béziers, Agde, & Albi, le marquis d’Ambres, & de Varennes, les comtes de Vieule, d’Aubijoux, de Clermont, de Lodève, de Merenville & de Boissac, qui louèrent & approuvèrent cette provision, & dès l’heure même les ordres en furent donnés & exécutés avec tant de générosité & de bonheur, que l’effet avantageux s’en est ensuivi la gloire de la Nation & la honte de ses ennemis. 

Sur le projet de cinq attaques, Saint-Aunès demanda celle qui devait être faite entre la montagne et l’étang, son courage lui ayant fait choisir cette avenue, comme la plus dangereuse et fortifiée, elle lui fut accordée, et pour soutenir son régiment, furent commandées les milices de Narbonne, de Béziers, et du diocèse de Castres, la compagnie des volontaires du baron de Leran, & une des dragons de Toulouse, commandée par Calvet.

L’attaque de la main-gauche vers un port nommé la Franqui, fut donnée au régiment du Languedoc, soutenu par Jonquières Cauvisson, & le baron de Mirepoix, avec chacun un corps d’infanterie  qu’ils avaient amené, ceux-là étaient soutenus par le marquis d’Ambres, avec une troupe de ses amis particuliers au nombre de 150 gentilshommes, soutenu par le sieur Lastronques, guidon des gendarmes du comte de Carmail, qui avait amené 50 maïtres de sa compagnie, & d’Espondillan avec une compagnie de 50 maîtres, que les premières relations ont par erreur logé à la garde du camp ; quoi qu’il ai paru des premiers dans le champ de bataille des ennemis.

A la main droite du régiment de Languedoc donna Saint-André à la tête de son régiment soutenu par les milices de Nîmes, & celle de la ville de Castres, soutenus par la compagnie des gendarmes du duc d’Halluin, commandée par le comte de Vieule, après lequel marchait le comte de Clermont de Lodeve à la tête de soixante gentilshommes.

Le régiment de Castelan fut commandé de donner à la droite de Saint-André, soutenu par un bataillon des milices de Montpellier, et un de celles de Carcassonne, soutenus par le comte d’Aubijoux qui commandait la cornette blanche avec cent gentilshommes, après lesquels marchait le marquis de Mirepoix avec 50 de ses amis, & Moussolens avec même nombre de ses parents, & après Mauleon avec pareil nombre de ses amis tous gentilshommes volontaires.

Le régiment de Vitry à la tête duquel était Clermont, Vertillac, & le baron de Murviel, Maistres de Camp des deux régiments, eut l’ordre de donner à la main droite de celui de Castelan, & devait être soutenu d’un corps d’infanterie de Murviel, & celui-ci d’un autre commandé par Valat soutenu par les Gardes du duc d’Halluin, commandés par Andonville, & une compagnie de mousquetaires à cheval de Toulouse, commandée par Catel, soutenue par celle des chevaux légers de Boissat, & celle-ci par le marquis de Sainte-Croix à la tête de sa compagnie, après laquelle marchaient Saussan & Malves, avec deux autres de quarante maîtres.

Outre ces troupes destinées pour assaillir les retranchements des ennemis, il en fut réservé plusieurs autres pour la garde du camp, & particulièrement les milices de Lodève & des Cévennes, dont les chefs reçurent un extrême déplaisir de se voir réduits à ce parage désavantageux, & demeurer oisifs, tandis que le reste des troupes combattaient.

Le département des troupes ayant été ainsi désigné, le duc d’Halluin le mit en bataille, & fit distribuer à celles qui faisaient la tête des attaques, nombre d’échelles, de fascines, de picquots & de pailes, pour écheler le retranchement des ennemis, combler les fossés, & faire quelque ouverture à la cavalerie. Et afin qu’il ne manquât rien à la solennité de l’action, il mit quatre canons à la tête des troupes, avec ordre de les placer au bord de l’étang de Leucate, à la gauche de la grange des Fenals, pour de là tirer quelques volées dans le camp des ennemis, comme s’il eut été assuré de la victoire, & que pour accomplir la gloire de la bataille, il voulut que l’on put dire que le combat avait été de toutes les forces d’une armée contre une autre, & que le canon avait joué des deux côtés. Cela même devait servir un autre dessein, parce que les quatre premières vollées de notre canon devaient donner le signal du combat. il est impossible de s’imaginer l’impatience avec laquelle ces troupes attendaient le soleil couché, pour marcher vers l’ennemi, ayant appris qu’il avait été résolu de n’aborder leur retranchement que sur le tard, pour empêcher les ennemis de voir où ils auraient plus nécessité de courir durant l’attaque, & pour ôter à leur canon, & à leurs mousquetaires le moyen de tirer avec tant de certitude, lors que notre armée ferait ses approches.

Au point que le soleil se coucha l’on reconnu une joie générale qui s’épandit par toute l’armée, comme si chacun avait pressenti, nonobstant l’impossibilité apparente du dessein, le fortuné succès qui devait réussir, & le coucher de soleil fut adoré comme l’orient de cette belle victoire, que par un présage miraculeux toutes les rencontres faisaient espérer de la hauteur du ciel, & de cette puissante vertu, que le dieu des batailles a mis dans les armes victorieuses de notre Roy… Le combat en a été commencé le 28 (…)

Soudain après que le soleil fut couché, l’armée marcha vers les retranchements des ennemis avec telle gaieté, que les enfants perdus qui avaient été détachés de leurs corps, chargés comme ils étaient d’échelles & de fascines, allaient chantant des vers qu’ils avaient composés en langage du pays, contre le duc de Cardone & le comte Serbellon. Cependant le duc d’Halluin suivait les bataillons d’infanterie pour les encourager, & marquer aux enfants perdus les endroits où ils devaient donner, & aux troupes qui les soutenaient l’ordre qu’elles devaient tenir dans le combat, ce qu’il fit avec une si grande adresse, que tous ceux qui furent présent à cette action remarquèrent que jamais l’armée n’alla en plus bel ordre en présence des ennemis, lesquels n’entendaient pas seulement nos tambours, & nos trompettes, mais encore ils voyaient de leurs retranchements venir nos troupes à eux avec le canon en tête, & pouvaient remarquer à la disposition de l’armée, les endroits par lesquels on les voulait attaquer, & par les échelles le dessein qu’on avait de forcer leurs murailles ; & à dire vrai ils reçurent l’affront tout entier, & leur fierté ne pouvait souffrir une bravade plus signalée, que d’être battus comme ils furent à coups de main, sans ruse, sans artifice, & sans surprise, par des troupes qui allant à eux leur faisaient reconnaître l’ordre de l’attaque & leur résolution.

Au partir du quartier l’on avait jugé que la distance qui était entre les deux camps était assez grande pour employer en avançant l’armée, le temps qui était entre le coucher du soleil & la nuit, & ne présenter nos troupes au canon de l’ennemi, que l’obscurité ne lui eut ôté l’avantage que le pays découvert lui donnait. Néanmoins la chaleur des troupes fut si grande, qu’elles arrivèrent au pied de la montagne lors qu’il faisait encore bien clair, ce qui restait du jour étant aidé de la clarté de la lune. Et sans attendre le signal de notre canon, les enfants perdus qui faisaient la pointe de l’attaque se débandèrent pour donner dans les premiers corps de garde des ennemis, encouragés par la présence & commandement du duc d’Halluin, lequel non content d’avoir fait le général, le maréchal, & aide de camp dans le département des troupes, dans l’ordre de leur marche & dans leur conduite, il voulut encore faire la fonction de capitaine des enfants perdus s’étant mis à leur tête, pour leur inspirer par son exemple la fermeté d’essuyer les premières décharges du canon & du mousquet. Et sans doute ceux qui étaient aux premiers rangs de l’attaque furent fort animés de voir leur général aller au-devant d’eux, jusqu’à les engager dans les escarmouches, était suivi en cette action, comme il fut durant tout le combat, du comte de Merenville, qui rendit dans toutes les rencontres de cette bataille, de grandes preuves de sa valeur, & de Villy gentilhomme du duc d’Halluin, lequel donna un grand témoignage de sa générosité, car ayant reçu dans le premier choc de la cavalerie ennemie, un coup de pistolet dans le bras, il n’abandonna jamais son maître, le suivit toujours dans la mêlée & dans le péril, & ne voulant pas même se retirer pour faire mettre le premier appareil à sa plaie, jusqu’à ce qu’après le siège levé il fut pansé dans le donjon de Leucate.

L’infanterie grimpa par cette montagne nonobstant la grêle des mousquetades, & la furie de 18 canons, au même ordre qu’elle était venue dans la plaine, ce qui faisait paraître le coeur & l’expérience des officiers de l’armée, parmi lesquels le marquis de Varennes premier maréchal de camp se signala, & tout malade qu’il était voulut se trouver à la bataille, où il agit vigoureusement, comme si l’ardeur de la fièvre qui le travaillait eût été un effet de son courage, & non pas de sa maladie. Argencourt qui était le second maréchal de l’armée, fit paraître en cette rencontre que son adresse en la conduite, & son courage en l’exécution allaient au-delà de la bonne opinion que toute la France a conçu de lui, l’ayant depuis longtemps reconnu pour un des plus savants hommes du royaume, tant pour les ordres d’une armée, que pour l’attaque & la défense des places. Les trois aides de camp, la Faverie, le Bose de Rocles, capitaine au régiment de Languedoc, & de Rupere lieutenant de la citadelle de Montpellier, gagnèrent beaucoup d’honneur à conduire les troupes dans les attaques, à les animer au combat, & à les rallier durant la mêlée.

Il fut bien difficile de garder l’ordre en montant, parce que la nature du rocher qui était en beaucoup de lieux, resserrait les troupes dans les avenues dont l’accès était plus aisé ; & il est impossible d’exprimer le péril où nos soldats étaient durant les approches, car le feu de 6 000 mousquets, qui défendaient la ligne attaquée, fut entretenu par les Espagnols avec un si grand ordre & diligence, qu’il faut leur donner la gloire de tirer des armes à feu tous les avantages possibles. La cavalerie française n’était pas exempte de ce danger, car ayant reçu commandement de serrer les derniers rangs de l’infanterie, tous les escadrons étaient dans la portée du mousquet. Et il y avait de quoi s’émerveiller du petit nombre d’hommes que nous perdîmes en ces approches, durant lesquelles toute l’armée fut bien près d’une heure exposée au canon & au mousquet de l’ennemi, qui tirait avec d’autant plus d’assurance, qu’il était à couvert dans ses forts, & avait pour visée de si grands corps de cavalerie & d’infanterie, que les coups en semblaient infaillibles. Un vent de nord qui s’éleva fort impétueux au commencement de l’attaque, incommoda fort les mousquetaires espagnols, il portait le feu & la fumée dans leurs yeux, ce vent en langage du pays est appelé Vent droit, & le secours que nos troupes en reçurent faisait croire que la justice du ciel l’envoya pour favoriser notre bonne cause.

Tandis que les Espagnols faisaient leur effort d’empêcher par leurs mousquets & leur canon l’abord de leurs retranchements à nos troupes, elles montaient toujours par la pente de la montagne avec grand silence, sans que l’in entendit autre parole que celles qui encourageaient à marcher & avancer. Et notre infanterie étant arrivée au pied de la muraille des ennemis, l’on vint soudain aux piques & aux épées, & la chaleur fut si grande, que nos soldats coupaient les pieux qui liaient le travail des tranchées, & avec les piques & les épées fouillaient dans les murailles, pour ébranler les pierres, qu’ils s’efforçaient d’arracher avec les mains. Les autres plantaient les échelles, & comme les ennemis leur voulaient défendre l’entrée, ils abattaient avec les pics les glacis des parapets, pour découvrir leurs mousquetaires, & faire brèche à leurs retranchements. Il y en eut de si déterminés, qu’ils allèrent dans les embrasures du canon, & malgré ceux qui les défendaient s’attachèrent aux roues des couleuvrines, & en jetèrent quelques-unes hors des tranchées, par ce moyen les embrasures que les Espagnols avaient faites dans les flancs de leurs tenailles, & dans les épaules de leurs redoutes, pour en défendre les lignes, servirent à nos soldats de brèche pour les forcer.

Si on en croyait la prudence de ceux qui choisirent la nuit pour favoriser le dessein de cette bataille, on se plaindrait du tort que ces ténèbres firent à la gloire de tant de vaillants hommes (…) & parce que toutes les troupes qui furent commandées à l’attaque de la montagne, donnèrent en même temps, & avec pareille vigueur, il est très-mal aisé d’en discerner par ordre les premiers avantages, ni de rapporter toutes les belles actions, que les chefs & les troupes firent chacun en particulier… (…)

Il est vrai que parmi les diversités des relations, l’on demeure d’accord que les troupes de la main gauche, où était le marquis d’Ambres, entrèrent les premiers du côté de la Franqui, & que celles de la main droite trouvèrent plus de résistance, & combattirent  plus longuement, dont il semble  qu’il est bien aisé de rendre raison : parce  que le campement des ennemis étant à la main droite, la plus grande partie de leurs troupes s’y étaient retirées, & de là combattaient avec plus de vigueur contre les attaques plus proches de leur campement ; au lieu qu’elles n’osaient pas s’écarter pour défendre la montagne de la Franqui, comme trop éloignée du gros de l’armée. Il est aussi véritable que l’on donne la gloire au régiment de Languedoc, d’avoir le premier forcé à coups de piques & d’épées, non seulement la ligne qu’il attaquait, & toutes les redoutes, mais encore le fort Royal de la Franqui, qui était sur  sa main gauche, à l’extrémité de toutes les attaques.

Ce régiment avait été divisé en deux bataillons, pour donner par deux divers endroits en même temps : le bataillon de la main droite fut attaqué par les ennemis qui sortirent de leurs retranchements par l’épaule de l’une des redoutes, mais ils furent si bien accueillis par les nôtres, qu’ils furent obligés de leur servir de guides, & leur apprendre le chemin par où ils pourraient entrer dans leur camp ; & comme leur sortie fut vigoureuse, & soutenue courageusement par les nôtres, ils furent d’abord aux mains, & mêlés en telle façon, que les ennemis se voulant retirer, ne purent empêcher que les Français n’entrassent confusément avec eux. Ce bataillon ne fut pas plutôt dans le camp des ennemis qu’il trouva que dans leur champ de bataille il y avait des gens de pied & de cheval rangés en très bon ordre. L’infanterie qui défendait la ligne que ce bataillon avait attaquée, effrayée par le mauvais succès de la sortie, se retira vers le fort de la Franqui pour se rallier ; mais comme la cavalerie des ennemis voulait donner sur nos gens de pied, & les empêcher de remettre le bataillon qu’ils avaient défilé en entrant, l’autre partie du régiment de Languedoc ouvrit heureusement les retranchements qu’il attaquait, encouragé par le marquis d’Ambres, qui était monté avec sa cavalerie jusqu’au bord du retranchement, & lequel dès lors qu’il y eut brèche suffisante pour faire grimper son cheval, entra le premier dans le camp des ennemis avec Spondillan, suivi de Lastronques & de leurs troupes. Soudain qu’il fut dans le champ de bataille il forma ses trois escadrons, mit Spondillan à sa droite, & Lastronques à sa gauche, & en cet état alla charger 400 hommes de cheval des ennemis qui venaient en bon ordre pour chasser notre infanterie du poste qu’elle avait gagné. Le combat fut plus rude à l’abord qu’à la mêlée, parce que les ennemis se servaient mieux des armes à feu que de l’, mais après qu’ils eurent tiré leurs carabines & leurs pistolets, le marquis d’Ambre les chargea si vigoureusement qu’il les rompit, tandis que l’infanterie du régiment du Languedoc ayant nettoyé la ligne qu’elle avait forcée, donnait dans le fort de la Franqui, qu’elle emporta d’abord, avec la chaleur de la première attaque. Les ennemis qui avaient été forcés aux retranchements y servirent beaucoup, car leur fuite dans le fort de la Franqui mit le désordre parmi leurs troupes qui le devaient défendre, lesquelles n’eurent pas le loisir de se servir de cette grande quantité de grenades & cercles à feu, dont ce réduit était rempli ; car nos soldats mêlant la terreur de leurs armes avec l’épouvante que les fuyards y avaient portée, tuèrent à coups de pique & d’épée tous ceux qui se présentèrent à la porte du fort, & faisant résonner les noms victorieux de Saint-Louis, & de France, qui étaient les mots de notre armée, donnèrent un tel effroi aux ennemis que les uns sautèrent par dessus la muraille, & s’enfuirent par la montagne, quelques autres se précipitèrent dans la mer. Ce fort que nous appelons la Franqui, à cause du lieu où il est situé, était par les Espagnols appelé fort du marquis de Guardia. Le régiment d’Oropesa avait ordre de le défendre, dont il s’acquitta très mal, & ne rendit pas la résistance à laquelle la force du lieu, & les munitions qui étaient dedans l’obligeaient ; car s’il eut fait son devoir il pouvait soutenir les efforts de toute nôtre armée durant quelques jours. Lambertie & Dions, suivis du baron de Monfrin capitaines au régiment de Languedoc, conduisaient les enfants perdus ; Monfrin & Lambertie furent blessés avec Susan capitaine au même régiment, & le chevalier de Suze qui le commandait, après avoir glorieusement conduit ses troupes à l’assaut de la muraille, & s’être rendu maître du fort de la Franqui, & du champ de bataille, fut après blessé dans les derniers combats d’une mousquetade à la cuisse, dont il est depuis décédé. Les barons de Mirepoix & de Jonquières Cauvisson, qui soutenaient avec leurs régiments celui de Languedoc, eurent bonne part à la gloire de toutes ces actions, pour y avoir grandement contribué de leur courage, de leur conduite, & des forces des troupes qu’ils commandaient.

Au même temps que le régiment de Languedoc entrait par les retranchements de la main gauche, celui de Saint-André, conduit par son maître de camp qui combattit fort généreusement, & fut blessé de deux coups, força le retranchement qu’il attaquait. Le régiment de Castelan en fit de même, où Icard son lieutenant colonel témoigna son courage & fut grandement blessé. Ce régiment fut vigoureusement soutenu par Laroque Fontiés qui commandait les milices de Carcassonne, lequel en forçant le retranchement des ennemis, fut blessé de plusieurs coups de piques & de pierres. Les officiers du régiment de Vitry montrèrent en leur attaque, qu’ils n’avaient pas perdu la vigueur & la résolution, avec laquelle ils avaient forcé les ennemis, dans les îles de Sainte-Marguerite & de Saint-Honoré, car ils firent des ouvertures par où leur régiment entra dans le champ de bataille. Clermont de Vertillac qui était à la tête de ce régiment reçut une pareille blessure à celle qu’il avait reçu aux îles.

Enfin toute l’infanterie attaqua vigoureusement les retranchements espagnols, & s’en empara les uns par l’escalade, les autres donnant par les embrasures, & par les espaces que les Espagnols avaient laissés dans les épaules de leurs tenailles pour faire des sorties. Quelques-uns avec les pics sapèrent le retranchement, & firent quelques petites ouvertures pour donner moyen à la cavalerie de faire grimper leurs chevaux ; & comme la chaleur des Français en la première charge est extrêmement redoutée des ennemis, soudain qu’ils virent nos soldats dans leur camp, la plupart de ceux qui bordaient leurs retranchements se retirèrent vers le gros de l’infanterie qui était en bataille, & vers les forts de la main droite, laissant l’entrée du champ libre à nos troupes, qui tuèrent tous ceux qui voulurent se mettre en défense. Mais après il arriva parmi nos victorieux un étrange désordre ; car comme la chaleur du combat & l’assiette du lieu avaient confondu les troupes, qui en beaucoup d’endroits étaient mêlées, les entrées des retranchements qui étaient en petit nombre & fort étroites apportèrent encore une plus grande confusion ; car les soldats qui y donnaient en foule & sans ordre, en telle façon que les Espagnols qui étaient en bataille à 100 & 200 pas de leur retranchement, eurent d’abord un très-grand avantage sur les nôtres, lesquels ne pouvaient se remettre en état de combattre, soit pour être les troupes confusément mêlées, soit pour l’obscurité de la nuit augmentée par la fumée du canon & du mousquet, ou pour le bruit que la joies des premiers succès causait, par les cris d’allégresse de Victoire, & de France, qui empêchaient que nul commandement ne fut entendu. les ennemis prenant cette occasion firent avancer toute leur cavalerie dont le choc fut en quelque façon soutenu par les chefs des régiments, qui ramassèrent quelques petits corps pour faire tête aux premières charges. mais beaucoup de soldats que la victoire avait débandés, ne se purent rallier pour ce combat, & il y en eut environ de 800 de diverses troupes qui se renversèrent sur la cavalerie, à la tête de laquelle s’était mis le général de notre armée, pour entrer dans le champ de bataille des ennemis, lequel voyant ce désordre voulut prendre le soin de remettre ces troupes ; mais jugeant après qu’il était très-difficile de rallier dans l’effroi ceux qui s’étaient dissipés dans la prospérité de la victoire, il s’avança vers les retranchements pour soutenir le reste de l’infanterie, & empêcher que la cavalerie des ennemis ne le poussât hors des postes qu’elle avait gagnés. Mayolas lieutenant des Gardes de son éminence, qui était monté à cheval, à la tête des enfants perdus, & qui avec eux était entré dans le champ des ennemis, & avait reconnu leurs troupes, donna fort à propos avis au général des ouvertures par lesquelles la cavalerie pouvait entrer. La Clotte mestre de camp du régiment de Montpellier servit encore fort utilement en cette rencontre, ayant fait travailler ses soldats à rompre le retranchement gagné, & y faire une ouverture par où des hommes de cheval pussent entrer : c’est par là que le duc d’Halluin fit donner ses Gardes, soutenus par les volontaires de la cornette blanche, que le comte d’Aubijoux commandait, suivis de l’escadron du marquis de Mirepoix, lesquels ne furent pas plus tôt dans le champ de bataille qu’ils chargèrent les ennemis à toute bride ; les Gardes conduits par Andonville & Designac firent leur salve à dix pas, & se mêlèrent l’épée à la main dans l’escadron où ils s’étaient attachés, lesquels ils percèrent & menèrent battant jusqu’au penchant de la montagne vers l’étang. Le comte d’Aubijoux & le marquis de Mirepoix poussèrent si rudement les escadrons qu’ils attaquèrent, qu’après les avoir rompus ils les poursuivirent jusqu’au bord de l’étang, & si avant qu’ils demeurèrent longtemps parmi les troupes des ennemis. En cette charge il y eut plusieurs gentilshommes de considération blessés, particulièrement Amboise frère du comte d’Aubijoux, qui reçut une mousquetade en forçant le retranchement.

Sur ce temps le duc d’Halluin suivi de plusieurs gentilshommes qui formaient un escadron, ayant mis les compagnies de Boissac & du marquis de Sainte-Croix à sa gauche, entra dans les retranchements & rencontra d’abord 4 ou 500 chevaux commandés par Terrasse, mestre de camp de la cavalerie liégeoise, qui venait pour choquer notre infanterie & la pousser hors des retranchements : le duc d’Halluin suivi de Boissac & de Sainte-Croix donna sur cette cavalerie avec tant de vigueur qu’il la renversa & la contraignit de se retirer en désordre au galop ; mais Terrasse ayant à la faveur de la nuit rallié ses troupes vers la pointe de la montagne de la Franqui, en même temps qu’il se voulut avancer pour revenir dans le champs de bataille, il fut aperçu par le marquis d’Ambres qui le chargea, suivi de Spondeillan & de Lastronques. En cette rencontre fut blessé le marquis d’Ambres de deux coups de pistolet dans le bras droit : ces blessures le mirent hors de combat, mais ne lui ôtèrent pas le courage d’y revenir ; car tout blessé qu’il était il fit deux charges fort vigoureuses, & enfin contraint par ses plaies & par les prières de ses amis, il laissa le commandement de son escadron au baron de Bonrepaux son beau-frère, lequel avec Spondeillan & Lastronques acheva de rompre la cavalerie liégeoise : Bonrepaux y fut blessé d’un coup de pistolet dans la tête, le marquis de Meures y fut aussi blessé, & le baron de Trevien tué.

Mais si les deux extrémités de la montagne étaient en feu, le duc d’Halluin combattant à la droite, & le régiment du Languedoc à la gauche avec sa cavalerie qui le soutenait, le combat qui se démêlait dans l’espace qui était entre ces deux ailes n’était pas moins rude ; car l’infanterie de Saint-André & de Castelan s’étant saisie des retranchements, le comte de Vieule qui était à la tête des gendarmes avec Monbrun, & Manse ses frères, & Serignan enseigne passa les tranchées des ennemis par les ouvertures qui furent faites à son poste. Le comte de Clermont de Lodève, Moussolens, & le reste de la cavalerie qui soutenait l’infanterie de Saint-André & de Castelan, entrèrent de même par les lieux qu’ils trouvèrent les plus commodes. Et soudain qu’ils eurent franchi les retranchements, ils allèrent tête baissée choquer les escadrons de cavalerie qu’ils trouvèrent opposés à leur entrée, & bien que les Espagnols fussent fort avantagés, pour être dans un ordre concerté, & dans un champ de bataille qu’ils avaient gardé durant un mois, là où les nôtres entraient à la file par les brèches & de nuit, dans un lieu qu’ils n’avaient pu reconnaître. Néanmoins le courage & la valeur des nôtres fut telle que les ennemis perdirent bientôt ces avantages avec le poste qu’ils défendaient, car ils furent rompus & défaits par nôtre cavalerie, & chassés bien avant dans la montagne.

La cavalerie ennemie ayant abandonné le champ de bataille, toute l’infanterie qui s’y trouva, & qui défendait les redoutes, fut poussée & rompue, la plupart mise en pièces, & il n’y eut que ceux qui prirent plus de confiance en leurs pieds qu’en leurs bras qui se pussent garantir. Cependant le comte Serbellon voyant le désordre de son armée se jeta dans son fort & fit avancer le régiment du comte duc d’Olivares, composé de 3 500 hommes d’estime, avec ordre à la cavalerie espagnole conduite par Philippe Marino de les soutenir : ces gens de pied vinrent au bord de l’étang où ils étaient campés, & ayant monté près du fort de Serbellon, se présentèrent à l’aile droite de notre armée ; témoignant par leur démarche leur adresse, & leur assurance, ils attaquèrent d’abord notre infanterie, qui était éparse, & suivait la déroute des Espagnols, lesquels venaient d’être forcés dans les dernières lignes de la main droite, & dans les redoutes plus proches du fort de Serbellon. Le duc d’Halluin voyant venir le régiment du Comte Duc, & craignant qu’il ne prît avantage sur nos gens de pied, rallia ceux qui se trouvèrent auprès de lui, & pour donner loisir au reste de se mettre en état, il chargea le régiment espagnol avec les compagnies de Boissat, Sainte-Croix, Saussan & Andonville, en telle façon que ce régiment fut contraint de se retirer, & de prendre un poste qui fut plus difficile à l’abord de la cavalerie française, que l’esplanade du champ de bataille où il était entré : il se remit au penchant de la montagne vers l’étang, sous le fort de Serbellon, en très-bon ordre toutefois, la pique trainante & tirant par rangs, avec toute la justesse qu’eussent pu observer des soldats bien dressés en faisant l’exercice.

Cette charge fut faite avec tant de générosité par notre cavalerie, & courageusement soutenue par l’infanterie espagnole, que les enfants perdus détachés de ce régiment furent rompus, & beaucoup d’Espagnols qui étaient dans les premiers rangs du bataillon, furent tués par nos cavaliers à coups de pistolets & d’épée. Mais aussi en revanche, la plupart de nos cavaliers furent démontés ou blessés, de sorte que pour entretenir le combat le duc d’Halluin se servit quelque temps de son infanterie, attendant qu’Argencourt ralliât la cavalerie & fit avancer partie de celle qui était sur la main gauche, & n’avait plus d’ennemis en tête, ayant donné la chasse à tous ceux qui défendaient le quartier de la Franqui. Une partie du régiment de Languedoc s’était venue rendre près du général, & se joindre à ceux de Vitry qui tenait la main droite ; ils détachèrent des pelotons de mousquetaires, soutenus par des corps de piquiers, pour aller reconnaître le corps de Serbellon,  & ce régiment qui le défendait. Dès lors que les ennemis virent partir notre infanterie, ils envoyèrent au devant des pelotons de pareille force, les escarmouches en furent très belles & très-bien entretenues. Mais parce que les salves continuelles de ce régiment causaient un grand ravage dans nos troupes, le duc d’Halluin ayant rallié sa cavalerie retourna à la charge. Le combat fut rude, & fort opiniâtre de toutes parts, car les Espagnols demeuraient serrés & unis en façon, qu’il était impossible de les rompre, & nos Français poussant leurs chevaux jusqu’au milieu des piquiers, tâchaient de se faire ouverture à la pointe de l’épée, & si parfois ils faisaient quelques brèches dans ce bataillon, ceux même qu’ils rompaient se ralliaient avec tant de promptitude que sept de leurs piquiers se trouvant ainsi détachés & environnés par plusieurs de nos cavaliers rendirent témoignage de leur fermeté. Car poussés & choqués de toutes parts, après une longue résistance, ils moururent entassés l’un sur l’autre, criant jusqu’au dernier soupir, Viva España.

Cette infanterie espagnole qui s’était remise sous le fort de Serbellon, était grandement favorisée en ce combat par l’assiette du lieu, car elle était parquée sur le bord de la montagne, du côté de l’étang de Leucate, & dès lors qu’elle était pressée, elle se remettait dans le penchant, & à couvert du fort de Serbellon, qui défendait l’approche de cette avenue avec 4 canons. Ce fort était à la gauche de l’infanterie espagnole, & sur leur main droite il y avait un parc de chariots fermé d’une muraille de pierre sèche, flanquée de petites redoutes ; les ennemis avaient logés là dedans des mousquetaires qui donnaient de l’ennui à nos troupes, ce qui obligea notre infanterie d’attaquer ce parc où elle donna courageusement, & le força, mais par malheur nos soldats suivant les ennemis qui fuyaient devant eux mirent imprudemment le feu à quantité de poudre qu’il y avait, dont l’embrasement fut si soudain, que 100 des meilleurs soldats qui étaient à la pointe de cette attaque furent brûlés, entre autres Sueilles capitaine d’une compagnie de Vigan en fut fort gâté.

Cet accident fut suivi du piteux spectacle de ces pauvres soldats, lesquels embrasés depuis les pieds jusqu’à la tête, couraient tout en feu par le champ de bataille, & donnaient grand effroi à ceux qui croyaient que ce feu avait été causé par l’artifice des ennemis, & qu’ils avaient épandu de la poudre sur les avenues, pour surprendre dans les fougades ceux qui seraient trop hardis à les poursuivre. Celui qui sait les désordres qu’apportent tels accidents dans les combats, & qu’ils produisent des effets contraires à la nature du feu qui les cause, en refroidissant les troupes, & les rebutant d’assaillir ceux qu’elles croient être défendues par les feux d’artifices, jugera de la fermeté & de l’adresse du duc d’Halluin : il accourut aux troupes qui étaient les plus proches de cet embrasement, & qui s’en éloignaient en confusion, il les rassura & les remit en ordre pour l’accompagner à une recharge qu’il fit avec résolution d’emporter le fort de Serbellon, & de rompre l’infanterie espagnole qui se tenait parquée sous les défenses de ce fort, ce qui fut entrepris avec tant d’ardeur que la cavalerie après avoir mis en pièce quelques pelotons qui étaient devant le fort, donna jusque dans la porte, nonobstant les canons qui étaient là dedans, & l’élite des mousquetaires de l’armée, que les ennemis y avaient logés. Le duc d’Halluin poussa son cheval contre les retranchements, ne prenant pas garde qu’il y avait au devant un fossé dans lequel le cheval s’engagea ; mais comme la nature du lieu & la dureté du rocher n’avait pas permis de creuser beaucoup ce fossé, le cheval eut la force de remonter. Le marquis de Mirepoix mourut glorieusement en cette charge sur la porte du fort, percé à la tête & au corps de trois mousquetades, & en ayant encore reçu une à chaque jambe, son corps fut trouvé sur l’entrée du fort, & plus avant vers les ennemis de quinze pas que pas un autre corps des Français, aussi était-il issu de si généreux ancêtres, qu’ils avaient toujours dans les entreprises plus hasardeuses contesté la pointe aux plus vaillants.

Mais comme la cavalerie s’efforçait de rompre l’infanterie de Serbellon & d’entrer dans ses retranchements, Philippe Marino qui commandait la cavalerie espagnole, s’avança avec 4 ou 500 chevaux, & vint droit au lieu où le duc d’Halluin combattait, ce qui obligea de tourner tête vers cette cavalerie avec Boissac, le comte de Vieulé, le marquis de Sainte-Croix, Andonville & leurs compagnies : chacun de ces trois derniers eut deux chevaux tués sous lui dans le combat. plusieurs seigneurs & gentilshommes volontaires qui s’étaient ralliés près du général se trouvèrent en cette charge & aux autres actions plus hasardeuses, parmi lesquels les plus remarquables pour leur valeur & leur condition sont : les comtes d’Aubijoux, de Clermont de Lodève, de Merenville, Monbrun, & mauses frères du comte de Vieulé, Hannibal fils naturel de Henry de Montmorency connétable de France, le marquis de Peraut, Morangez, Restenclières frère du feu maréchal de Toiras, Mayolas, Goussonville, les barons de Saint-Gery, de Rives, de Mauleon, de Moussoulens, Montoussin del Travet, qui rallia l’escadron de mirepoix après la mort du chef, & fit de très bons effets avec sa troupe, la Prune, le Pouget, Bram, le vicomte de Clermont, de Rochechouart, Depaulo Granval, Noulet, Saint-Amans, Cavac, Ginestet, Maleytargues, saint-Martin, la Claverie, Belflou, saint-Just, Montarnault, la Cassaigne, Picquebarrau, Destros & plusieurs autres de qui les exploits mériteraient une relation particulière.

La cavalerie espagnole vint attaquer la nôtre & déchargea sur elle ses carabines & ses pistolets ; sur ce temps Boissac dit au duc d’Halluin qu’il allait pour l’amour de lui tuer le capitaine de l’un des escadrons qu’il avait en tête : après ces paroles il partit de la main, & fit heureusement le coup qu’il avait projeté. le duc d’Halluin donnant avec toute la cavalerie sur celle des ennemis ne fut pas moins heureux, il la perça du premier choc, & s’étant mêlé fit voir aux ennemis quel nom des Roys de ces deux nations était le plus accrédité dans les armes, car les uns & les autres dans le combat faisaient tenir les noms de France & d’Espagne, & les noms de leurs roys : les Français avaient pour leur cri le nom victorieux de Louis, & les Espagnols réclamaient en vain celui de Philippe.

Malves capitaine d’une compagnie de chevaux légers fit une fort belle charge au régiment du Comte-Duc qui ressortit de son fort, tandis que notre cavalerie était occupée à défaire celle de Philippe Marino. Et le combat fut si opiniâtre, que le duc d’Halluin, ayant tourné sur ce régiment, assisté de Boissac, Sainte-Croix, des comtes de Vieulé, d’Aubijoux, Clermont de Lodève, Berat, le Travet, Saussan, Moussoulens & d’un escadron de volontaires, fit jusqu’à 9 charges contre cette infanterie & combattit avec tant de valeur, de courage & de bonheur, que pendant 5 heures entières qu’il fut dans la mêlée au milieu du feu & du fer, à la bouche des canons ennemis, & devant leurs retranchements, il y rompit trois épées, défit tout ce qui parut d’espagnols dans le champ de bataille & força leurs forts, rallia par vingt fois sa cavalerie, & sortit de ce long & périlleux combat sans aucune blessure, donnant force & vigueur partout où il était présent, imitant en la prudente conduite, & en la vigueur de l’exécution, le grand maréchal de Schomberg son père, à la valeur duquel il a succédé. (…)

Les Espagnols avaient plus d’infanterie & de cavalerie que nous, lorsque notre armée fut en présence, mais depuis le 26 que le secours parut jusqu’à la nuit du 28 que la bataille fut donnée, les Espagnols furent renforcés de 2 000 hommes d’élite qui furent tirés sur les garnisons voisines, & l’on tenait pour certain qu’ils avaient 14 000 hommes de pied, & 1 600 à 2 000 chevaux, là où dans notre armée il n’y avait que 11 000 hommes de pied & 1 000 chevaux, dont  il en fut laissé environ 4 000, où à la garde du camp ou au poste de Saint-Aunès du côté de l’étang, avec trois compagnies de cavalerie, de sorte que l’on peut assurer que 7 000 hommes de pied français avec 800 hommes de cheval, la plupart volontaires, ont forcé cette grande armée espagnole par une attaque aussi vigoureuse qu’il en fut jamais : car que peut-on imaginer de plus déterminé, que de grimper par une montagne à découvert à la vue de 18 canons & 6 000 mousquets, d’aborder un retranchement flanqué régulièrement, & qui occupait toute la sommité de la montagne ? (…)

Le fort de Serbellon eut été forcé, & le bataillon qui combattait sous ses défenses eût été taillé en pièces si la nuit n’eût ravi par ses ombrages l’éclat de cette victoire à notre armée : car comme le duc d’Halluin avait donné l’ordre à toutes ses troupes d’investir le régiment du Comte-Duc & son réduit, pour lui donner une attaque générale, la lune se coucha, & les ténèbres de la nuit augmentées par la poussière, qu’un vent impétueux élevait, & par la fumée du canon & des mousquets, contraignit les uns & les autres d’interrompre le combat. Aussi l’obscurité était si grande, que nos écharpes blanches ne se reconnaissaient plus, ce qui causait un grand désordre ; car nos cavaliers qui se trouvaient démontés étaient traités comme s’ils eussent été de l’infanterie ennemie, & les autres cavaliers lorsqu’ils venaient de la charge étaient pris pour des espagnols par nos gens de pied qui gardaient les retranchements gagnés. Si bien qu’après six heures de combat employées à forcer les tranchées des ennemis, à prendre leurs forts, & à les combattre dans leur champ de bataille, l’on fut contraint de se rallier dans le champ que l’on avait conquis, avec résolution d’attendre le jour pour achever ce peu qui restait en état de faire résistance.

Notre cavalerie demeura toute la nuit à cheval & l’infanterie sur les armes. mais il faut avouer que l’une & l’autre étaient en petit nombre. Car pour les cavaliers, la plupart avaient été blessés ou démontés, outre que la mort, & les blessures des personnes de condition, avaient extrêmement affaiblis les escadrons qu’ils commandaient. il en était de même de l’infanterie, où les canons & mousquets avaient fait si grand ravage, & ce qui faillit à la dissiper entièrement sur le butin. Car le champ de bataille était couvert de morts, d’armes & de chevaux, les parcs de munitions des Espagnols étaient abandonnés, leurs tentes délaissées, tout leur équipage & attelage en proie, si bien que la commodité du pillage, & la faveur de la nuit, faisaient débander nos soldats, lesquels chargés d’argent, de bagage, & d’armes, se détachaient de l’armée. Dans cette extrémité l’archevêque de Bordeaux rendit un signalé service ; il était au commencement au poste de Saint-Aunès ; mais voyant le mauvais succès de ses troupes, il s’en vint aux autres attaques, y étant appelé par le bruit des canons & des mousquets, qui lui firent entendre que du côté de la montagne les attaques étaient plus vigoureuses qu’au bord de l’étang. Il travailla fort utilement, durant le combat avec un grand zèle & grand courage, se tenant à l’ouverture des retranchements, & courant par le champ de bataille, pour animer ceux qui venaient, & rallier ceux qui se débandaient, & lors qu’après le combat fini il s’aperçut du petit nombre qui restait, il se ressouvint des troupes de Saint-Aunès, qu’il avait laissées oisives au bord de l’étang : il les alla quérir, & parce qu’en les conduisant, il était obligé de passer sous le fort de Serbellon, il criait à nos sentinelles plus avancées vers ce poste qu’il amenait 4 000 hommes de pied & 400 chevaux tous frais, ce qui donna sans doute un grand effroi aux ennemis, lesquels depuis l’arrivée de ce renfort, ne firent plus paraître aucune infanterie ni cavalerie que l’on peut combattre, & se contentèrent d’entretenir le feu dans le fort de Serbellon, où ils tiraient sans cesse, pour empêcher que notre armée ne découvrit le désordre qui était dans la leur.

Ces troupes de l’attaque de Saint-Aunès avaient été commandées pour servir de première diversion. Néanmoins elles furent devancées par le régiment de Languedoc, & les autres, qui se trouvant à portée du canon ennemi, précipitèrent leurs attaques avant que le nôtre commençât à jouer, & de donner le signal de la bataille ; cela fut cause que Saint-Aunès fâché de se voir devancé, & emporté par l’ardeur de son courage, se mit à la tête des enfants perdus de son régiment avec Maureillan son lieutenant colonel, Rossel major, Cauderoque lieutenant de la Mestre de camp, quelques autres officiers & gentilshommes volontaires, & entre autres le chevalier de Vilauric de la maison de Seguier en Languedoc, qui ne faisaient pas en tout cinquante hommes, ils abordèrent le retranchement, donnèrent dans la porte qu’ils trouvèrent  ouverte, & défendue par des hommes armés qui attendaient la pique à la main. Les redoutes qui flanquaient cette porte, le fort qui la dominait, & la courtine firent une salve si furieuse, que ceux qui devaient soutenir les enfants perdus n’allèrent pas avec la même ardeur que leur mestre de camp, lequel combattit longtemps pour forcer la porte, & ceux qui étaient avec lui tâchèrent de monter avec des échelles sur le retranchement mais ce petit nombre diminuant toujours par les coups de mousquets & de canon que les ennemis tiraient, il arriva qu’une vingtaine de cavaliers espagnols descendirent par l’épaule du fort de Serbellon vers le bord de l’étang, & Saint-Aunès, & ceux qui les devaient soutenir. Alors cette petite troupe qui était avec lui se trouva à un extrême péril, ayant en tête l’infanterie qui gardait les retranchements, & des cavaliers derrière contre lesquels il fallut tourner visage & laisser la porte & les échelles. Mais en même temps il sortit encore quelque infanterie espagnole qui donna sur ce peu qui restait des nôtres, au secours desquels s’avancèrent ceux qui devaient soutenir les enfants perdus, & à la faveur de leur charge les nôtres se développèrent des ennemis qui les tenaient environnés, Saint-Aunès que les Espagnols avaient saisis, échappa de leurs mains blessé de huit coups d’épée, ou de pique. Maureillan son lieutenant colonel y fut blessé d’un coup de pistolet, Rossel major de son régiment, & trois de ses capitaines blessés, le reste du régiment effrayé par ce premier succès, & privé de la conduite de son mestre de camp, de son lieutenant colonel, & du major ; la cavalerie à laquelle ils devaient faire ouverture ; & parce que cette avenue était très-difficile, les troupes en furent si fort rebutées, que ne pouvant pas voir ce que faisait le reste de l’armée au-delà du fort de Serbellon, elles crurent que toutes les attaques avaient été aussi malheureuses que la leur, & appréhendant pour le canon qu’elles avaient en garde, elles se mirent en bataille de crainte qu’il ne vint quelque cavalerie du côté de Fitou pour enlever les canons, & donner sur l’armée, tandis qu’elle attaquait le camp des ennemis. On ne peut pas nier que la confusion ne fut très-grande parmi cette infanterie ; parce que les principaux officiers de l’armée étant dans la mêlée sur la montagne, personne ne se souvint durant l’ardeur du combat de ces troupes, qui demeuraient inutiles au bord de l’étang, jusqu’à ce que l’archevêque de Bordeaux leur alla donner la nouvelle du progrès que les autres avaient fait en leurs attaques, & les amena au champ de bataille conquis par les nôtres, où elles se mirent en état de combattre pour réparer l’échec qu’elles avaient reçu en leur poste.

Les assiégés avaient si grand intérêt à la venue & au combat de leurs secours, que l’Histoire ne se peut dispenser de ne parler pas du siège, depuis que notre armée fut en état de le faire lever, croyant qu’il n’y a point de discours qui puisse être plus agréable à des assiégés, que celui qui avance leurs secours, & presse leur délivrance. Aussi est-il véritable que depuis le 22 septembre jusqu’au 26, que le secours parut, il ne se passa devant & dedans la place autre chose de mémorable, si ce n’est que les Espagnols redoublaient toujours les efforts de leur batterie, & creusaient des tranchées dans le rocher pour percer sous la fausse-braye, & les nôtres tiraient incessamment à leur accoutumée. Le plus grand canon qui fût en la place creva au milieu du sieur de Barry, de Lermond, & du père Barry jésuite, sans que personne fût blessé des éclats. Ce père Barry est frère du gouverneur, & semble que pour sa consolation, & pour l’assistance des assiégés, la providence divine l’amena trois jours avant le siège dans le château de Leucate, où il il n’avait été depuis 35 ans, il arriva le jour de Saint-Louis, & entendant les avis fréquents du siège prochain, il y voulut arrêter pour y servir comme il fit très-utilement.

Il est impossible d’exprimer la joie que les assiégés eurent à la vue du secours, & les appréhensions qu’ils ressentirent le 26 septembre, lors qu’après que l’armée eut demeuré quatre heures en bataille devant les retranchements, elle se retira pour camper aux Cabanes de la Palme, craignant les assiégés que les fortifications des ennemis eussent dégoûté l’armée de les attaquer. (…)

Durant six heures que le combat dura, les assiégés flottèrent entre l’espérance & la crainte, mais lorsque l’obscurité de la nuit eut donné la trêve aux deux armées, ils souffrirent une cruelle guerre par la crainte qu’ils avaient été repoussés. (…) Cet embrasement (de l’église) fut le premier signal de la victoire que les assiégés reçurent, car notre armée durant l’obscurité de la nuit, s’était resserrée sur la pointe de la montagne du côté de la Franqui, éloignée d’environ demi-lieue du château de Leucate, & séparée par de rudes montagnes dont le chemin était durant la nuit très-difficile, & désavantageux à la cavalerie, & au lieu que tout le soin des nôtres était de se rallier & de se mettre en état pour continuer la bataille au point du jour, les Espagnols au contraire pour éviter le choc d’un second combat, furent bien aises que l’obscurité de la nuit couvrit la honte de leur fuite (…) ; ils s’enfuirent par le plus rude chemin de la montagne, traversant du bord de l’étang vers la mer, & de là gagnèrent le Grau, laissant tout leur camp en proie aux victorieux, cependant que 200 mousquetaires, logés dans le fort de Serbellon, amusaient notre armée tirant toute la nuit. Sur le point du jour, le général de notre armée trouva bon de ne s’amuser plus à l’attaque de ce fort, où les troupes s’étaient durant la chaleur du combat un peu trop ardemment attachées , & résolut de traverser par le milieu de la montagne, vers le château de Leucate, faisant état qu’ayant rompu le camp ennemi, & secouru la place assiégée, ce fort ne pouvait pas résister. Avec ce dessein, toute l’armée marcha dès le point du jour mais la première clarté de l’aube lui découvrit bientôt la fuite des ennemis que la nuit avait cachée : toute la montagne était couverte d’armes que les fuyards avaient jetées, ou pour s’en aller plus légèrement, ou pour ne pas porter en espagne les reproches honteux de leur lâcheté. les assiégés qui étaient en attente reconnurent bientôt aux casaques écarlates, que les troupes qui venaient vers la place étaient françaises ; ils vinrent ouvrirent les portes aux victorieux, le duc d’Halluin trouva le sieur du Barry sur la fausse porte, qui était derrière l’épaule du bastion Saint-Pierre, lequel voulut lui témoigner l’obligation qu’il avait à sa valeur ; mais le duc d’Halluin l’interrompit, & s’adressant au père Barry jésuite, il lui dit que c’était à Dieu que les grâces de cette victoire étaient dues : & lui demanda de le conduire à la chapelle du château ; mais parce qu’elle avait été ruinée par le canon & les bombes, il fut conduit à un autel qui avait été dressé à une courtine, qui était le plus à l’abri de la batterie. (…)

Il visita la place & trouva qu’au grand honneur du sieur de Barry le château ne manquait de munitions de guerre, ni de bouche, & que l’eau avait été si prudemment ménagée qu’il y en avait encore plus d’un pied dans la citerne. les assiégés n’avaient perdu durant le siège que 20 hommes & quelques femmes, mais les blessures & les maladies les avaient réduits à 50 hommes de combat, nombre fort petit à la vérité pour défendre quatre bastions, si leur courage n’eut couvert ce défaut par la résolution généreuse qu’ils avaient faite de mourir l’épée à la main.

L’on a su par le rapport des prisonniers, que ce petit nombre d’hommes en avaient durant le siège tué 700 des ennemis, & parmi cela 15 hommes de commandement. ils avaient attaqué cette place par cinq batteries, où il y avait 16 canons & 4 mortiers ; les tranchées des approches & des batteries n’étaient pas creusées, pour être faites sur le rocher, elles étaient de fascines fort bien agencées en forme de blindes ; mais ils avaient tiré deux tranchées vers la place, pour faire des attaques, celle qui était la plus avancée était du côté du couchant, attachée à la fausse-braye du bastion Saint-Pierre, par deux lignes à trois toises l’une de l’autre ; & semblait qu’en l’une des lignes ils avaient voulu commencer une mine, parce qu’avec grand travail ils avaient creusé le rocher ; les murailles de la fausse braye étaient rasées en deux endroits, en telle façon que les chevaux y montaient sans peine. le bas de la brèche du bastion Saint-Pierre aboutissait quasi au haut de la ruine que le canon avait faite, à cause qu’il n’y avait point de fossé qui put recueillir le débris, dont les ennemis prétendaient se servir pour l’assaut général, qu’ils avaient résolu de donner le soir même que nos troupes assaillirent leurs retranchements. Néanmoins cette ruine & cette brèche étaient si droites, que pour ébouler le bastion jusqu’au point de le rendre accessible, il eut fallu encore plus de dix jours de batterie. ce petit château de Leucate a souffert 4 500 coups de canon.

Durant le temps que le général visitait la place, & écrivait au Roy le succès de ce glorieux combat, les soldats couraient la montagne, pour jouir du fruit de la victoire. Ils voyaient partout des Espagnols désarmés, qui plus éblouis de l’éclat des armes françaises, que de celui du soleil, ne savaient gagner le chemin de leur retraite, ni sortir de la confusion, où l’horreur de la mort plutôt que celle de la nuit, les avait tenu depuis l’attaque…

(…) Les troupes qui restaient dans le fort de Serbellon (…), voyant venir le jour, s’enfuirent à toute course vers le Grau : ceux qui ne furent passés vites pour gagner ce passage, se jetèrent dans l’étang, & il y en eut qui se précipitèrent dans la mer. (…) Ceux qui s’enfuirent par le Grau furent suivis par quelque compagnie de nôtre cavalerie, qui croyait que les fuyards qui étaient 4 ou 500, dussent faire quelque résistance ; mais ils jetèrent jusqu’à leurs épées pour n’être pas obligé de s’en servir, & dès que les nôtres les abordèrent, ils mirent les genoux à terre pour leur demander la vie. (…)

Jamais vaincus n’ont été plus doucement traités, que furent tous ceux qui en cette rencontre se remirent à la discrétion des Français, car il fut trouvé dans le Grau sur les bords de la mer, ou dans la montagne en divers endroits, bien près de 1 200 personnes, qui reçurent toute la courtoisie qu’elles pouvaient désirer. Celles qui tombèrent au pouvoir des cavaliers & des personnes de condition furent congédiées & renvoyées en Espagne, après avoir reçu toute sorte de bon traitement, & ceux qui furent au partage des soldats, en furent quittes pour l’argent qu’ils portaient, sans que l’on exigeât d’eux aucune rançon, & il n’y en eut que trois ou quatre qui furent obligés d’en payer à leurs preneurs. Le pillage du camp & le butin que firent les soldats, ne se peut estimer non plus que les munitions & les canons que les ennemis abandonnèrent. (…) Plus de 6 000 mousquets restèrent sur la place, dont toute notre frontière se trouve maintenant armée, leur calibre est deux fois plus grand que celui des nôtres, & nonobstant leur pesanteur, l’infanterie espagnole s’en servait avec grande adresse, mettant toute son industrie aux armes à feu pour combattre de loin, & tâcher d’éviter de venir aux mains…

Ils laissèrent dans les tranchées 14 canons de batteries, & 4 mortiers, & dans les retranchements 16 couleuvrines bâtardes, outre 2 grandes couleuvrines parfaites qu’ils avaient tirées de leurs batteries, depuis l’arrivée de notre secours, pour les mettre dans le fort Serbellon, & 4 petits canons, ou bidets qu’il y avait dans le champ de bataille de la cavalerie. Quant au nombre de drapeaux que l’on a gagnés en ce combat, l’on ne peut dire avec certitude, car outre les 10 ou 12 qui ont été envoyés au Roy, il y en a une grande quantité qui furent enlevés & recelés par les particuliers qui voulurent garder dans leurs maisons ces trophées pour marques honorables de l’honneur qu’ils ont eu de se trouver à cette bataille.

Et pour les munitions (…) page 499 (…) L’on trouva dans ces parcs de munitions une si grande quantité de grenades, de cercles à feu, de bombes, de chausse-trappes, de chevalets, mantelets, planches pour faire des galeries, de pontons, de harnais pour attelage de chevaux, de toute sorte d’instruments pour remuer la terre, percer le rocher, couper le bois, que la description en serait ennuyeuse. Seulement dirais-je cette particularité qu’outre les instruments, dont ils avaient pourvu 4 000 pionniers qui travaillaient au retranchement de leur camp, il y avait encore plus de 6 000 instruments propres à cet usage, & il en était de même du reste des munitions, jusqu’aux fers des chevaux, les clous & les chevilles, dont il y avait des monceaux si grands qu’ils faisaient bien connaître que ces préparatifs étaient pour une entreprise de longue haleine. L’on ne vit jamais dans une armée royale tant d’artifices à feu, comme il y en avait dans leurs parcs, ni de plus belle invention, & particulièrement des cercles qui étaient faits de cordes goudronnées, entre-tissées en forme d’une couronne d’épines, où ils avaient entrelacé de grands clous, dont les pointes sortaient demi-pied hors du cercle, & de petits canons de pistolets qui étaient chargés d’une balle, ce qui faisait en même temps trois effets très-périlleux : car la mixtion artificielle, dont les cordes étaient imbues & couvertes, épandait le feu, les canons de pistolet tiraient leur balle, & leur effort enlevait les cercles, qui avec ces pointes de fer faisaient un grand ravage parmi les soldats sur lesquels ils étaient lancés. (…)

Le champs de bataille était couvert de leurs morts, les brèches du retranchement & des forts gagnés en étaient aussi remplies, mais comme la vanité des Espagnols est industrieuse à déguiser leurs pertes, quoique l’on ai trouvé parmi les morts beaucoup de personnes qui portaient l”écharpe rouge avec frange d’or & d’argent, des chaînes d’or, & des cordons de diamant, & soixante bâtons de commandement épars dans le camp : ils cachèrent néanmoins avec un religieux silence la qualité de leurs morts, en telle façon qu’ayant conduit des prisonniers pour leur faire reconnaître si parmi les morts il y avait des capitaines, & des hommes de commandement, les prisonniers, qui conservaient dans le piteux état de leur fortune cette vaine ostentation de gravité, que les Espagnols affectent, ne voulurent indiquer, ni particulariser aucun homme de marque, mais comme ils étaient pressés par les demandes qui leur étaient faites sur ce sujet, ils répondirent, todos, voulant dire que ceux qui en cette occasion avaient mieux aimé perdre la vie, que fuir lâchement, étaient tous hommes de mérite. Il y avait dans les brèches des retranchements en divers endroits une douzaine d’Espagnoles qui avaient été tuées dans le premier assaut, vêtues et armées en soldats : la délicatesse du teint, la blancheur des mains, & la propriété du reste du corps, témoignaient que ces femmes avaient vécu avec plus de soin de leur beauté, que de leur pudeur, & comme la nouveauté de ce spectacle attirait les yeux des plus curieux, quelques-uns demandèrent aux Espagnols prisonniers s’ils connaissaient des femmes, & sous quels capitaines elles portaient les armes, ils dirent que non, mais il y en eut un lequel regardant ses compagnons avec mépris, leur dit d’un ton —stueux, « digan que ne son mujeres, mujeres son los que huyeron », dites que ce ne sont pas des femmes, ce nom doit être donné à ceux qui ont fui. (…)

Il est malaisé de dire avec certitude les noms des chefs que les Espagnols y perdirent, parce qu’ils usent de grand artifice à les cacher, mais il est très-certain que par les revues que Serbellon a fait de son armée après cette déroute, on trouva qu’il avait perdu 4 000 hommes, des blessures, ou qui s’étaient noyés : cela fut ainsi constamment assuré par tous les espions de la frontière, & accordé par les trompettes des ennemis, & par ceux qui vinrent pour retirer les prisonniers, lesquels dirent que Serbellon n’avait perdu dans le combat que deux mestres de camp & 16 capitaines, mais que plusieurs en étaient depuis décédés à Salces & à Perpignan, des blessures qu’ils avaient reçus, entre autres, Terrasse maître de camp de la cavalerie liégeoise, Philippo Marino qui commandait la cavalerie espagnole. l’on publie d’autres noms d’Espagnols, qui furent blessés & tués, mais parce que les rapports en sont différents & incertains, je n’en ai pas voulu charger cette Relation.

Les Français qui ont été tués, ou blessés dans cette occasion, ont finis leurs jours d’une mort si glorieuse, & ont reçu des blessures si honorables, que ce serait faire injure à leur gloire d’en diminuer le nombre, car l’attaque étant périlleuse, & le combat ayant été entretenu six heures avec obstination, ce serait se flatter de trop grand bonheur, que de se persuader que nous n’avons perdu que 200 hommes comme quelques-uns ont écrit. Il y eut 1 200 Français tués, ou blessés, & bien près de 300 cavaliers démontés. Et parce qu’on prit un soin le plus exact qu’il a été possible pour savoir avec assurance le nombre de morts, & des blessés, qui ont été remarqués dans le corps de cavalerie & d’infanterie, on a mis en ce lieu l’état qui en a été donné au général, par les officiers.

La compagnie de Boissac de 52 maîtres qu’il y avait au commencement du combat, fut réduite à 27.

Douze maîtres de la compagnie de gendarmes du duc d’Halluin, & 43 chevaux demeurèrent morts ou blessés.

Dix maîtres de la compagnie de Sainte-Croix.

De celle de Malves sept, de Saussan huit & un grand nombre de seigneurs et gentilshommes qui étaient dans escadrons des volontaires, parmi lesquels les plus remarquables, & dont la mort ou les blessures ont été publiées dans le camp, sont les marquis de Mirepoix, de Perault, le chevalier de Suze, Hannibal, le vicomte de Monsa, le baron de Trebien, la Prune, Travanet, Miraval, Pesens, d’Alzau, Sueilles, Mazieres, d’Autry écuyer de l’évêque d’Albi & Romens qui ont glorieusement perdu la vie en cette occasion. Les blessés étaient en plus grand nombre, le marquis d’Ambres, le comte de Clermont de Lodève, Restinclières, les barons d’Amboise, du Pujol, de Lescure, de Ribes, de Bonrepaux, le marquis de Mures, Clermont Vertillac, de Paulo Granval, Montmaur, Moranges, de Villa, Vaillauques de Murles, Delbose aide de camp, le chevalier de Vilaudric, de Coursoules frères, de Durban, Marsal de Monrabes, de montredon, de Filines, Douppia, Gabriac, Mongaillard, Bram, Montarnaud, Saint-Afrique, Jonquières, Mazeroles, Bertolene, Saint-Maurice, Saint-Julian, & d’Armissat. Il y eut beaucoup d’autres volontaires qui furent blessés ou tués en ce combat, lesquels ayant été emportés en même temps hors du camp, l’on n’a pas eu connaissance certaine de leurs blessures.

Quand à l’infanterie, celle du régiment de Languedoc reçut le plus grand échec. Le chevalier de Suze qui le commandait y mourut, Sueilles qui menait la tête lorsque le parc des chariots fut forcé, y fut brûlé, & depuis décédé de ses brûlures, les barons de Faugieres & de Monfrin, Saussan, Delbosc, Lambertie, capitaines en ce régiment, y furent blessés, d’Aubaïs lieutenant de Champaigneye, Jannet enseigne de Fauguieres y furent tués, 6 autres lieutenants blessés, 9 enseignes morts ou blessés, avec 254 soldats.

Le régiment de Vitry y perdit beaucoup d’officiers, des Auvergnes fils de Vinaza lieutenant colonel, le jeune Dalon, Rousson major, & son aide avec deux lieutenants furent tués, Vinaza lieutenant colonel y fut blessé, & 8 capitaines avec lui.

Du régiment de Saint-Aunès, le mestre de camp blessé de huit coups, Maureillan lieutenant colonel tué, Rosel major & trois autres capitaines blessés, 56 soldats morts ou blessés.

Du régiment de Castelan, Icard lieutenant colonel fort blessé, L’oustalnau major tué, Vacherin & Douviez capitaines tués, du Bourg, Passier, Clayran, Villebresse & Montagut capitaines blessés, avec deux lieutenants & 23 soldats morts.

Du régiment de Saint-André, les mestre de camp blessé, un capitaine tué, quatre blessés, avec six lieutenants & 60 soldats morts ou blessés.

Du régiment de Murviel, Tabarie & Berouve capitaines du régiment de Mongaillard, qui s’étaient joints à celui du baron de Murviel, beau-frère de leur mestre de camp, y furent blessés ; un capitaine de Murviel y fut tué, avec deux lieutenants & quelques soldats.

Du régiment de Jonquières Cauvisson, qui dans trois jours mis sur pied 800 hommes, & servit très bien en cette occasion, il fut tué un capitaine, trois blessés, quatre lieutenants tués, avec autant d’enseignes & 58 soldats.

Pour les milices, les chefs furent soigneux de rendre le dénombrement de leurs morts & de leurs blessés, & les soldats qui n’avaient été levés que pour le secours de Leucate, qui furent tellement dispersés après la bataille, que l’on ne peut rien dire avec certitude du nombre d’hommes qui leur furent tués ou blessés.

 

Extrait des provisions de Maréchal de France :

Louis, par la grâce de Dieu (…) Et considérant que nous ne pouvons en honorer un plus digne sujet que notre très-cher & bien-aimé cousin le duc d’Halluin, Charles de Schomberg, Pair de France, notre lieutenant en nôtre compagnie de 200 chevaux légers de nôtre garde, chevalier de nos ordres, grand maréchal des troupes de pied allemandes, lorraines, liégeoises a wallonnes entretenues pour notre service, gouverneur & lieutenant général en nôtre province de Languedoc (…) Nous avons nôtre-dit cousin le duc d’Halluin, fait, constitué, ordonné & établi, faisons, constituons, ordonnons & établissons par ces présentes signées de notre main, Maréchal de France…

Stéphane Thion

La bataille de Lens (20 août 1648) d’après les témoins

La bataille de Lens (20 août 1648) d’après les témoins

La bataille de Lens, mémoires du maréchal de Gramont :

« Le soir on arrêta l’ordre de bataille, et, sur toutes choses, on en recommanda trois à toutes les troupes : la première, de se regarder marcher les uns les autres, afin que la cavalerie et l’infanterie fussent sur la même ligne, et qu’on pu bien observer ses distances et ses intervalles ; la seconde, de n’aller à la charge qu’au pas ; la troisième, de laisser tirer les ennemis les premiers.

Voici qu’elles furent la disposition de l’armée : le prince de Condé prit l’aile droite de la cavalerie, qui consistait en neuf escadrons, savoir : un de ses Gardes, deux de son Altesse Royale, un du grand maître, un de Saint Simon, un de Bussy, un de Streiff, un d’Harcourt, le vieux, et un de Beaujeu ; Villequier, lieutenant général sous lui ; et pour maréchaux de camp, Noirmoutier et La Moussaye, le marquis de Fort, sergent de bataille, et Beaujeu, commandant de cavalerie de cette brigade.

L’aile gauche était commandée par le maréchal de Gramont avec pareil nombre d’escadrons, savoir : un des carabins, celui des Gardes, deux de la Ferté-Senneterre, deux de Mazarin, deux de Gramont, et un des Gardes de la Ferté ; La Ferté, lieutenant général ; Saint Maigrin, maréchal de camp ; Linville, maréchal de bataille, et le comte de Lillebonne, commandant la cavalerie de cette brigade.

La première ligne de l’infanterie entre des deux ailes était composée de deux bataillons des Gardes françaises, des Gardes suisses et écossaises, et des régiments de Picardie et de son Altesse Royale, de ceux de Persan et d’Erlach. Le canon marchait à la tête de l’infanterie.

Six escadrons des gendarmes, un des compagnies du Roi, un de la Reine, un du prince de Condé, un du duc de Longueville, un du prince de Conti, un des chevaux légers de son Altesse Royale, et un du duc d’Enghien, soutenaient l’infanterie ; et ce corps avec la première ligne était sous les ordres de Châtillon, lieutenant général ; et pour sergents de bataille, Villemesle et Beauregard.

La seconde ligne de cavalerie, commandée par Arnault, maréchal de camp, était composée de huit escadrons : un d’Arnault, deux de Chappes, un de Coudray, un de Salbrich, un du Vidame, deux de Villette.

La seconde ligne de l’aile gauche était commandée par le Plessis Bellière, maréchal de camp, et composée de sept escadrons : un de Roquelaure, un de Gesvres, un de Lillebonne, deux de Noirlieu, un de Meille, et un de Chémerault.

La seconde ligne d’infanterie était composée de cinq bataillons : un de la Reine avec trois cents hommes commandés de la garnison de La Bassée, un d’Erlach français et Rasilly, un de Mazarin italien, un de Condé, et un de Conti.

Le corps de réserve était composé de six escadrons, un de Ruvigny, un de Sirot, trois d’Erlach, et un de Fabri et commandé par d’Erlach, le lieutenant général, et Rasilly, maréchal de camp.

L’on marche le 19, à la pointe du jour, dans ce même ordre, pensant rencontrer les ennemis dans le poste où le jour auparavant ils s’étaient laissés voir avec quarante escadrons : mais la surprise fut extrême lorsque ayant passé au delà dudit poste, l’on vit toute l’armée ennemie en bataille postée de la sorte, à savoir : l’aile droite composée des troupes espagnoles, sous Lens, dont ils s’étaient rendus maîtres la nuit précédente, ayant devant eux nombre de ravines et de chemins creux, l’infanterie dans de petits taillis qui sont comme naturellement retranchés ; et l’aile gauche, composée de la cavalerie du duc de Lorraine, sur une hauteur devant laquelle il y avait aussi quantité de défilés.

L’armée du Roi s’étant présentée devant celle des ennemis, et le prince de Condé ayant reconnu qu’à moins de vouloir se faire battre de gaieté de cœur, il n’était pas possible de songer à attaquer dans le poste avantageux qu’elle occupait, il se contenta de se placer devant elle ; et tout le jour se passa en de légères escarmouches et nombre de coups de canons qui furent tirés de part et d’autre.

Le lendemain, le prince voyant que dans le lieu où il était il n’y avait ni fourrages ni eau, il prit le parti de marcher à Neus, village à deux lieues de l’endroit où il était campé, afin de pouvoir tirer ses vivres de Béthune, et se trouver par ce moyen en état de suivre les ennemis en quelque lieu qu’ils allassent : et comme il voulait leur faire voir le désir qu’il avait de combattre, et qu’il ne les craignait pas, il ne décampa de devant eux qu’en plein jour.

Le corps de réserve commença la marche, l’avant garde après lui, la seconde ligne suivie de la première, dans le même ordre et la distance qu’on avait observé la veille : mais comme le prince de Condé laissa dix escadrons pour l’arrière garde un peu trop éloignés de sa ligne, à la tête desquels étaient Villequier et Noirmoutier, le général Bec profita du temps en habile capitaine qu’il était, et les chargea si vivement avec la cavalerie de Lorraine, qu’il les fit plier plus vite que le pas et les mit en grand désordre. Brancas, mestre de camp, y eut le bras cassé et fait prisonnier, ainsi que bon nombre d’officiers subalternes et de cavaliers qui furent tués et pris. Et le prince de Condé courut grande fortune de l’être : car voulant remédier par sa présence au désordre qu’il voyait, il ne fut pas en son pouvoir de l’empêcher, tant l’épouvante de ses troupes était grande, et on le poursuivit assez longtemps l’épée dans les reins ; et bien lui en prit d’avoir un bon cheval, sans quoi il eut essuyé le même sort de son page, qui fut blessé et pris derrière lui.

Le général Bec, enflé de ce petit succès, et l’orgueil naturel qu’il avait s’augmentant par l’avantage qu’il venait de remporter, joint à la fanfaronnade allemande qui le faisait mépriser nos troupes, manda à l’archiduc et au comte de Fuensaldagne qu’ils n’avaient qu’à marcher en toute diligence, et qu’il leur donnait sa parole qu’il n’y aurait pas de différence entre combattre et défaire notre armée.

Dans le temps que nos troupes pliaient à la débandade, le capitaine des Gardes du maréchal de Gramont le vint avertir qu’il voyait l’aile du prince de Condé en grande confusion et faire un mouvement qui ne promettait rien de bon : ce qui obligea le maréchal à faire faire volte face à toutes ses troupes qu’il faisait marcher en bataille, ne laissant derrière les escadrons qui marchaient à côté des bataillons que de petites troupes de trente maîtres pour escarmoucher, en cas que les ennemis le voulussent suivre. Cela fait, il s’en alla à toute bride à l’aile du prince de Condé, qui lui dit, pénétré de douleur, en l’embrassant, que son propre régiment, à la tête duquel il était, l’avait abandonné honteusement, et que peu s’en était fallu qu’il ne fut resté mort ou pris. La conversation qu’ils eurent ensemble fut toute des plus courtes ; car voyant que les ennemis se mettaient ensemble et qu’ils postaient déjà leur infanterie et leurs canons, ils résolurent sur le champ de donner bataille, connaissant à merveille qu’en telles occasions il n’est ni prudent ni sage de barguigner. Le prince de Condé dit seulement au maréchal de Gramont que qu’il le conjurait de lui donner le temps de faire passer la seconde ligne au poste de la première, parce qu’il la trouvait si effrayée qu’elle serait certainement battue s’il la ramenait une seconde fois à la charge. Et ce fut en effet de sa présence d’esprit et cette connaissance parfaite qu’il avait des hommes et qui le mettait toujours au dessus des autres dans les plus périlleuses et les plus grandes occasions ; car tout ce qu’il y avait à faire se présentait à lui dans l’instant. Ce sont des génies rares pour la guerre, dont entre cent mille il s’en rencontre un de pareille espèce.

Le maréchal de Gramont quitta M. le prince de Condé pour s’en retourner à son aile ; et passant à la tête des troupes, il leur dit que la bataille venait d’être résolue ; qu’il les conjurait de se ressouvenir de leur ancienne valeur et de ce qu’ils devaient au Roi, comme aussi de bien observer les ordres qu’on leur avait donnés ; que l’action dont il s’agissait était de telle importance, vu la situation présente des affaires, qu’il fallait vaincre ou mourir, et qu’il allait leur montrer l’exemple en entrant le premier dans l’escadron des ennemis qui serait opposé au sien. Ce discours court et pathétique plut infiniment aux soldats : toute l’infanterie jeta des cris de joie et leurs chapeaux en l’air ; la cavalerie mit l’épée à la main, et toutes les trompèrent sonnèrent des fanfares avec une joie qui ne peut s’exprimer. Le prince de Condé et le maréchal de Gramont s’embrassèrent tendrement, et chacun songea à son affaire.

Il y avait proche de l’aile que commandait le maréchal de Gramont un petit village qui lui rompait presque tout son ordre : ce qui l’obligea par trois fois, pour donner lieu à celle du prince de Condé de se mettre en bataille, de se retirer un peu sur la gauche, et de faire faire un quart de conversion à ses troupes, puis de marcher par la hauteur ; après quoi il tournait à droite et se remettait en bataille. Cette manœuvre était incommode, et toute des plus dangereuse en présence d’un ennemi en alerte ; mais il n’y avait pas moyen de faire autrement. Enfin, comme il vit qu’il avait suffisamment de terrain, il marcha droit aux ennemis au petit pas, avec un tel silence (chose peu ordinaire aux français) que dans toute son aile l’on n’entendait parler que lui.

Le maréchal de Gramont avait les troupes d’Espagne à combattre ; car comme elles avaient la droite et lui la gauche, elles lui étaient opposées : le comte de Bucquoy était à la tête de la première ligne, et le prince de Ligne à la seconde. Elles étaient postées sur une petite éminence ; et l’on peut dire que c’était un duel plutôt qu’une bataille, puisque chaque escadron et bataillon avaient le sien en tête.

Les ennemis demeuraient fermes dans l’avantage de leur hauteur, se tenant cinq ou six pas en arrière, afin que les escadrons allant à la charge, ils se pussent embarrasser et les leurs nous charger en ordre. Ils n’avaient point l’épée à la main ; mais comme tous les cuirassiers espagnols portent en Flandre des mousquetons, ils les tenaient en arrêt sur la cuisse, de même que si c’eût été des lances. A vingt pas d’eux, le maréchal de Gramont fit sonner la charge, et avertit les troupes qu’elles avaient à souffrir une furieuse décharge ; mais qu’après cela il leur promettait qu’ils auraient bon marché de leurs ennemis. Elle fut faite de si près et si terrible qu’on eût dit que les enfers s’ouvraient : aussi il n’y eut guère d’officiers à la tête des corps qu’ils commandaient qui n’y demeurassent morts ou blessés ; mais l’on peut dire aussi que le retour valut matines, car nos escadrons entraient dans les leurs, la résistance fut quasi nulle. On fit peu de quartier, et il y eut beaucoup de monde de tué.

La seconde ligne vint pour soutenir la première ; mais se trouvant rudement chargée par la nôtre, elle ne tint presque point et fut rompue. Notre infanterie eut le même avantage sur la leur ; et nous perdîmes peu de gens, excepté dans le régiment des Gardes, qui ayant été chargé en flanc par quelques escadrons, eut six capitaines de tués et beaucoup d’officiers.

Le corps de réserve commandé par d’Erlach, soutint à merveille l’aile du prince de Condé, qui bâtit de son côté la première et la seconde ligne des ennemis, après avoir chargé dix fois en personne, et fait des actions dignes de cette valeur et de cette capacité si connues de l’univers.

Jamais l’on ne vit victoire plus complète : le général Bec y fut blessé à mort et pris prisonnier, le prince de Ligne, général de la cavalerie, tous les principaux officiers allemands, tous les mestres de camp espagnols et italiens, trente-huit pièces de canon, leurs ponts de bateaux et tout le bagage.

La bataille pleinement gagnée, comme le maréchal de Gramont faisait reformer ses escadrons qui, ayant chargé plusieurs fois, se trouvaient un peu en désordre, un de ceux des ennemis qui s’enfuyait à tire d’aile lui tomba sur le corps au moment qu’il s’y attendait le moins ; et il eut été pris ou tué s’ils n’avaient pas perdu la tramontane, car il se trouva au milieu d’eux. Il ne laissa pourtant pas d’en essuyer toute la décharge à la passade, dont un de ses aides de camp fut tué à ses côtés : aventure qui ne laisse pas d’avoir sa singularité.

Les deux ailes poursuivant la victoire, le prince et le maréchal se joignirent au delà du défilé de Lens et ayant encore l’épée à la main, le prince vint au maréchal pour l’embrasser et le féliciter sur ce qu’il avait fait ; mais il se fit une si furieuse guerre entre leurs deux chevaux, qui auparavant étaient doux comme des mules, qu’ils faillirent à se manger, et il s’en fallut peu qu’ils ne fissent courir à leur maître plus de risque de leurs vies que pendant le combat.

Le nombre de prisonniers se monta à cinq mille ; et comme il fallait les envoyer en France sous une escorte qui fût suffisante pour conduire un si grand corps, on en donna l’ordre à Villequier, avec deux régiments de cavalerie et un d’infanterie ; ce qui fit séjourner l’armée près du champ de bataille sept à huit jours, attendant le retour des troupes, et que nos chevaux d’artillerie pussent à diverses fois conduire dans Arras et La Bassée ce grand attirail qui avait été pris. »

 

La bataille de Lens, Relation de La Peyrère :

« La satisfaction du Prince fut non pareille de voir l’Archiduc en présence. Son dessein avait réussi ; il semblait que sa retraite n’avait été qu’une feinte pour engager les ennemis au combat. Ce fut en effet, un panneau subtilement tendu aux plus grands capitaines d’Espagne, et l’archiduc donna dedans. L’illusion qui le trompa fut bizarre ; il courut à la victoire et n’eut pas le temps de prendre haleine pour la bataille. Le Prince était prêt, l’Archiduc ne l’était pas ; les français s’étaient hâtés de se mettre en ordre, pour surprendre les espagnols dans le désordre. (…)

Il était environ huit heures du matin quand l’armée commença à marcher dans le plus bel ordre, au bruit des trompettes, des tambours et des canons. Le prince lui faisait faire halte, de temps en temps, pour la contenir dans ses lignes et à ses distances et, ce qui est considérable, le canon du comte de Cossé fut si bien et si diligemment servi qu’il tira toujours en marchant ; avec cet avantage que, tirant de la plaine sur l’éminence où étaient les ennemis, tous les coups portaient, soit dans les escadrons, soit dans les bataillons, et ajoutaient une grande confusion à celle où ils étaient déjà pour se mettre en ordre de bataille. Leurs canons, qui tiraient de haut en bas, ne faisaient pas le même effet que les nôtres, quoique le nombre en fût très inégal, l’Archiduc en ayant 38 et le Prince 18.

Les ennemis, pressés de combattre, avaient bonne mine et marchaient résolument à nous ; mais ils faisaient à la fois deux choses embarrassantes lorsqu’on va à un combat décisif, marcher et se ranger en bataille (…).

Les deux armées étaient à 30 pas l’une de l’autre, lorsqu’on tire troiscoup de fusil, de l’aile gauche de l’ennemi, sur notre aile droite. Condé, qui craignait la précipitation de ses soldats, les arrêta et défendit aux mousquetaires de faire feu avant que les ennemis n’eussent tiré ; le feu ne devait commencer qu’à bout portant. Cette halte eut trois bons effets ; elle tempéra l’ardeur de nos troupes, elle rajusta l’ordre de marche et confirma le soldat dans la résolution de supporter la décharge des ennemis.

Le prince de Salm s’avançait au trot, avec sa première ligne de wallons et de lorrains, contre celle de Condé, qui marchait au pas pour le recevoir. Les deux lignes se joignirent tête contre tête de cheval, bouche contre bouche de pistolet, et demeurèrent en cette posture assez longtemps, attendant, sans branler des deux côtés, qui tirerait le premier.

Les ennemis, plus impatients commencèrent la décharge ; on aurait dit que l’enfer s’ouvrait ! Tous nos officiers du premier rang furent tués, blessés ou démontés. Condé donne alors le signal du feu ; puis, l’épée haute, à la tête du régiment de Gassion, il enfonça l’escadron qui lui était opposé. Ses six autres escadrons le suivirent et, à son exemple, chargèrent si rudement la première ligne ennemie qu’ils la renversèrent. » (…)

 

Relation de la bataille de Lens, le 20 août 1648, par un officier de Condé.

Manuscrit MS933 conservé au château de Chantilly,

« Après que Mr le prince de Condé eut pris Ypres, il ramena son armée auprès de Béthune où il campa. Entre Lillers et cette place il manda à monsieur d’Erlach de le venir joindre en ce point pour réparer  par la  jonction de ses troupes la grande perte de sa cavalerie partie (…) qui avait été fort incommodée en détail durant le siège d’Ypres aux convois et aux partis de fourrageurs.

Monsieur l’archiduc Léopold cependant avait pris Courtrai, (ensuite ?) marchait à Lillers : un de nos partis prit une compagnie de cravattes (ndla : croates) à la guerre avec le capitaine qui la commandait qui était en garnison à Gère ( ?) ; monsieur le prince généreusement le renvoya à l’archiduc par son trompette du corps et le chargea de faire qualité à Mr le dit seigneur. Il fit son présent et son compliment dans le temps que le général Beck était à la tente de l’archiduc. Mais ce prince reçut cette (honnêteté ?) avec une arrogance stupide et répondit de si plates choses qu’on a honte de répéter ce que le trompette rapporta, et Beck pour renchérir sur l’impolitesse du prince dit de si sottes choses (qu’on a fait connaître) le caractère d’un très mal gentilhomme tel qu’il était, traitant Mr le prince de Condé de jeune levraut qu’il menaçait de mener par les oreilles à Luxembourg. Le trompette lui répartit à peu près du même style, on le menaça de prison et enfin on le congédia très mal satisfait. Celui qui nous fait cette relation était dans la suite de Mr le prince qui en attendant le retour de son trompette faisait lire Dante en italien et interprétait à quelques assistants un mot que plusieurs n’entendaient point, qui est « Vespaio », qui signifie un essaim de mouches guêpes (ndla : un guêpier) ; quand Mr de la Moussaye apporta la gazette de Bruxelles, dans laquelle, les ennemis enflés du fruit de la prise d’Ypres avait mis une assez plate raillerie, disant que son altesse impériale cherchait partout l’armée du prince de Condé et qu’il donnerait le vin à qui la pourrait trouver et lui en donner des nouvelles ; comme Mr le prince tournait l’affaire en raillerie, le trompette arriva qui fit la relation de son ambassade si chaudement que son maître, qui est de tous les héros de son siècle celui qui est le plus sensible à la gloire, changea de ton et jura qu’il lui épargnerait la peine de la chercher si il était assez hardi pour quitter le pais couvert où il avait mené son armée.

Laquelle arrivait en ce temps à Estaires.

Il y avait un château sur la Lys où nous avions quarante ou cinquante hommes en garnison. L’archiduc le prit la nuit même et de là couvert toujours de la rivière il marcha à Lens.

Lens est hors des marais de Ouatrigans (ndla : Watergangs ou Watregans) que fait cette rivière. Il est dans la plaine qui va à Arras un petit ruisseau qui naît auprès de cette place et fut occupé par l’armée espagnole qui y campa sur le haut du rideau de Lens et posta son canon dans deux petits taillis qui font parti du rideau.

Et tous braves qu’ils sont les espagnols dans leur gazette, ils se retranchèrent pourtant sans faire réflexion qu’ils avaient bien trente cinq mille hommes. Le prince de Condé entendant les coups de canon qui se tiraient au (sud ?) de Lens se réjouit de voir ses ennemis en une plaine et sur l’heure même commande à Mr de Châtillon de charger un corps de garde qu’ils avaient mis sur le bout d’un pont qu’ils avaient défait. Il fit rapporter des planches et chargea avec la garde qu’il y trouva et ses gardes si brusquement à qui s’opposa à lui que les ennemis abandonnèrent le passage de (…) à leur armée qui n’était qu’à deux lieues de là.

Mr le prince passa la Lys et laissa les bagages sous Béthune ; jamais je n’ai vu passer avec tant d’impétuosité, à une heure devant le jour nous arrivâmes au bord des défilés. (Voyez ?) si la gaieté était bien naturelle à ce grand prince durant qu’on faisait avancer l’artillerie.

Celui qui vous (conte) ceci se trouva dans un verger d’arbres fruitiers sur le bord duquel était notre héros qui voyait défiler les pièces de canon qui s’élargissaient à mesure qu’elles passaient. Celui donc qu’il nous a plu de (…) gazetier coupa une gaule dont il fit un martinet à jeter des pommes et commença à escarmoucher contre le marquis de Normanville ; monsieur le prince prit plaisir à ce divertissement il en prit une pareille.

Et voilà une plaisante façon de préluder à une bataille où chacun avec des grandes visées s’employa jusque à ce que Mr de Cossé passa avec la dernière pièce de l’artillerie qu’il commandait.

Là, Monsieur d’Erlach vint saluer Mr le prince à qui il amenait environ huit mille bons hommes (ndla : en fait il en amena moins de quatre mille). Le jour étant déjà grand, les généraux des ennemis vinrent avec douze cents chevaux reconnaître si c’était toute notre armée ou une partie qui fut en deçà de la rivière ; son altesse pour leur ôter bien du doute faisait marcher son artillerie à la première ligne, ils la virent clairement et s’en retournèrent à leurs retranchements, en nous laissant toute la plaine libre.

Son altesse en marchant fit trois lignes de ses troupes qui faisaient tout au plus vingt mille hommes et tout au moins dix huit ; il mit à la première les gardes, Picardie et les régiments de l’armée d’Erlach et pour cavalerie tous les gendarmes tant du Roy que des princes et toutes les compagnies de gardes des généraux ; la seconde ligne était en pareille disposition et notre cavalerie légère commandée par Guiche ( ?), monsieur d’Erlach demeura pour troisième ligne et corps de réserve ; Mr de Cossé menait une bande d’artillerie. A la première ligne il les faisait marcher aussi vite que les troupes ; nous allâmes en cet équipage montrer notre armée à Mr l’archiduc qui était bien couvert de ses lignes devant lesquelles nous nous arrêtâmes à un jet de pierre près, et y demeurâmes tout le jour, les officiers d’infanterie de la première ligne jouant et sautant au « saut de l’allemand » toute la journée sans  (être) autrement alarmé.

Il est à remarquer que Mr le prince avait tant parlé des troupes d’Allemagne lesquelles ne tiraient jamais les premiers et obligeaient leurs ennemis à faire leur décharge puis à fuir devant eux que chaque officier s’était mis cela en tête, et bien que cela ne fut dit qu’à l’égard de la cavalerie, néanmoins l’infanterie s’y fit presque partout un point d’honneur de ne point tirer.

La nuit vint et l’armée qui n’avait point repu ne pouvant pas rester à jeun jusqu’au lendemain de combattre, particulièrement les chevaux. Mr le prince résolut quand le jour serait venu de se retirer en un village nommé Loo auquel touchait notre arrière garde afin de repaître et dit tout haut qu’en quelque temps que l’archiduc marchait, qu’il le combattrait assurément et ainsi il se mêla à l’affaire publiquement quoique pique qui contribua particulièrement au grand fait d’arme du jour suivant.

La nuit les ennemis firent sortir de leur retranchement le régiment des cravattes (ndla : croates) mais ils furent bien étonnés quand ils (s’instruirent ?) qu’ils (heurtaient ?) contre notre artillerie, ils s’en retournèrent bien vite.

Le jour vint, et pour montrer aux ennemis qu’on ne (sortirait ?) pas en (cachette ?), son altesse attendit que le soleil fut levé, et lors il leur fit faire une salve de six pièces de monsieur de Cossé, et puis marcha sans rompre son ordre de bataille mais faisant seulement à droite les compagnies de gendarmes et de chevau-légers et celles des gardes des généraux faisant la retraite au même ordre qu’ils devaient faire l’avant-garde.

Les troupes lorraines de l’armée d’Espagne avec quelques autres escadrons voyant le petit nombre des compagnies (franchies ou franches ?) tombèrent avec toute leur aile de cavalerie sur leurs bras, les rompirent facilement et les pressèrent de si près qu’ils ne purent se rallier qu’à l’appui du régiment de Picardie qui avait l’aile droite de la première ligne.

Cet heureux commencement fit crier victoire aux lorrains. Beck qui crut prendre un temps précieux amena l’archiduc hors des lignes et fit voir notre infanterie dépouillée de cavalerie au milieu d’une des plus grandes plaines du monde ; l’archiduc dit qu’il avait ordre expresse de ne rien hasarder. Beck insista et dit qu’il n’y avait plus de hasard et il offre de répondre de sa tête leur (serment ?) de  la bataille ;  les espagnols sur cela lui reprochant qu’il laissait perdre une occasion de remettre leurs affaires et de repenser les (souvenirs ?) de Rocroy, sautaient le retranchement, mettaient leurs régiments en bataille et accouraient à nous.

Voici ce coup de maître que fit notre héros, ce qu’il ne nous ai fait entendre par la comparaison du jeu d’escrime ou ne nous ai dit que durant que le moins docte bat du pied sans se débander le savant prend un temps et loge sa botte à plaisir.

Il ne fit donc autre chose sinon qu’il remplit la place des battus par la cavalerie qui était rangée à la seconde ligne pour la soutenir. Et il ne fit que faire à gauche, en remarchant droit aux ennemis, lesquels étaient bien en bataille chacun en particulier mais n’étaient point en ordre de bataille mais en colonne pour s’y mettre.

Là le régiment des gardes pour avoir fait sa salve le premier fut taillé en pièces, et le régiment de Picardie qui ne voulut point tirer défit sept régiments entre lesquels était celui qui avait tué le régiment des gardes ; les régiments qu’avait amené Erlach qui étaient Nettancourt, Vaubecourt et autres ne tirèrent non plus que Picardie.

Notre cavalerie eut fort à souffrir car les ennemis avaient toujours trois escadrons contre un, mais à mesure qu’ils étaient rompus ils se venaient toujours rallier derrière Picardie ; (ndla : figurent ici trois noms d’officiers non identifiés) après avoir vingt fois chargé et défait les corps qu’ils combattirent y vinrent s’y rafraîchir et Streif y vint mourir.

Votre gazetier y retrouva Mr le maréchal d’Aumont que les espagnols emmenaient prisonnier après avoir (…) à le tuer de sang froid d’un coup de pistolet dans son ordre, lui étant prisonnier.

L’histoire vous dira le reste car les écrits se sont perdus depuis si longtemps il suffit de vous dire que nous prîmes plus de (six ?) milles prisonniers et ne tuâmes pas cent (…) hommes toute leur cavalerie s’y sauva. Beck fut blessé et pris par un lieutenant du régiment d’Aumont, Mr d’Arnault lui voulut reprocher quelque chose touchant la mort de monsieur de Feuquières, Beck lui répondit fort brutalement. On l’emmena prisonnier à Arras où il mourut aussi brutalement qu’il avait vécu ; Mr le prince bien loin de se venger de lui, lui prêta son carrosse pour l’emmener.

Par la relation d’un révérend père jésuite de la bande (…) qui suivaient Mr l’archiduc on apprit qu’aussitôt qu’il eut donné aux importunités des généraux et des (trois ?) espagnols la permission de gagner la bataille, il se fit armer, confesser, et s’enfuit.

Stéphane Thion

la bataille d’Allerheim (3 août 1645) d’après les témoins

la bataille d’Allerheim (3 août 1645) d’après les témoins

La bataille d’Allerheim par Ramsay, dans les mémoires de Turenne :

« M. de Mercy se retira plus avant dans le pays vers Dinkefpuhel, où il laissa trois ou quatre cents hommes et se campa à trois ou quatre lieues de là derrière des bois. Peu de jours après, l’armée du Roi arriva auprès de Dinkefpuhel et forma le dessein de l’attaquer ; on fit avancer des mousquetaires dans des maisons ruinées et l’on y ouvrit quelque tranchée ; mais avant minuit un Officier prisonnier qui s’était sauvé de l’armée de Bavière, vint avertir M. de Turenne que M. de Mercy croyant que l’armée du Roi s’attacherait au siège de Dinkefpuhel, marchait toute la nuit, et était à deux heures de-là , derrière les bois. M. de Turenne alla promptement en avertir M. d’Enghien qui résolut de laisser tout le bagage avec deux ou trois Régiments de Cavalerie, et de partir incontinent avec toute l’armée, pour suivre M. de Mercy.

On partit à une heure après minuit : M. de Turenne avait l’avant-garde et on traversa. Un bois : M. d’Enghien y était et avait laissé M. le maréchal de Gramont avec son armée à l’arrière-garde. En sortant du bois le jour était déjà assez grand pour voir une petite troupe des Bavarois; et peu de temps après en la poussant, on découvrit quelques escadrons ennemis, lesquels ayant vu la tête de notre avant-garde, se retirèrent en diligence vers le corps de leur année, dont ces troupes étaient l’avant-garde : de sorte que si l’on ne fut pas parti de trop bonne heure, on les eût trouvé dans la marche, et par conséquent en fort mauvaise posture. Ils s’arrêtèrent derrière plusieurs étangs, se mirent aussitôt en bataille, et ayant placé leur canon commencèrent à faire des travaux à leur tête et à se retrancher.

L’armée du Roi se mit aussi en bataille au sortir du bois ; mais elle ne put aller à eux que par des défilés. On fit avancer le canon qui les incommoda assez ; mais le leur qui était déjà placé nous fit beaucoup plus de mal. La journée se passa toute entière à se canonner de part et d’autre avec assez de perte. Le lendemain deux heures devant le jour nous nous retirâmes par le même chemin par lequel nous étions venus : c’était par un défilé dans le bois. L’ennemi ne suivit qu’avec quelque cavalerie, et il n’y eut qu’une escarmouche, quoiqu’il y eut un temps auquel il eût pu défaire une partie de notre arrière-garde. On repassa donc le bois et on alla joindre le bagage auprès de Dinkefpuhel où l’on campa : mais ne jugeant pas à propos de s’arrêter à une si petite Place, on résolut de marcher à Nördlingen d’y arriver avant l’ennemi ; ce qui était fort aisé. Le lendemain l’année partit de bonne heure, et ayant marché deux ou trois heures, arriva vers les neuf heures du matin dans la plaise allez proche de Nördlingen : n’у voyant rien paraître, on résolut de faire halte avec quel­que intention d’y camper, mais pas encore avec ordre de décharger le bagage ni de tendre les tentes. Comme M. de Turenne s’avança dans la plaine avec une petite garde, et que M. le Prince alla aussi se promener fort près delà avec un autre, il tomba sur un parti Allemand qui rodait et em­mena deux ou trois prisonniers qui dirent, que l’armée de l’ennemi passait un ruisseau à une heure de-là pour s’approcher de Nordlingen. M. de Turenne joignit promptement M. le Prince, et ayant appris qu’il n’y avait point de ruisseau entre le lieu où l’ennemi passait et celui où l’on était, on envoya à l’armée pour ordonner que personne ne s’écartât. M. le Prince et M. de Turenne s’avancèrent encore avec peu de gens pour reconnaître et apprendre plus certainement ce que faisait l’ennemi, et s’il continuait fa marche. La plaine est si rare et s’étend si loin, que l’on ne craignait pas de s’avancer avec peu de gens.

Monsieur de Mercy qui commandait l’armée de Bavière à laquelle s’était joint un Corps de six ou sept mille hommes de l’Empereur, commandé par le Général Gléen, étant arrivé sur le bord d’un ruisseau à neuf heures du matin ; et jugeant, comme il était vrai, que l’armée du Roi était campée auprès de Nördlingen que nous voulions assiéger, crut qu’en passant ce ruisseau sans bagage il pourrait avec sûreté s’approcher de Nördlingen , à cause des montagnes et des avantages qu’il pouvait prendre avec l’on armée : il se persuada aussi qu’on ne l’attaquerait point et jour-là, et qu’ainsi il aurait le temps de se retrancher , ce qu’il était accoutumé de faire en grande diligence, n’ayant ordinairement à la suite de son armée d’autres chariots que ceux de munition de guerre et ceux dans lesquels étaient les outils. Il continua donc fa route et se posta à trois ou quatre cents pas du ruisseau sur une montagne, qui, à l’endroit où il l’abordait était аssеz haute, mais qui descendait insensiblement vers un village. Pour se servir du lieu selon la force de son armée et la situation du terrain, il commença à ranger son aile droite composée d’un corps de l’Empereur et de quelques unes de ses troupes, depuis l’endroit de la montagne qui approche le plus du ruisseau jusqu’au village, ayant deux régiments d’in­fanterie et son canon au lieu où commençait son aile droite. Dans l’endroit où l’aile droite finissait, l’infanterie s’étendait en bataille derrière le village, et dans l’action combattit presque toute pour le défendre ; mais au com­mencement il ne fut occupé que par quelques mousquetaires commandés dans l’église et au clocher. Ensuite de l’infanterie qui était sur deux ligne, de même que la cavalerie, l’aile gauche composée de la cavalerie de Ba­vière, et commandée par M. Jean de Werth finissait vers un petit château un peu élevé autour duquel il y avait de l’infanterie qui fermait la gau­che de l’armée, de même que ces deux régiments d’infanterie fermaient la droite. L’espace entre le village et le château était une plaine où se pouvaient bien tenir douze ou treize escadrons. C’est en cet ordre que se mit M. de Mercy, tant pour combattre que pour camper si on n’était pas venu à lui.

Monsieur le Prince ayant vu que l’armée de l’ennemi passait le ruisseau, manda aux troupes de se tenir prêtes à marcher, et étant confirmé par les partis et par sa vue même que l’ennemi ne s’éloignerait pas trop de vouloir com­battre, il passa l’endroit derrière lequel il avait un grand avantage et manda à toute l’armée de marcher. Sur le midi, l’armée s’avança dans cette grande plaine ; et vers les quatre heures du soir on vint en présence : il fallut allez de temps pour s’étendre et se mettre en état de combattre. Ce village qui était devant l’armée ennemie donnait avec raison différentes pensées ou de l’attaquer ou de marcher vers les deux ailes avec la cavalerie seu­lement : mais comme la chose n’est pas assez sure d’attaquer des ailes sans pousser en même temps l’infanterie qui est au milieu, on ne jugea pas à propos, quelque difficulté qu’il y eut à attaquer le village, d’aller au combat avec la cavalerie, sans que l’infanterie marchât de même front : et comme le village était plus de quatre cents pas plus avancé que le lieu où était leur armée, on crut qu’il fallait faire halte avec les deux ailes pendant que l’infanterie combattrait pour emporter les premières maisons de ce village, et s’en rendre maître, ou du moins d’une partie. Pour cet effet, on fit avancer le canon afin qu’on ne fut pas endommagé de celui de l’ennemi, sans l’incommoder avec le nôtre : mais comme celui qui est placé a beaucoup d’avantage sur ceux qui marchent, à cause qu’il faut toujours atteler les chevaux pour avancer, ce qui fait perdre beaucoup de temps, celui de l’ennemi incommodait plus qu’il ne recevait de dommage.

En cette disposition l’infanterie de l’armée du Roi marcha droit au village ; l’aile droite étant opposée à l’aile gauche de l’ennemi dans la plaine, et l’aile gauche à la droite de l’ennemi qui était sur cette montagne, laquelle descendait insensiblement au village.  L’infanterie trouva assez peu de résistance aux premières maisons ; mais quand elle entra plus avant, trois ou quatre régiments de l’ennemi (dont une partie occupait le cimetière et l’église, et l’autre avait percé les maisons) firent un si grand feu, qu’elle arrêta net tout court, et commença à plier : on la seconda d’autres régiments ; et M. de Mercy qui était derrière le village, fit soutenir la sienne par d’autres corps : ainsi le combat devint fort opiniâtre, avec beaucoup de pertes de part et d’autre ; mais moins de celle de l’ennemi, à cause qu’il était logé dans des maisons percées : et même pendant que la première ligne combattait dans le village, la seconde travaillait sur la hauteur. Ces expédients ne réussirent point ; mais ils montrent beaucoup d’habileté et de fang froid dans le général. M. le Prince vint souvent dans le village, y eut deux chevaux blessés fous lui, et plusieurs coups dans ses habits. Il laissa M. le maréchal de Grammont à l’aile droite de sa cavalerie. M. de Turenne faisait aussi ce qu’il pouvait pour faire avancée l’infanterie qui était dans le village proche de son aile. M. de Bellenave, maréchal de camp de son armée, y fut tué : M. de Castelnau maréchal de bataille dans celle de M. le Prince, fut très dangereusement blessé, aussi bien qu’un très grand nombre d’officiers. Dans le fort, et sur la fin de ce combat, M. de Mercy, Général de l’armée de Bavière , reçut un coup de mousquet, dont il mourut sur le champ ; et je crois que quand l’aile gauche de l’ennemi que commandait Jean de Werth avança contre la cavalerie de M. le Prince, qu’on ne savait pas sa mort : le combat avant duré plus d’une heure dans le village, où quelques escadrons étaient employés pour seconder l’infanterie, l’aile gauche de l’ennemi commença à marcher.

On a souvent dit qu’il y avait eu quelques fautes en passant quelques fossés qu’il y avait entre les ailes, mais je ne trouve pas cela considérable ; car toute l’aile droite de l’armée du Roi était en bataille, et voyait devant elle celle de l’ennemi, laquelle en venant au petit pas au combat ne trouva pas grande résistance. Quoique M. le maréchal de Grammont y fit tout ce qui se pouvait, il fut fait prisonnier, n’ayant pu faire le devoir à la seconde ligne, non plus qu’à la première.

Monsieur le Prince qui était fort proche du village, passa à l’aile de M. de Turenne lequel voyant que l’attaque du village ne réussissait point, et que la cavalerie de l’aile gauche de l’ennemi marchait à la cavalerie française, s’avança avec son aile vers la montagne, et ayant parlé un instant avec M. le Prince, il lui dit, que si il lui plaisait de le soutenir avec quelques esca­drons de la seconde ligne et les Hessois, qu’il matchait pour aller à la charge : M. le Prince y ayant consenti, M. de Turenne continua de mon­ter la montagne à la tête du régiment de Flextein. Etant à cent pas de l’ennemi, il vit en se tournant que toute la cavalerie française et l’infanterie qui avait été poussée du village, était entièrement mise en déroute dans la plaine.

Comme M. de Turenne continuait à monter la montagne avec huit ou neuf escadrons de front, l’infanterie que l’ennemi avait aux deux extrémi­tés de l’aile fit une décharge , et le canon eut loisir de faire trois ou quatre décharges, les premières à balle , et la dernière avec des cartouches, dont le cheval de M. de Turenne fut blessé, et il en eut un coup dans sa cuirasse, et une partie des officiers du régiment de Flextein, et le colonel  même, furent blessés avant que de venir à la charge contre un régiment de cavalerie qui était devant lui. Cela n’empêcha pas que toute l’aile étant marchée d’un front, ne renversât toute la première ligne de l’ennemi avec plus ou moins de résistance de quelques escadrons ; et la seconde ligne de l’ennemi soutenant la première qui était renversée, le combat fut fort opi­niâtre : on n’avait qu’un escadron ou deux dans la seconde ligne ; et les Hessois qui étaient à la réserve, étaient un peu loin : cela fut cause que l’on fût un peu poussé, mais sans déroute ; car les escadrons étaient tou­jours en ordre, et même quelques-uns avaient de l’avantage sur ceux de l’ennemi ; mais leur grand nombre l’emportait.

Les Hessois arrivèrent, et M le Prince à leur tête agissait avec autant de courage que de prudence. La cavalerie Weimarienne voyant les Hessois approcher, se rallia, et on chargea tout d’un temps tout le corps de la cavalerie ennemie, qui s’était mis sur une seule ligne; on la rompit ; tout le canon qui était sur cette montagne fut pris, et les régiments d’Infanterie qui étaient avec l’aile droite furent défaits, et le général de l’armée de l’Empereur, nommé Gléen, pris.

D’un autre côté, toute la cavalerie de M. le Prince, première et seconde ligne, et même sa réserve commandée par le chevalier de Chabot, et toute l’infanterie qui s’en était fuie dans la plaine, étant chassée du village, fut entièrement défaite : Jean de Werth laissa suivre la victoire de ce côté là par deux régiments, qui poussèrent nos troupes deux lieues jusqu’au ba­gage, et revint pour seconder son aile droite, ou pour arrêter la déroute. Si au lieu de retourner par le même endroit, en laissant le village à main gauche, ils eussent marché dans la plaine droit à la cavalerie weimarienne et hessoise, l’on n’aurait pas été en état de faire aucune résistance, et le désordre se serait mis très facilement dans notre aile gauche ainsi enve­loppée.

Comme la cavalerie de M. de Werth commença à revenir derrière se vil­lage , le soleil était déjà couché, et la nuit venant incontinent après, let deux ailes qui avaient battu ce qui était devant eux, demeurèrent en ba­taille l’une devant l’autre ; et comme la cavalerie de l’armée du Roi était un peu plus avancée que le village , quelques régiments de l’ennemi qui étaient dans le cimetière et dans l’église se rendirent à M. de Turenne, et sortirent de là sans armes à l’entrée de la nuit, sans savoir que leurs trou­pes n’étaient pas à cinq cents pas de là.

La cavalerie demeura une partie de la nuit fort proche l’une de l’autre dans la plaine, les Gardes avancées de part et d’autre n’étant pas à cin­quante pas l’une de l’autre. A une heure après minuit l’armée des ennemis commença à se retirer, n’en ayant pas plus de raison que celle du Roi, si ce n’est qu’ils avaient perdu leur général : on n’entendit pas beaucoup de bruit, car ils n’avoient pas de bagage: je crois qu’ils n’emmenèrent que quatre petites pièces de canon, tout le rеste qui était douze ou quinze, demeura sur le champ de bataille. A la pointe du jour on ne vit plus personne, et on sût que les ennemis s’étaient retirés vers Donawert, petite ville où il y a un pont sur le Danube à quatre heures de-là. M. de Turenne les poursuivit jusqu’à la vue de Donawert, avec deux ou trois mille chevaux.

L’armée du Roi y eut toute son aile droite battue , et toute son infanterie entièrement mise en confusion, hors trois bataillons Hessois qui étaient à la réserve, et je crois qu’il y eut bien trois à quatre mille hommes de pied tués sur la place. De l’armée de l’ennemi toute l’aile droite fut battue, trois ou quatre régiments d’infanterie qui étaient mêlés avec elle, défaits, deux qui se rendirent dans l’église ; beaucoup de gens tués dans le village, et presque tout son canon pris. Pour parler de la perte des hommes, je crois que celle que fit l’armée du Roi fut plus grande que celle de l’ennemi. M. le maréchal de Grammont fut pris d’un côté, et le Général Gléen de l’autre, et un très grand nombre d’officiers et beaucoup d’étendards : notre cavalerie allemande des vieux Corps, fit très bien, comme aussi les régiments de Duras et de Tracy.

On fut quelques jours sans pouvoir mettre ensemble plus de douze ou quinze cents hommes de pied de toute l’infanterie française. Après avoir demeuré un jour ou deux auprès de Nördlingen, M. le Prince sachant que les bourgeois y étaient les plus forts, et que l’ennemi n’y avait que quatre cents hommes, résolut de l’attaquer : les habitants de la Ville demandèrent à capituler dès la première nuit, et on renvoya la garnison à l’ar­mée de l’ennemi ; mais je crois qu’on retint leurs armes. On demeura sept ou huit jours à Nördlingen, qui est une très grande et bonne ville, où l’on se raccommoda beaucoup : on y trouva des armes, assez de chevaux pour les équipages, des harnois, et beaucoup de médicaments pour les blessés. »

 

La bataille d’Allerheim par le maréchal de Gramont :

« Mais, comme les généraux mangeaient, on vit arriver à toute bride un reître suédois qui venait donner avis que les ennemis n’étaient qu’à demi lieue : ce qui parut si peu possible, et tellement hors de vraisemblance, que la compagnie se mit à rire, et que le duc d’Enghien, en le plaisantant, lui dit : « Tu con­viendras au moins, mon ami, que nous avons affaire à des gens trop sages et trop habiles pour qu’étant aussi prêts que tu nous l’assures, ils n’aient pas mis la rivière de Vernitz entre eux et nous. « Ma foi, Monseigneur, répondit le cavalier, Votre Altesse en croira tout ce qu’elle voudra ; mais si elle veut se donner la peine de venir avec moi à cinq cents pas d’ici, sur cette petite hauteur qui est là à sa gauche, je lui ferai voir que je ne suis ni aveugle ni poltron ; et elle conviendra avec moi que l’armée de Mercy n’est séparée de la sienne que par une plaine unie comme la main. »

Le reître parla si positivement et avec tant d’assurance que l’on commença à craindre qu’il n’accusât juste. Le duc d’Enghien, les deux maréchaux de France et les officiers gé­néraux montèrent à cheval avec quelques esca­drons pour reconnaître eux-mêmes de quoi il était question, et la vérité d’une nouvelle si circonstanciée; et en s’avançant ils trouvèrent que les ennemis se mettaient en bataille, les­quels, ayant la hauteur sur nous, voyaient tous les mouvements de notre armée. C’est là où Mercy et Gleen firent une lourde faute; car s’ils eussent détaché un gros corps de cavalerie avec des débandés à la tête pour gagner huit ou dix pruniers où le duc d’Enghien et tous les gé­néraux s’étaient mis pour observer de plus près le mouvement des ennemis, ils se trouvaient engagés si avant et tellement éloignés du reste de leurs troupes, qu’ils eussent été infaillible­ment pris ou tués. Mais comme il n’est pas dans l’homme de penser à tout, cela ne passa ni par la tête de Mercy ni par celle de Gleen ; et ils ne songèrent, voyant qu’ils allaient donner une bataille, qu’à prendre un poste tout à fait avantageux : à quoi ils réussirent en perfection, car il n’en fut jamais un pareil que celui qu’ils choi­sirent.

Il y avait un village au milieu de la plaine, duquel ils garnirent les maisons et l’église d’in­fanterie ; et pour le soutenir ils levèrent une espèce de retranchement, où ils mirent leur gros corps d’infanterie à la droite et à la gau­che. Il y avait deux petites éminences, sur cha­cune desquelles était un vieux château ruiné ou leur canon était posté : leur première aile de cavalerie, composée des cuirassiers de l’Empe­reur, tenait la droite du village jusqu’au-dessous de l’éminence où était le canon ; l’aile gauche, composée des troupes de Bavière, s’étendait jusque sous l’autre éminence ; et la seconde ligne était dans la distance nécessaire. Ces postes si bien pris n’empêchèrent pas la résolution de les combattre : et comme il se faisait un peu tard, l’on pressait extrêmement les troupes de se former, jugeant bien que si l’on attendait au lendemain, l’affaire deviendrait plus diffi­cile, d’autant que les ennemis achèveraient de perfectionner leur retranchement qu’ils avaient déjà commencé, et qu’alors il serait inattaquable.

Le maréchal de Gramont avait l’aile droite opposée à celle de Bavière : et comme l’on crut qu’il était impossible d’attaquer leur cavalerie, qui se trouvait flanquée de l’infanterie du village et du canon des deux éminences, qu’aupa­ravant l’on ne se rendît maître du village, on résolut de l’attaquer, bien que la chose parût dure et difficile. Marsin et Castelnau furent chargés de cette expédition. Un officier de con­fiance eut ordre, avec quelques autres, d’aller reconnaître un endroit qui d’un peu loin paraissait un défilé entre l’aile gauche des enne­mis et notre droite ; mais ce passage fut mal reconnu par ces messieurs, qui rapportèrent, sans l’avoir vu (le péril d’en approcher de trop près étant manifeste), que c’était un défilé con­sidérable, et par où les escadrons ne pouvaient passer : ce qui fut cause d’un grand malheur ; et peu s’en fallut que le duc d’Enghien ne les fît mettre au conseil de guerre, le cas le méri­tant tout à fait.

Cependant l’attaque du village devenait ter­rible , et le duc d’Enghien ne cessait de tirer des troupes de l’aile droite pour soutenir son infanterie, qui était fort maltraitée et qui pliait de moment en moment : ce que le maréchal de Gramont voyant avec douleur, le fut trouver à toute bride pour lui représenter le grand in­convénient qui en pourrait arriver ; puis s’en retournant à son poste, il vit que les ennemis faisaient descendre de l’infanterie de l’éminence où était leur canon , laquelle commençait déjà à endommager beaucoup les escadrons de notre droite : ce à quoi voulant remédier, il fit avan­cer la seconde ligne, les régiments de Fabert et de Wal, irlandais. Dans cette escarmouche, qui fut très vive, il reçut un coup de mousquet au milieu de son casque, dont il fut tellement étourdi, qu’il tomba sur le cou de son cheval comme mort ; mais il revint à lui peu après, et 1e coup n’ayant point percé, il en fut quitte pour une violente contusion, qui toutefois ne l’empêcha pas d’agir le reste de l’action et de se porter partout où sa présence fut néces­saire.

Dans ce même temps, les deux régiments d’infanterie de Fabert et de Wal chassèrent celle des ennemis, qui incommodait notre ca­valerie; mais dans le même moment il parut un commencement de désordre et de confusion dans le village, le baron de Marsin et le mar­quis de Castelnau ayant été extrêmement bles­sés et contraints de se retirer. Le duc d’Enghien voyant que l’affaire du village allait mal, et qu’elle était presque sans remède, passa à l’aile gauche, qui était composée des troupes de Hesse que le maréchal de Turenne commandait, et trouva en y arrivant que ce géné­ral s’ébranlait pour aller à la charge : et c’est là ou se firent ces belles charges de cavalerie qui ont tant fait de bruit et dont on a tant parlé.

Sur ces entrefaites, l’aile gauche des bava­rois vint charger notre droite, et passa en ba­taille dans l’endroit qu’on avait rapporté être un défilé presque impraticable; ce qui causa tant de surprise et d’épouvante à toute notre ca­valerie française, qu’elle s’enfuit à deux lieues delà, sans attendre les ennemis à la portée du pistolet : chose qui n’aura peut-être jamais d’exemple.

Tout ce que put faire le maréchal de Gra­mont , ce fut de se mettre à la tête des deux ré­giments de Fabert et de Wal, qui ne branlèrent point de leur poste, et qui firent à bout touchant une si furieuse décharge sur la cavalerie enne­mie, qu’elle ouvrit les escadrons qui venaient à la charge, et le maréchal de Gramont pris ce temps là pour entrer dedans avec ce qui lui restait de gens auprès de lui: ce qui ne lui servit pas à grand’ chose, se trouvant enveloppé de toutes parts, et quatre cavaliers sur le corps qui l’allaient tuer, en disputant ensemble à qui l’aurait. Son capitaine des Gardes en tua un, et Hemon, son aide de camp, un autre : ce qui lui ayant donné un peu de relâche, il survint, par bonne fortune pour lui dans le moment, un ca­pitaine du régiment de La Pierre, nommé Sponheim, lequel, entendant nommer le maréchal de Gramont, rallia deux ou trois officiers de ses amis, qui ayant écarté la compagnie le tirè­rent d’intrigue et lui sauvèrent la vie. Le capi­taine de ses Gardes resta mort sur la place, le lieutenant blessé et prisonnier avec lui, le cor­nette et le maréchal des logis tués, et toute la compagnie de ses Gardes, qui était de cent maî­tres, à la réserve de douze qui furent aussi pris ; quatre aides de camp tués, trois de ses pages, et généralement tous ses domestiques qui l’avoient suivi, furent pareillement tués à ses côtés. C’est ce que produit l’affection pour un maître qu’on aime.

Il lui arriva encore un accident assez extra­ordinaire : car le capitaine qui le conduisait le voulant toujours mener au général Mercy, du­quel il ignorait la destinée , ne sachant pas en­core qu’il avait été tué par les premiers mous­quetaires commandés à l’attaque du village , trouva un petit page lorrain du baron de Mercy, âgé de quinze ans , lequel entendant dire qu’on menait le général des français, voulut venger sur lui la mort de son maître : et comme il n’avait point de pistolets , et qu’on menait le ma­réchal de Gramont les rênes de son cheval ra­battues, il sauta sur un des siens et lui tira dans la tète ; mais par bonne fortune ayant été déchargé dans le combat, il ne lui put faire de mal. Les allemands voulurent châtier sévèrement une action aussi noire ; mais le maréchal de Gramont dit que c’était un enfant à qui il voulait qu’on pardonnât, et empêcha qu’il ne fût pistolé sur-le-champ, les allemands étant sans miséricorde pour pareils attentats.

Pendant que les choses se passaient ainsi du côté de notre aile droite, il n’en allait pas de même à celle des ennemis, qui, après un furieux combat, fut entièrement défaite par le duc d’Enghien et le maréchal de Turenne, qui étaient à la gauche. Le général Gleen, qui y commandait, y fut blessé et pris, et un nombre infini d’officiers principaux et de soldats, beaucoup de canons et d’étendards. Le champ de bataille nous demeura avec toutes les marques de la vic­toire : ce que voyant Jean de Werth, qui commandait l’armée de Bavière, et Mercy mort, il ne songea plus qu’à se retirer dans le meilleur ordre qu’il put sur une montagne auprès de Donawert, nommée Schellemberg, qui était déjà retranchée dès le temps du roi de Suède. »

 

Stéphane Thion